Décryptage

Nouveau rapport du Giec : cinq scénarios (plus ou moins apocalyptiques) pour la fin du siècle

Le Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) vient de mettre à jour ses prévisions scientifiques pour les prochaines décennies. Décryptage de ce document crucial qui sera intégré au sixième rapport d'évaluation à paraître en 2022.
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Sept ans après le 5ème rap­port d’é­val­u­a­tion, paru en 2014, les expert·e·s du Giec vien­nent de pub­li­er la pre­mière par­tie du six­ième opus. Lun­di, le groupe 1, dédié à l’analyse des don­nées sci­en­tifiques sur le boule­verse­ment du cli­mat a ren­du son « résumé pour les décideurs ». A trois mois d’une COP26 cri­tique, où les dirigeant·e·s de la planète doivent s’en­gager à en faire davan­tage pour le cli­mat, ce doc­u­ment pro­pose un tour d’hori­zon exhaus­tif de l’é­tat du monde et ébauche cinq scé­nar­ios, du plus opti­miste au plus dra­ma­tique, pour la fin du siè­cle.

Un état des lieux peu engageant

Pre­mier con­stat, que le Giec n’a eu de cesse de répéter et de pré­cis­er au fil de ses rap­ports : l’in­flu­ence humaine sur l’élé­va­tion des tem­péra­tures est « indis­cutable ». Le réchauf­fe­ment observé lors la décen­nie 2011–2020 par rap­port à l’ère préin­dus­trielle (milieu du 19è siè­cle) est de 1,09°C.

En 2019, la con­cen­tra­tion atmo­sphérique en dioxyde de car­bone (CO2) est au plus haut depuis au moins 2 mil­lions d’an­nées ; et depuis au moins 800 000 ans pour le méthane (CH4) et le pro­toxyde d’a­zote (N2O), deux autres puis­sants gaz à effet de serre. « L’am­pleur des change­ments récents dans l’ensem­ble du sys­tème cli­ma­tique et l’é­tat actuel de nom­bre de ses aspects est sans précé­dent, sur plusieurs cen­taines à plusieurs mil­liers d’an­nées », note le rap­port. Pour s’en con­va­in­cre, les 234 auteur·rice·s issu·e·s de 66 pays ont épluché quelque 14 000 doc­u­ments et études sci­en­tifiques.

© Giec / Tra­duc­tion par Vert

Le rap­port met en avant le rôle longtemps sous-estimé du méthane. Ce puis­sant gaz à effet de serre, dont la con­cen­tra­tion dans l’at­mo­sphère croît plus vite que celle du CO2, est respon­s­able de près de la moitié du réchauf­fe­ment. Il est util­isé comme car­bu­rant ou pour se chauf­fer (gaz « naturel »), et d’im­menses quan­tités en sont relâchées par l’él­e­vage et lors de l’ex­trac­tion gaz­ière ou pétrolière. Alors qu’il pro­duit l’essen­tiel de ses effets dans les pre­mières années passées dans l’at­mo­sphère, la réduc­tion de ses émis­sions aurait des effets rapi­des et majeurs sur le cli­mat.

Le réchauf­fe­ment lié à cette accu­mu­la­tion sans précé­dent de gaz à effet de serre a entraîné une foule de boule­verse­ments déjà large­ment doc­u­men­tés, rap­pelle le doc­u­ment. Par­mi ceux-ci : des événe­ments cli­ma­tiques extrêmes (vagues de chaleur, sécher­ess­es, tem­pêtes trop­i­cales) qui se mul­ti­plient et s’in­ten­si­fient ; des océans qui s’acid­i­fient et sont vidés de leur oxygène ; les biosphères qui se dépla­cent vers les pôles, etc.

Par­mi les con­séquences les plus spec­tac­u­laires, l’élé­va­tion des tem­péra­tures a entraîné celle du niveau des océans, qui ont grim­pé de 20 cen­timètres depuis 1900. Depuis 1971, cette hausse est due pour moitié (50%) à l’ex­pan­sion ther­mique liée au réchauf­fe­ment de l’eau marine ; la fonte des glac­i­ers, 22% ; celle des calottes glaciaires, 20%. Entre les années 1990 et 2010, le rythme de fonte de ces dernières a été mul­ti­plié par qua­tre. Depuis 2006, la fonte des glaces est dev­enue le prin­ci­pal fac­teur d’élé­va­tion des océans. Un phénomène qui s’emballe : de +1,3mm par an entre 1901 et 1971, les mers sont mon­tées de 1,9mm entre 1971 et 2006, et enfin de 3,7mm entre 2006 et 2018.

