On fait le bilan

Biodiversité : le bilan d’Emmanuel Macron sur liste rouge

De discours en sommets, Emmanuel Macron se présente volontiers en champion de la biodiversité. Chasse, pesticides, bétonisation... le bilan de son quinquennat finissant raconte une toute autre histoire. 
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Bis repeti­ta. En début de semaine, le Con­seil d’État a — une nou­velle fois — annulé les arrêtés min­istériels qui autori­saient cer­taines chas­s­es tra­di­tion­nelles d’oiseaux. Ces textes auraient per­mis la cap­ture de plus de 110 000 volatiles, selon la Ligue de pro­tec­tion des oiseaux (LPO). Un nou­veau cam­ou­flet pour le gou­verne­ment qui avait rées­sayé, le 12 octo­bre, de pro­mulguer des arrêtés iden­tiques à ceux qu’avait déjà reto­qués le Con­seil d’État en août, faisant fi de ses con­clu­sions (notre arti­cle à ce sujet). 

Cru­elle ironie des dates, ce même 12 octo­bre, Emmanuel Macron réitérait solen­nelle­ment son engage­ment pour la préser­va­tion de la nature à l’occasion de la quinz­ième con­férence de l’ONU (COP15) sur la bio­di­ver­sité. « L’Homme ne pour­ra con­tin­uer à vivre sur cette planète que s’il vit avec son envi­ron­nement et non plus à son détri­ment ». Comme à Mar­seille quelques semaines plus tôt lors du con­grès de l’Union inter­na­tionale de con­ser­va­tion de la nature (UICN), Emmanuel Macron se présen­tait en cham­pi­on de la bio­di­ver­sité. Une pos­ture à rebours com­plet de son action.

L’agriculture, le nerf de la guerre

La bio­di­ver­sité désigne « l’ensemble des êtres vivants et les écosys­tèmes dans lesquels ils vivent […] et com­prend égale­ment les inter­ac­tions des espèces entre elles et avec leurs milieux », d’après l’Office nation­al de la bio­di­ver­sité. La Plate­forme inter­gou­verne­men­tale pour la bio­di­ver­sité (l’IPBES — l’équivalent du Giec sur les ques­tions du vivant) a déter­miné que l’alimentation était la pre­mière cause de destruc­tion du vivant (Noveth­ic). L’agriculture inten­sive appau­vrit les milieux naturels à cause du change­ment d’affectation des sols et de ses nom­breuses pol­lu­tions (engrais chim­iques et pes­ti­cides notam­ment).

La poli­tique agri­cole com­mune, « un grand tour­nant raté du quin­quen­nat »

Pauline Rat­tez, LPO

En Europe, les exploita­tions agri­coles inten­sives sont large­ment sub­ven­tion­nées par la Poli­tique agri­cole com­mune (PAC), dont la future ver­sion représen­tera 386 mil­liards d’euros de bud­get sur la péri­ode 2023–2027. Avec 9,4 mil­liards d’euros attribués chaque année à ses exploita­tions, la France en est le pre­mier béné­fi­ci­aire (L’Info durable). Le gou­verne­ment avait la main pour négoci­er une nou­velle ver­sion plus verte, mais c’est « un grand tour­nant raté du quin­quen­nat » pour Pauline Rat­tez, respon­s­able des poli­tiques agri­coles et ali­men­taires à la LPO. « Emmanuel Macron était au pou­voir pen­dant trois ans de négo­ci­a­tions de la future PAC et il a été ambitieux sur les mots, mais pas sur les actes », déplore la chargée de mis­sion auprès de Vert

L’ONG a récem­ment pub­lié un rap­port dans lequel elle étrille le bilan du prési­dent en matière de bio­di­ver­sité. L’addition est salée : sur 33 promess­es faites lors de la cam­pagne prési­den­tielle de 2017, la LPO con­sid­ère que seules cinq ont été tenues au cours du quin­quen­nat. Les 28 autres mesures sont jugées « mit­igées » ou « néga­tives ». L’ONG cri­tique un ensem­ble déce­vant de « reports d’échéance, déro­ga­tions et rec­u­lades » sur la pro­tec­tion de la bio­di­ver­sité. 

