Décryptage

Près de la moitié de l’humanité fortement vulnérable à la crise climatique : les principales alertes du dernier rapport du Giec

Ce lundi, le Giec a publié le deuxième volet de son dernier rapport. Une vaste somme des connaissances sur les impacts passés et à venir de la crise climatique, ainsi que sur les possibilités d'adaptation à un monde en plein chamboulement. Tour d'horizon des principaux enseignements.
  • Par et

En août dernier, le Groupe d’ex­perts inter­gou­verne­men­tal sur l’évo­lu­tion du cli­mat (Giec) dévoilait la pre­mière par­tie de son six­ième rap­port, con­sacrée à l’é­tat des con­nais­sances sci­en­tifiques sur l’évo­lu­tion physique du cli­mat (notre arti­cle), de la péri­ode préin­dus­trielle (milieu du 19ème siè­cle) à 2100 et au-delà. Ce lun­di, c’est le sec­ond volet, au sujet des impacts de la crise cli­ma­tique sur les sociétés humaines et les écosys­tèmes, qui vient de paraître. Un « ter­ri­ble aver­tisse­ment sur les con­séquences de l’i­n­ac­tion », des mots de Hoe­sung Lee, prési­dent du Giec.

Les impacts du changement climatique sont généralisés et, pour certains, irréversibles

Dif­fi­cile de trou­ver lec­ture plus som­bre que celle des pre­miers chapitres de ce tome 2. Comme l’avait déjà indiqué le Giec il y a six mois, le cli­mat s’est réchauf­fé de 1,1°C en un siè­cle et demi. Résul­tat : « L’aug­men­ta­tion des extrêmes météorologiques et cli­ma­tiques [canicules, sécher­ess­es, pluies tor­ren­tielles, cyclones, etc.] a entraîné des impacts irréversibles, alors que des sys­tèmes naturels et humains sont poussés au-delà de leur capac­ité d’adap­ta­tion », indique le sec­ond groupe de tra­vail. Dans cet épais doc­u­ment de 4 000 pages, on trou­ve une descrip­tion exhaus­tive des impacts con­nus du boule­verse­ment du cli­mat.

Par­mi les innom­brables effets sur le vivant, les auteur·rices notent les lour­des pertes dans les écosys­tèmes aqua­tiques (eaux douces), ter­restres, côtiers ou marins. Près de la moitié des espèces étudiées ont entamé une migra­tion vers les pôles ou vers les som­mets, à la recherche de lieux de vies plus frais. On déplore déjà de pre­mières extinc­tions causées par le réchauf­fe­ment.

La mul­ti­pli­ca­tion et l’in­ten­si­fi­ca­tion des épisodes extrêmes ont fait reculer la sécu­rité ali­men­taire des humains et leur accès à l’eau, de quoi min­er cer­tains efforts accom­plis pour attein­dre les objec­tifs de développe­ment durable des Nations unies. La moitié de la pop­u­la­tion mon­di­ale fait déjà face à des pénuries d’eau pen­dant une par­tie de l’an­née, à cause de fac­teurs cli­ma­tiques, mais pas seule­ment.

Le change­ment cli­ma­tique a des effets sur la san­té physique, liés, par exem­ple, à la nutri­tion, à une eau inac­ces­si­ble ou ren­due impro­pre à la con­som­ma­tion, ou au développe­ment des vecteurs (les mous­tiques, par exem­ple) de mal­adies. Par­mi celles-ci, les zoonoses qui, comme le palud­isme ou le Covid-19, peu­vent pass­er les bar­rières des espèces. La san­té men­tale des humains est égale­ment atteinte par la hausse des tem­péra­tures, les trau­ma­tismes liés aux épisodes extrêmes, ou la perte de moyens de sub­sis­tance ou de cul­ture, comme lorsqu’un oura­gan détru­it tout ou par­tie du pat­ri­moine local.

