Adapte un mec. L’adaptation à la crise climatique est au cœur du deuxième volume du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), paru ce lundi. De quoi parle-t-on ?
La lutte contre le bouleversement climatique est souvent réduite à la baisse des émissions de gaz à effet de serre nécessaires pour contenir la hausse des températures. Un simple coup d’œil au premier volet du sixième rapport du Giec, publié en août dernier, permet de comprendre que cette stratégie ne suffira pas à limiter les dégâts : quel que soit le scénario retenu, cette synthèse des connaissances scientifiques sur le dérèglement passé et à venir du climat montre que les températures continueront d’augmenter au moins jusqu’aux années 2050.
Rendu public ce 28 février, le deuxième volet du rapport d’évaluation du Giec rappelle ce constat : les changements climatiques ont déjà de lourds impacts, et ceux-ci vont s’accroître en proportion des gaz à effet de serre que nous continuons d’émettre. Vagues de chaleur, épisodes de sécheresse prolongés, incendies, dégradation des massifs forestiers, menaces pour la production agricole, inondations et réduction de l’enneigement ; autant de phénomènes voués à se multiplier dans la décennie à venir.
Passer de la réponse aux catastrophes à la gestion des risques
Il est donc nécessaire d’anticiper ces risques climatiques. C’est là qu’intervient la notion d’adaptation. « L’adaptation est un champ d’intervention très large. Elle se situe au carrefour des aléas climatiques et d’autres facteurs qui exposent la société à ces aléas et la rende plus ou moins vulnérable à ses conséquences », explique à Vert Alexandre Magnan, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).
Un pays saura s’adapter différemment selon qu’il dispose d’un système d’alerte aux intempéries, d’une protection de ses infrastructures d’énergie ou de transport, de stratégies définies en matière de climat, de rafraîchissement des villes, de protection du littoral, de restauration des écosystèmes, etc. Comme l’explique le chercheur François Gemenne dans un long entretien accordé à Vert, « l’ampleur de la famine dépend bien davantage de processus politiques d’adaptation et de résilience que de l’impact du changement climatique lui-même ». Alexandre Magnan, également auteur du groupe 2 du Giec, résume ainsi l’enjeu : « Il faut éviter l’ingérable, mais aussi gérer l’inévitable ».
Pour lui, comme pour de nombreux chercheurs, il n’y a plus de doute : ce nouveau rapport du Giec rassemble assez de preuves pour affirmer que les risques climatiques se combinent avec des conséquences supérieures à leur simple addition. « L’adaptation n’est plus seulement urgente, comme cela était énoncé en 2014 [dans le précédent rapport du Giec, NDLR], elle est désormais incontournable », note Alexandre Magnan, insistant sur le double besoin de résister aux événements extrêmes et d’anticiper des changements plus graduels. « Il est indispensable de passer d’actions éparses au systématique, de l’ajustement marginal et trop souvent réactif à une adaptation qui s’attaque aux racines de nos vulnérabilités ».
Pas une histoire de pognon, mais de vision
À cette fin, il est nécessaire d’avoir une vision claire des enjeux et des options. Pour cela, les scientifiques réfléchissent à des « trajectoires d’adaptation » qu’elles et ils schématisent comme des plans de lignes de transports en commun : si plusieurs chemins peuvent être empruntés pour aller d’un point A à un point B, atteindre un monde à faibles risques climatiques implique de combiner, dans le temps, les meilleures solutions pour faire face aux événements.
Parmi ces solutions, certaines sont fondées sur la nature. Pour contrer les risques côtiers, il est possible de replanter des mangroves, protéger les récifs coralliens, restaurer les dunes ou créer des herbiers marins. Ces solutions sont généralement peu coûteuses, faciles d’accès, mais parfois insuffisantes. Pour pallier le manque de capacité d’adaptation des écosystèmes, l’approche par « trajectoires » permet d’organiser les alternatives à plus long terme et d’envisager d’autres solutions ; dans les zones côtières où les densités de population sont élevées et les écosystèmes déjà fortement dégradés, il sera nécessaire d’instaurer des digues pour défendre les rivages, ou d’enrocher pour prévenir l’érosion. Mais d’autres solutions plus radicales peuvent être nécessaires, comme le « retrait stratégique » (ou « recomposition spatiale »), à l’image de ce qui a été fait dans les communes de Charron et Aytré, en Charente-Maritime. Après la tempête Xynthia de février 2010, les personnes, les biens et les activités de ces deux communes ont été délocalisées dans des zones moins à risque, plus loin de la mer ou bien plus en altitude.
De fait, la robustesse de toute stratégie d’adaptation repose sur la concertation et l’acceptation publique, puis sur la mise en place d’outils juridiques, économiques, sociaux et technologiques adéquats. Un territoire « adapté » saura anticiper les seuils censés déclencher le basculement d’une option à une autre — sachant que tous les risques ne peuvent être éradiqués.
De multiples freins
Il existe en effet des limites « dures » (biophysiques, institutionnelles, financières, sociales et culturelles) et « douces » (technologiques et socio-économiques) à l’adaptation. Les petits États insulaires connaissent par exemple des limites physiques strictes à l’élévation du niveau de la mer : leur vulnérabilité au changement climatique est susceptible de conduire à une migration forcée. De même, de nombreux organismes individuels ne disposent pas de capacité physiologique à s’adapter aux changements climatiques. Sans oublier les barrières socio-économiques qui ne permettent pas aux publics les plus vulnérables de répondre aux aléas — un aspect d’équité et de justice placé au cœur de ce nouveau rapport.
Une chose est sûre : pour les scientifiques, les coûts de l’inaction dépassent de loin ceux de l’atténuation du changement climatique (sujet du troisième volet du rapport, à paraître en avril) et de l’adaptation. Cette dernière peut même être rentable si elle est effectuée en temps opportun. Hélas, les pays en développement reçoivent des financements publics cinq à dix fois inférieurs à ce que coûte leur adaptation et les aléas climatiques de ces dernières années se sont révélés plus coûteux que ne le prévoyait le précédent rapport. Pis, la majorité des financements climatiques sont actuellement consacrés à l’atténuation : « L’adaptation passe au second plan dans les négociations internationales (…) et l’argent du Fonds vert [ces « 100 milliards de dollars par an » promis par les pays riches aux pays en développement pour financer leur adaptation aux effets du réchauffement climatique, ndlr], de surcroît, ne correspond pas à des financements additionnels, mais à un réétiquetage de financements déjà existants, que les pays du Nord veulent fournir sous forme de prêt plutôt que sous forme de don », explique François Gemenne.
Le résumé pour les décideurs du rapport, publié le 28 février, indique que « les risques associés aux effets du changement climatique deviennent de plus en plus complexes et difficiles à gérer (…) Si le réchauffement dépasse les 1.5 °C dans les décennies qui viennent, de nombreux milieux humains et naturels vont être confrontés à des risques additionnels sévères. En fonction de la durée et de l’ampleur de ces dépassements, cela aurait pour effet de libérer des gaz à effet de serre additionnels et certaines conséquences pourraient être irréversibles. »
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