Par exem­ple, le gou­verne­ment a choisi de class­er le label HVE (haute valeur envi­ron­nemen­tale) par­mi les écorégimes : il s’agit de paiements directs réservés aux agricul­teurs qui met­tent en place des pra­tiques agri­coles vertueuses pour l’environnement, au même titre que la cer­ti­fi­ca­tion bio. « Alors que le cahi­er des charges n’a rien d’ambitieux et n’a pas de critères élim­i­na­toires comme l’usage de cer­tains pes­ti­cides dan­gereux », fustige Pauline Rat­tez. Au cours du quin­quen­nat, les aides pour la con­ver­sion à l’agriculture biologique ont été aug­men­tées, de 250 mil­lions d’euros à 340 mil­lions d’euros par an. Une avancée intéres­sante même si, « à côté de ça, les aides au main­tien ont été dimin­uées… » 

Emmanuel Macron, accom­pa­g­né de Chris­tiane Lam­bert, prési­dente de la Fédéra­tion nationale des syn­di­cats d’ex­ploitants agri­coles (FNSEA) qui s’est battue pour con­serv­er le glyphosate, et Didi­er Guil­laume, min­istre de l’A­gri­cul­ture de l’époque, lors de l’in­au­gu­ra­tion du Salon de l’A­gri­cul­ture de 2020. © AFP

Côté pes­ti­cides, alors que le can­di­dat Macron promet­tait en 2017 la sor­tie du glyphosate d’ici trois ans max­i­mum, le prési­dent n’a eu de cesse de reculer la date d’interdiction de cet her­bi­cide. Classé « can­cérogène prob­a­ble » par l’Organisation mon­di­ale de la san­té, le désherbant est tou­jours sur le marché français (Vert) et ses ventes ont bon­di en 2020. La réin­tro­duc­tion tem­po­raire des néon­i­coti­noïdes dans la fil­ière de la bet­ter­ave l’hiver dernier a aus­si fait un tol­lé auprès des asso­ci­a­tions écol­o­gistes. Ces insec­ti­cides « tueurs d’abeilles » avaient été inter­dits en 2018 à cause de leur dan­gerosité pour le vivant (Vert).

Enfin, le « plan Éco­phy­to II », qui visait à réduire de 50% l’usage des pes­ti­cides d’ici 2018 par rap­port à 2008, a été décalé à 2025. En jan­vi­er 2020, une note de suivi du min­istère de l’Agriculture détail­lait que la vente de pro­duits phy­tosan­i­taires pour un usage agri­cole (cal­culée en « nom­bre de dos­es unités ») avait aug­men­té de 25% entre 2016 et 2018 par rap­port aux années 2009–2011. Après une baisse en 2019, les ventes sont repar­ties à la hausse en 2020 (+23% en un an — Actu envi­ron­nement). L’échec du plan Éco­phy­to n’est pas que celui du gou­verne­ment d’Emmanuel Macron mais ce dernier n’aura pas réus­si à invers­er la ten­dance. 

Le béton contre le vivant

Le quin­quen­nat a été mar­qué par cer­taines déci­sions fortes, comme l’abandon du pro­jet d’aéroport à Notre-Dame-des-Lan­des (Loire-Atlan­tique), du méga­com­plexe de loisirs Europac­i­ty à Gonesse (Val d’Oise) ou encore du pro­jet aurifère de la Mon­tagne d’or en Guyane. En par­al­lèle, le gou­verne­ment s’est illus­tré par la pour­suite de nom­breux « grands pro­jets inutiles », comme les appel­lent cer­taines asso­ci­a­tions. Par­mi eux, le « Grand con­tourne­ment Ouest » (GCO), un tronçon autorouti­er près de Stras­bourg qui men­ace le grand ham­ster d’Alsace, en voie de dis­pari­tion (Reporterre) ou encore le développe­ment expo­nen­tiel des entre­pôts d’Amazon.

Reporterre a dévelop­pé une carte par­tic­i­pa­tive de ces « grands pro­jets inutiles » avec les activistes vidéastes de Partager c’est sym­pa et l’ONG Le Mou­ve­ment. Cliquez sur l’im­age pour y accéder ! © Reporterre

En décem­bre 2020, la loi Asap (pour « accéléra­tion et sim­pli­fi­ca­tion de l’action publique ») a facil­ité l’implantation de sites indus­triels en rac­cour­cis­sant les délais prévus pour recueil­lir l’aval de l’Autorité envi­ron­nemen­tale et en sim­pli­fi­ant les modal­ités des con­sul­ta­tions publiques (désor­mais pos­si­bles en ligne). Dans un avis ren­du en févri­er 2021, l’Autorité envi­ron­nemen­tale con­sid­ère que cette loi « réduit sig­ni­fica­tive­ment le champ de la par­tic­i­pa­tion du pub­lic, ce qui con­stitue à tout le moins une régres­sion démoc­ra­tique ».