Cinq scénarios pour le futur

L’une des prin­ci­pales nou­veautés con­tenues dans ce nou­veau rap­port est l’u­til­i­sa­tion de nou­veaux types de scé­nar­ios pour ten­ter d’an­ticiper le futur. Au nom­bre de cinq, ces scé­nar­ios dits « SSP », pour « tra­jec­toires socio-économiques com­munes » (Shared Socioe­co­nom­ic Path­ways) ne tien­nent pas seule­ment compte du réchauf­fe­ment en ter­mes sci­en­tifiques, comme dans le précé­dent rap­port. Ils pro­posent cinq réc­its – du plus au moins opti­mistes – de la réponse humaine face à la crise cli­ma­tique (lire encadré).

Cinq nou­veaux scé­nar­ios pour le futur
Pour son six­ième rap­port, le Giec a util­isé une nou­velle typolo­gie de scé­nar­ios, qui dessi­nent en ter­mes humains, poli­tiques et économiques les évo­lu­tions futures liées au cli­mat.

SSP1 : Souten­abil­ité — La voie verte
C’est le scé­nario d’un développe­ment plus inclusif qui respecte les lim­ites envi­ron­nemen­tales plané­taires et s’articule autour du bien-être des pop­u­la­tions et de la réduc­tion des iné­gal­ités. La con­som­ma­tion est ori­en­tée vers une faible crois­sance matérielle, une moin­dre util­i­sa­tion de ressources et d’én­ergie. Les deux pre­miers scé­nar­ios du Giec (SSP1‑1.9 et SSP1‑2.6) se basent sur ce réc­it.

SSP2 : Au milieu du gué
Notre monde pour­suit ses ten­dances his­toriques avec une crois­sance iné­gale­ment répar­tie des revenus et opère lente­ment sa tran­si­tion écologique, mal­gré les objec­tifs qu’il se donne. La tran­si­tion démo­graphique est achevée dans la sec­onde moitié du XXIème siè­cle. C’est le scé­nario médi­an (SSP2‑4.5) util­isé par le Giec.

SSP3 Rival­ités régionales – Un chemin escarpé
La résur­gence du nation­al­isme, les préoc­cu­pa­tions en matière de com­péti­tiv­ité et de sécu­rité et les con­flits régionaux poussent les pays à se con­cen­tr­er de plus en plus sur les ques­tions nationales ou, tout au plus, régionales, au détri­ment de la réduc­tion des iné­gal­ités et de la prise en compte des ques­tions envi­ron­nemen­tales. Cor­re­spond au qua­trième scé­nario (SSP3‑7.0) du Giec.

SSP4 Iné­gal­ités – Une route divisée
Le scé­nario d’inégalités exac­er­bées entre une société très con­nec­tée au niveau inter­na­tion­al qui con­tribue à un fort développe­ment économique adossé à toutes les sources d’énergie, et des sociétés à faibles revenus, peu éduquées et can­ton­nées à des activ­ités à faible valeur ajoutée. La frac­ture s’exacerbe et les con­flits et trou­bles devi­en­nent fréquents. Le Giec n’a pas envis­agé ce scé­nario dans son rap­port.

SSP5 Développe­ment ali­men­té par des com­bustibles fos­siles – L’autoroute
Le scé­nario d’un développe­ment économique et social élevé basé sur les marchés com­péti­tifs et l’innovation qui néces­site de recourir à d’abondantes ressources en éner­gies fos­siles. Cor­re­spond au scé­nario le plus pes­simiste du Giec (SSP5‑8.5)

Le mer­cure promet de con­tin­uer à grimper

Dans tous les cas, les tem­péra­tures con­tin­ueront d’aug­menter au moins jusqu’aux années 2050. Le scé­nario le plus opti­miste per­me­t­trait de con­tenir le réchauf­fe­ment à 1,6°C (fourchette de 1,2 à 2°C) d’i­ci le milieu du siè­cle, avant d’amorcer – sans cer­ti­tude — une légère décrue au tour­nant des années 2100 pour redescen­dre à 1,4°C (entre 1 et 1,8°C). Le scé­nario le plus pes­simiste prévoit un réchauf­fe­ment entre 3,3 et 5,7°C, avec une esti­ma­tion moyenne de +4,4°C.

© Giec / Tra­duc­tion par Vert

En tout état de cause, le réchauf­fe­ment de 1,5 et 2°C — objec­tifs visés dans l’ac­cord de Paris qui lie toutes les nations du globe depuis 2015 — sera dépassé au 21è siè­cle « à moins qu’une réduc­tion pro­fonde des gaz à effet de serre n’in­ter­vi­enne lors des prochaines décen­nies ».