Le rap­port relève aus­si des dégâts économiques dans les secteurs les plus exposés au cli­mat : agri­cul­ture, foresterie, pêche, énergie et tourisme. Les moyens indi­vidu­els de sub­sis­tance sont affec­tés par des pertes de ren­de­ments agri­coles, l’altération de la san­té et de l’al­i­men­ta­tion, la destruc­tion de foy­ers ou d’in­fra­struc­tures, ou encore, la perte de pro­priété et de revenus.

Le climat, les humains et les écosystèmes sont interdépendants

Les men­aces que font peser les activ­ités humaines et le boule­verse­ment du cli­mat sur les écosys­tèmes nous met­tent en dan­ger en retour. Comme l’écrivent les auteur·rices de ce tome 2, l’usage « non-durable » des ter­res et des ressources naturelles, la déforesta­tion, la perte de bio­di­ver­sité, la pol­lu­tion, ain­si que l’in­ter­ac­tion de tous ces fac­teurs, nuisent aus­si à la capac­ité des écosys­tèmes, des sociétés et des indi­vidus à s’adapter au change­ment. La perte des écosys­tèmes et des ser­vices qu’ils ren­dent a des effets en cas­cade sur les humains, a for­tiori sur les peu­ples autochtones et les com­mu­nautés locales qui en dépen­dent directe­ment.

Hélas, note le rap­port, moins de 15% des ter­res, 21% des écosys­tèmes d’eau douce et 8% des océans sont pro­tégés à l’échelle du globe. Et dans la plu­part de ces aires, le manque de moyens ne per­met pas de réduire les dégâts causés par le change­ment cli­ma­tique ou d’en accroître la résilience. Or, pour favoris­er la sauve­g­arde du vivant et con­serv­er les ser­vices que nous ren­dent les écosys­tèmes, entre 30 et 50% des ter­res et des mers devraient faire l’ob­jet d’une pro­tec­tion « effi­cace et équitable ».

Il faut limiter le réchauffement à 1,5°C pour que les dégâts restent gérables

Comme l’avait indiqué le pre­mier volet de ce rap­port, chaque dix­ième de degré compte. Les dégâts sont voués à se mul­ti­pli­er alors que s’élève la tem­péra­ture moyenne du globe. Il y a une façon pos­i­tive de voir les choses : les actions à court terme pour con­tenir le réchauf­fe­ment sous 1,5°C réduiraient con­sid­érable­ment les pertes et dom­mages atten­dus dans les sys­tèmes humains et les écosys­tèmes, notent les sci­en­tifiques. Prob­lème : cet objec­tif, visé par l’Ac­cord de Paris (signé en 2016 par 195 États du globe), pour­rait être dépassé dès 2025, a alerté l’ONU (notre arti­cle). Mul­ti­pli­ca­tion et inten­si­fi­ca­tion des événe­ments extrêmes, allonge­ment des vagues de chaleur, sécher­ess­es, inon­da­tions… à +3°C, soit peu ou prou le chemin que nous font pren­dre les promess­es actuelles des États, les con­séquences du boule­verse­ment du cli­mat seront autrement plus calami­teuses et l’adap­ta­tion tou­jours plus dif­fi­cile. « Tout retard dans la mise en œuvre d’une action con­certée, glob­ale et anticipée en faveur de l’adap­ta­tion et l’at­ténu­a­tion nous fera rater la courte fenêtre d’op­por­tu­nité, qui se referme rapi­de­ment, pour garan­tir un avenir viv­able et durable pour tous », aler­tent les auteur·rices.