La loi Cli­mat et résilience, votée en août 2021, fixe un objec­tif « Zéro arti­fi­cial­i­sa­tion nette » à l’horizon 2050. Mais selon la LPO, « en dépit de la loi ELAN cen­sée lut­ter con­tre l’étalement urbain et favoris­er la den­si­fi­ca­tion, l’artificialisation en France (env­i­ron 50 000 hectares par an) a con­tin­ué de pro­gress­er à une vitesse supérieure à la moyenne européenne et à la crois­sance démo­graphique ». Des chiffres très dif­férents de ceux du min­istère de la Tran­si­tion écologique, qui évoque plutôt entre 20 000 et 30 000 hectares arti­fi­cial­isés chaque année. À titre de com­para­i­son, la ville de Mar­seille s’étale sur 24 000 hectares. Or, la béton­i­sa­tion accélère la perte de bio­di­ver­sité et par­ticipe aus­si au réchauf­fe­ment cli­ma­tique car un sol arti­fi­cial­isé n’absorbe plus le CO2, cap­té essen­tielle­ment par les végé­taux. Les nom­breux dérè­gle­ments liés au réchauf­fe­ment, en retour, nuisent à l’ensemble du vivant comme Vert l’avait décryp­té. À ce titre, le bilan de l’exécutif dans sa lutte con­tre la crise cli­ma­tique est désas­treux, alors qu’il a été con­damné par la jus­tice pour ses « carences fau­tives » dans ce domaine (Vert). 

Enfin, alors que la Con­ven­tion citoyenne pour le cli­mat (CCC) récla­mait un mora­toire sur l’aménagement de nou­velles zones com­mer­ciales, le gou­verne­ment a décidé d’affaiblir cette propo­si­tion en exclu­ant les entre­pôts logis­tiques et en per­me­t­tant des déro­ga­tions pour les pro­jets inférieures à 10 000 m². Une lim­ite bien trop élevée pour le Réseau action cli­mat, qui détaille dans un rap­port que « 80% des pro­jets se trou­vent en dessous de ce seuil, la moyenne des sur­faces com­mer­ciales en 2019 étant de 2 000 m² ». 

Chasse et forêts

« En France, rarement un chef de l’État aura fait autant de cadeaux et accordé de passe-droits au monde de la chas­se », étrille la LPO dans son récent rap­port. Par­mi les faveurs, la baisse du prix de la licence de chas­se (passée de 400 à 205 euros) ou encore la pour­suite des chas­s­es tra­di­tion­nelles d’oiseaux entravée, donc, par les déci­sions suc­ces­sives du Con­seil d’Etat. En 2019, l’Office nation­al de la chas­se et de la faune sauvage (ONCFS) et l’Agence française pour la bio­di­ver­sité (AFB) ont fusion­né pour devenir l’Office français de la bio­di­ver­sité (OFB). Une « Fer­rari avec un moteur de 2CV » dont les effec­tifs « fondent plus vite que les glac­i­ers », avait alors dénon­cé le Syn­di­cat nation­al de l’en­vi­ron­nement, indi­quant qu’« entre 2012 et 2019, l’ON­CFS a été vidé de 14 % de ses effec­tifs » et que « 30 % des ser­vices départe­men­taux sont en sous-effec­tif »

Autre organ­isme pub­lic, même prob­lème. Depuis une dizaine d’années, l’Office nation­al des forêts (ONF), qui gère les forêts publiques, subit une baisse pro­gres­sive de ses effec­tifs (de 10 000 à 8 400). En juin dernier, la direc­tion de l’établissement pub­lic a annon­cé la sup­pres­sion de 475 postes sup­plé­men­taires dans les cinq années à venir. Une enquête de Libéra­tion fai­sait état d’une pri­vati­sa­tion par­tielle des activ­ités de l’ONF qui pour­rait être amenée à sous-traiter ses « mis­sions d’intérêt général » (au nom de la loi Asap men­tion­née plus haut) à des acteurs privés. Le trans­fert de ces mis­sions, qui com­pren­nent la pro­tec­tion de la bio­di­ver­sité, la veille des incendies ou la restau­ra­tion des ter­rains, pour­rait avoir de lour­des con­séquences sur les forêts gérées par l’ONF, soit 25% des forêts français­es. Forte­ment endet­té, l’ONF est pris en étau entre ses exi­gences de rentabil­ité et la fragilité de ses revenus, ce qui a pour effet de recen­tr­er ses activ­ités sur la coupe du bois plutôt que la pro­tec­tion des sols ou de l’environnement. 