L’élé­va­tion préoc­cu­pante des océans

Le com­porte­ment des océans est l’un des sujets cru­ci­aux de ce siè­cle. Com­paré à la péri­ode 1995–2014, le niveau des mers pour­rait mon­ter de 28 à 55 cen­timètres dans le scé­nario le plus opti­miste, et attendrait 63 cen­timètres à 1 mètre dans le scé­nario à fortes émis­sions, note le rap­port. Pis, en rai­son de « pro­fondes incer­ti­tudes » liées au com­porte­ment des calottes glaciaires, les auteur·rice·s n’ex­clu­ent pas un scé­nario cat­a­stro­phe, dans lequel l’océan mon­terait de 2 mètres d’i­ci 2100 et jusqu’à 5 mètres en 2150.

© Giec / Tra­duc­tion par Vert

Des événe­ments cli­ma­tiques extrêmes qui se mul­ti­plient et s’in­ten­si­fient

Sous l’ef­fet des dérè­gle­ments cli­ma­tiques, les épisodes « extrêmes » vont s’emballer. Les fortes pré­cip­i­ta­tions risquent de se mul­ti­pli­er et de s’in­ten­si­fi­er dans les plu­part des régions. Idem pour les tem­pêtes trop­i­cales, dont la fréquence et la bru­tal­ité vont s’ac­centuer.

A 2°C de réchauf­fe­ment, un épisode de tem­péra­ture extrême qui appa­rais­sait une fois tous les 10 ans au 19ème siè­cle, se pro­duira 5,6 fois par décen­nie. A 4°C, il se pro­duira presque tous les ans. Ces vagues de chaleur seront égale­ment bien plus tor­rides. Le réchauf­fe­ment va égale­ment inten­si­fi­er les saisons et les épisodes très secs et très humides, aggra­vant sécher­ess­es et inon­da­tions. Les mous­sons seront plus sévères partout dans le monde, en par­ti­c­uli­er en Asie du sud, de l’est et du sud-est, et en Afrique de l’Ouest.

© Giec / Tra­duc­tion par Vert

Les puits de car­bone et la biosphère asphyx­iés

Dans les scé­nar­ios où les émis­sions de CO2 aug­mentent, les puits de car­bone ter­restres et marins (comme les arbres ou les algues) seront moins effi­caces. Si, en valeur absolue, ils stockeront davan­tage de CO2, la pro­por­tion du CO2 atmo­sphérique qu’ils sont capa­bles d’ab­sorber dimin­uera.

Cer­taines répons­es au réchauf­fe­ment de la part d’é­cosys­tèmes, comme les éma­na­tions de CO2 et CH4 issues des zones humides, le dégel du per­mafrost et les feux de forêts, ne sont pas encore tout à fait inté­grées aux mod­èles cli­ma­tiques. Leur rôle poten­tiel est donc incer­tain.

Bud­gets car­bone : chaque tonne de CO2 compte

Les auteur·rice·s du rap­port insis­tent sur le rôle irréversible de nom­breux boule­verse­ments. Par exem­ple, le réchauf­fe­ment, l’acid­i­fi­ca­tion et la désoxygé­na­tion des océans, per­dur­era pen­dant plusieurs siè­cles à plusieurs mil­lé­naires. Idem pour la fonte des glac­i­ers, calottes glaciaires et per­mafrost, altérés pen­dant plusieurs décen­nies à plusieurs siè­cles.

Aus­si, chaque dix­ième de degré, et donc chaque tonne de CO2 compte. Les sci­en­tifiques ont mis à jour les « bud­gets car­bone » ébauchés dans les précé­dents rap­ports. Il s’ag­it des quan­tités de gaz à effet de serre que l’hu­man­ité peut encore émet­tre avant de dépass­er cer­tains seuils de réchauf­fe­ment, avec tous leurs effets dra­ma­tiques.

© Giec / Tra­duc­tion par Vert

Entre 1850 et 2019, 2390 giga­tonnes (mil­liards de tonnes) de CO2 ont été émis­es par les humains. Pour s’as­sur­er (à 83%) de rester sous la barre de 1,5°C de réchauf­fe­ment d’i­ci 2100, l’hu­man­ité ne peut plus émet­tre que 300 giga­tonnes de CO2, soit moins de dix années au rythme actuel. Et 900Gt pour ne pas dépass­er 2°C.

Le doc­u­ment se garde de faire des pré­con­i­sa­tions sur les manières de répon­dre au défi cli­ma­tique. Les deux autres par­ties du six­ième rap­port, con­sacrées à l’adap­ta­tion et à l’at­ténu­a­tion du change­ment cli­ma­tique sont atten­dues au cours des prochains mois.