Les effets du réchauf­fe­ment à +1,5°C et à +3°C. Doc­u­ment tiré de la pre­mière par­tie du rap­port © Giec / Tra­duc­tion par Vert

L’Europe ne sera — évidemment — pas épargnée

À l’instar du reste de la planète, l’Europe et la France devront s’adapter. Par­mi les impacts les plus menaçants : 

  • Des vagues de chaleur. « À 1,5°C de réchauf­fe­ment, 30 000 décès seront imputés aux vagues de chaleur chaque année en Europe de l’Ouest », relève Gonéri Le Cozan­net, chercheur au Bureau de recherch­es géologique et minières (BRGM). Des canicules comme celle de 2003 sont vouées à se répéter. Celles-ci ont égale­ment de nom­breuses con­séquences sur les écosys­tèmes.
  • Une agri­cul­ture frag­ilisée. « Cer­tains proces­sus biologiques clés comme la date de flo­rai­son des cul­tures sont altérés par l’augmentation des tem­péra­tures », souligne Del­phine Deryng, experte sur l’adaptation des sys­tèmes ali­men­taires.
  • Des inon­da­tions côtières et flu­viales. « Chaque degré de réchauf­fe­ment entraîne une éva­po­ra­tion de 7% d’eau sup­plé­men­taire qui crée des pré­cip­i­ta­tions extrêmes, respon­s­ables d’inondations, surtout dans des zones très arti­fi­cial­isées », note encore Gonéri Le Cozan­net. La mon­tée des eaux, estimée à 20 cm en 2050, pour­rait aus­si induire des inon­da­tions sur les côtes. 
  • Des ressources en eau plus faibles, notam­ment dans le Sud de l’Europe.

Les impacts dépendent fortement de l’état social et économique des sociétés

Comme le pointe ce rap­port, les dégâts causés par la crise cli­ma­tique ne sont pas directe­ment cor­rélés à la tem­péra­ture ou au nom­bre d’événe­ments graves ; le niveau de risque dépend large­ment de la vul­néra­bil­ité des sociétés, ain­si que de leur niveau de développe­ment, les iné­gal­ités, l’in­clu­sion ou la mar­gin­al­i­sa­tion de cer­tains groupes soci­aux. « Deux oura­gans de même ampleur vont engen­dr­er un nom­bre de morts et de dégâts matériels fort dif­férents selon qu’ils ont lieu au Bangladesh (l’oura­gan Sidr) ou au Myan­mar (l’oura­gan Nar­gis) où le régime autori­taire n’a pas prévenu les pop­u­la­tions ni organ­isé leur évac­u­a­tion », explique à Vert François Gemenne, spé­cial­iste des migra­tions et co-auteur du rap­port (lire notre grand entre­tien).

Toute­fois, le réchauf­fe­ment et les épisodes extrêmes entraî­nent le déplace­ment d’un nom­bre crois­sant de per­son­nes dans toutes les régions du monde (les petits États insu­laires en tête), ce qui, en retour, aggravent leur vul­néra­bil­ité à des crises futures. Entre 3,3 et 3,6 mil­liards d’êtres humains vivent dans des con­textes de « forte vul­néra­bil­ité » au change­ment cli­ma­tique.

Les mauvaises solutions aggravent le réchauffement climatique

Cer­taines régions ont mis en place de mau­vais­es solu­tions d’adaptation. Par exem­ple, « cer­taines digues qui arti­fi­cialisent les zones bass­es et endom­ma­gent les marais côtiers », regrette Gonéri Le Cozan­net. Ces « mal­adap­ta­tions » con­tribuent à aggraver le réchauf­fe­ment cli­ma­tique et « ren­dent l’avenir plus dif­fi­cile à gér­er ». Le chercheur cite l’exemple de la cli­ma­ti­sa­tion dans les villes, instal­lée pour gag­n­er en con­fort et mieux sup­port­er les vagues de chaleur. Du fait de ses besoins en élec­tric­ité et de ses dégage­ments de chaleur et de gaz à effet de serre, elle représente pour­tant une mau­vaise solu­tion d’adaptation. Pour éviter ces fauss­es bonnes idées, les auteur·ices prô­nent « une plan­i­fi­ca­tion et une mise en œuvre flex­i­bles, mul­ti­sec­to­rielles, inclu­sives et à long terme des mesures d’adap­ta­tion ». 