Le gou­verne­ment a été som­mé par le Con­seil d’État et la Com­mis­sion européenne de chang­er sa poli­tique de ges­tion de l’ours dans les Pyrénées. En 2019, les éleveurs avaient obtenu un arrêté leur per­me­t­tant de réalis­er des « tirs d’effarouchement » pour prévenir les dégâts des ours sur leurs trou­peaux. Résul­tat : trois ours tués, l’annulation par­tielle de l’arrêté par le Con­seil d’État et une demande expresse de l’Europe de réin­tro­duire des ours dans les Pyrénées pour com­penser les pertes. La France a refusé de se pli­er à la demande européenne, et ce mal­gré la fragilité de l’espèce — seule­ment 64 indi­vidus en 2020. 

De nou­velles aires pro­tégées ont été créées au cours du quin­quen­nat d’Emmanuel Macron. Le 11ème parc nation­al français (c’est-à-dire un ter­ri­toire inhab­ité avec des mesures strictes de con­ser­va­tion) a vu le jour en 2019 entre la Cham­pagne et la Bour­gogne, tan­dis que le nom­bre de parcs naturels régionaux (régions préservées mais tou­jours habitées) est passé de 51 en 2017 à 58 en 2021. 

Des lacunes dans la méthode

Dans un avis ren­du en sep­tem­bre 2020, le Con­seil économique, social et envi­ron­nemen­tal (CESE) avait pointé du doigt l’application « très lacu­naire » par le gou­verne­ment de la loi « pour la recon­quête de la bio­di­ver­sité », votée en août 2016. Le CESE regret­tait notam­ment un bud­get insuff­isant alloué à la sauve­g­arde du vivant : « Au total, 1,265 mil­liard d’euros est directe­ment ou indi­recte­ment con­sacré à la bio­di­ver­sité par l’État et ses opéra­teurs, soit moins de 0,4 % du bud­get de l’État ». 

Out­re le bilan, ce sont aus­si les méth­odes du gou­verne­ment qui ont héris­sé le poil des asso­ci­a­tions. « C’est du jamais-vu, jamais un prési­dent ou un min­istre de l’Agriculture n’avait refusé de ren­con­tr­er la LPO sur des ques­tions agri­coles pen­dant tout un quin­quen­nat. […] On nous a beau­coup con­sulté, lais­sé la parole et la pos­si­bil­ité d’envoyer nos con­tri­bu­tions, on a même eu l’impression que nos con­stats étaient alignés. Et puis finale­ment, rien », décrit Pauline Rat­tez, chargée de mis­sion à la LPO.

Un con­stat partagé par d’autres ONG telles que France Nature Envi­ron­nement (FNE). « C’est à l’image du quin­quen­nat, c’est-à-dire le syn­drome Macron du “en même temps” : quelques points sym­bol­iques et impor­tants, et en même temps des mesures extrême­ment prob­lé­ma­tiques… », se désole Chris­t­ian Hosy, coor­di­na­teur du réseau bio­di­ver­sité pour l’association depuis 17 ans. 

Pour FNE, il reste encore un espoir de faire du quin­quen­nat Macron un temps fort de la bio­di­ver­sité : l’adoption, au print­emps 2022, de la future Stratégie nationale pour la bio­di­ver­sité (SNB). Il s’agit de la troisième décli­nai­son française de la Con­ven­tion inter­na­tionale sur la diver­sité biologique, rat­i­fiée lors du Som­met de la Terre de Rio en 1992. Elle devrait fix­er le cap des poli­tiques publiques français­es en matière de bio­di­ver­sité pour les dix années à venir. « Tous les acteurs en présence ont apporté leurs propo­si­tions et c’est main­tenant au min­istère [de la Tran­si­tion écologique] de jouer. »