Les bonnes solutions incluent nécessairement un développement équitable et juste

Les mod­èles de développe­ment « non-durables » qui sont à l’œuvre aujour­d’hui accrois­sent l’ex­po­si­tion des écosys­tèmes et des humains aux aléas cli­ma­tiques, explique le rap­port. Selon Wolf­gang Cramer, directeur de recherch­es du CNRS, ce doc­u­ment souligne une « forte recon­nais­sance que le mod­èle économique actuel n’a pas les répons­es qu’il faut. Cer­taines ten­dances de crois­sance ne sont pas com­pat­i­bles avec la tran­si­tion. On ne peut pas réduire le développe­ment à des ques­tions tech­niques mais on doit inté­gr­er la dimen­sion de jus­tice et d’équité. » L’action en faveur d’un développe­ment  « résilient » est urgente. Elle est ren­due pos­si­ble « lorsque les gou­verne­ments, la société civile et le secteur privé font des choix de développe­ment inclusifs qui don­nent la pri­or­ité à la réduc­tion des risques, à l’équité et à la jus­tice », et implique les groupes générale­ment mar­gin­al­isés que sont les femmes, les jeunes, les autochtones et les minorités eth­niques. Cepen­dant, pour l’heure, les sci­en­tifiques interrogé·es man­quent d’exemples d’adaptations « trans­for­ma­tion­nelles » — qui lim­i­tent le réchauf­fe­ment, met­tent en œuvre des solu­tions pour s’y adapter et respectent les objec­tifs de développe­ment durable.

« Six­ième rap­port », « groupe 2 », keza­co ?
Fondé en 1988, le Groupe d’ex­perts inter­gou­verne­men­tal sur l’évo­lu­tion du cli­mat rassem­ble des mil­liers de sci­en­tifiques issu·es des 195 pays mem­bres des Nations unies. Tous les six ou sept ans, un nou­veau rap­port paraît à l’is­sue d’un nou­veau « cycle ». En août 2021, le Giec a pub­lié la pre­mière par­tie de son six­ième rap­port, con­sacrée aux don­nées sci­en­tifiques sur le réchauf­fe­ment cli­ma­tique actuel et à venir. Cette insti­tu­tion ne pro­duit pas d’é­tudes ; elle syn­thé­tise tous les travaux passés.

Lun­di, c’est la deux­ième des trois par­ties qui a paru. Le sec­ond « groupe de tra­vail » qui en est à l’o­rig­ine est com­posé de 270 sci­en­tifiques orig­i­naires de 67 pays, qui se sont répar­ti le tra­vail au sein de 18 sous-groupes thé­ma­tiques. Elles et ils ont passé en revue quelque 34 000 doc­u­ments pour écrire cette immense syn­thèse de l’é­tat des con­nais­sances sur les impacts et l’adap­ta­tion au change­ment cli­ma­tique. Il en sort un copieux doc­u­ment de 4 000 pages, mais aus­si un « Résumé pour les décideurs » : ce court texte (32 pages) est un résumé plus « poli­tique » de leur tra­vail. Chaque phrase doit être approu­vée par l’ensem­ble des représentant·es des États. Ce proces­sus adoucit générale­ment le pro­pos ini­tial, mais de ce fait, il est impos­si­ble d’ac­cuser les sci­en­tifiques d’avoir voulu ori­en­ter le tra­vail en faveur d’un État.

En avril 2022, la troisième par­tie dédiée à l’at­ténu­a­tion du change­ment cli­ma­tique clo­ra le six­ième cycle. Vu com­bi­en chaque rap­port con­firme les pré­dic­tions des précé­dents, et le peu d’ef­fet que ces travaux pro­duisent sur les dirigeants mon­di­aux, d’au­cuns se deman­dent si le Giec se lancera dans un sep­tième cycle.