Le contre-programme

La rénovation thermique des logements : un chantier nécessaire pour le climat, la justice sociale et contre le gaz russe

La guerre en Ukraine nous contraint à réduire notre consommation d'énergie pour tourner le dos aux hydrocarbures russes. Pour cela, il existe un remède, qui sert à la fois le climat et la justice sociale : la rénovation thermique du parc immobilier. Malheureusement, la France est très en retard sur ce chantier et seule une poignée de candidat·es à la présidentielle semblent en saisir les enjeux.
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En France, le bâti­ment est le deux­ième secteur le plus émet­teur de gaz à effet de serre. À lui seul, il représente 27 % des émis­sions de CO2 (dont deux tiers sont issus du secteur rési­den­tiel) et près de 45 % de la con­som­ma­tion d’énergie finale (Min­istère de la tran­si­tion écologique). Alors que la France s’est don­né pour but d’at­tein­dre la neu­tral­ité car­bone en 2050 (à cette date, le pays ne devra plus émet­tre davan­tage que ce qu’il ne peut stock­er, notam­ment grâce aux arbres), le rôle du loge­ment est donc cen­tral. L’enjeu, gravé dans le mar­bre de la loi, con­siste à rénover cinq mil­lions de loge­ments mal isolés (les fameuses « pas­soires énergé­tiques », loge­ments classés F ou G au diag­nos­tic de per­for­mance énergé­tique — DPE), notam­ment pour lut­ter con­tre la pré­car­ité énergé­tique, alors que 3,8 mil­lions de ménages ont des dif­fi­cultés à pay­er leur fac­ture de chauffage ; sans oubli­er les 100 mil­lions de mètres car­rés de bâti­ments publics, le parc social et les bâti­ments ter­ti­aires des petites et moyennes entre­pris­es (TPE/PME).

Comme le rap­pelle le think tank d’ingénieurs du Shift project, « la moitié des 37 mil­lions de loge­ments français sont chauf­fés par le biais d’énergies fos­siles (gaz ou fioul) ». Il faut donc migr­er vers des sources d’énergie bas-car­bone pour tous les chauffages fos­siles — « excep­té quelques loge­ments col­lec­tifs au gaz », pré­conise le Shift, qui recom­mande en par­al­lèle de lim­iter le recours au bois et à l’effet Joule (la chaleur pro­duite par les radi­a­teurs élec­triques).

Les prévi­sions d’évo­lu­tion du secteur du loge­ment dans le Plan de Trans­for­ma­tion de l’é­conomie française du Shift project, un vaste pro­gramme pour décar­bon­er la France jusqu’en 2050 © Shift project

À ce jour, la loi de tran­si­tion énergé­tique pour la crois­sance verte de 2015 et la loi énergie et cli­mat de 2019 fix­ent que l’ensemble du parc de loge­ments soit rénové pour 2050 au niveau bâti­ment basse con­som­ma­tion (BBC — d’après la régle­men­ta­tion ther­mique française RT2012, la con­som­ma­tion énergé­tique des BBC doit être inférieure de 80 % à la con­som­ma­tion nor­male règle­men­taire). Elles exi­gent aus­si que tous les loge­ments à con­som­ma­tion exces­sive d’énergie (class­es F et G) soient rénovés avant 2028.

Les prévi­sions d’évo­lu­tion du secteur du loge­ment dans le Plan de Trans­for­ma­tion de l’é­conomie française © Shift project

Avec 33 000 réno­va­tions par an, le rythme actuel est très en deça de qui est req­uis. Selon les dif­férentes direc­tives du Plan nation­al de réno­va­tion ou de la Stratégie nationale bas-car­bone (SNBC — la feuille de route cli­ma­tique de la France), les 21,7 mil­lions de loge­ments datant d’avant l’an 2000 ne seront rénovés d’i­ci à 2050 que si 700 000 à 800 000 réno­va­tions com­plètes (au niveau BBC) sont effec­tuées chaque année. « Plus on retarde le démar­rage de cette mas­si­fi­ca­tion, plus le nom­bre de loge­ments à rénover annuelle­ment sera élevé », explique ain­si le réseau négaWatt (qui rassem­ble une ving­taine d’expert·es et professionnel·les de l’énergie) dans une note d’analyse datant de jan­vi­er 2020. « L’ampleur des trans­for­ma­tions à entre­pren­dre à l’horizon 2050 impose une action organ­isée et vigoureuse », note le Plan de trans­for­ma­tion de l’é­conomie française (PTEF) pub­lié par le Shift.

Un gigantesque chantier, une filière artisanale à transformer

« Mal­gré une évidente volonté des pou­voirs publics à entr­er dans le vif du sujet, le plan de rénovation tel qu’il est conçu aujourd’hui tourne au ralen­ti », com­mente Olivi­er Sidler, spé­cial­iste du sujet et porte-parole de négaWatt. « L’état n’a pas de vision glob­ale, l’accompagnement n’est pas assez sys­témique et les moyens ne sont pas assez nom­breux », abonde pour Vert Rémi Babut, chef de pro­jet Loge­ment pour le Shift.

Trois raisons expliquent ce dys­fonc­tion­nement : la pré­somp­tion erronée que les Français·es vont entre­pren­dre seul·es la réno­va­tion de leur loge­ment grâce aux aides en vigueur ; l’idée que la réno­va­tion peut se faire en plusieurs fois, par étape, en com­mençant par les amé­nage­ments les plus renta­bles ; et enfin des dis­posi­tifs de finance­ments nom­breux et illis­i­bles, avec des fac­tura­tions abu­sives effec­tuées par certain·es artisan·es.

Une solu­tion serait donc de remet­tre à plat le dis­posi­tif. « Aujourd’hui, on fait de la main­te­nance et de l’entretien : on change des chaudières et des fenêtres — des travaux ther­miques classés dans la réno­va­tion, mais qui ne per­me­t­tent pas d’atteindre la per­for­mance », relève Vin­cent Legrand, directeur de DORé­MI — une entre­prise de l’é­conomie sociale et sol­idaire désireuse de sor­tir durable­ment les Français·es de la pré­car­ité énergé­tique. « Une rénovation complète et per­for­mante peut être plan­i­fiée en deux ou trois étapes max­i­mum, la première devant regrouper plusieurs travaux tech­nique­ment indis­so­cia­bles, en tra­vail­lant le con­fort par l’isolation et l’étanchéité », ajoute-t-il, insis­tant sur les économies ain­si générées.

Plutôt que d’inciter les Français·es à ini­ti­er ces travaux, négaWatt estime qu’il serait poli­tique­ment respon­s­able de ren­dre oblig­a­toire la rénovation : « même si cette décision peut a pri­ori paraître impop­u­laire, c’est l’unique moyen de rénover au bon rythme d’i­ci à 2050 ». Cette oblig­a­tion reposerait sur la mise en place d’un inter­locu­teur unique en mesure de fournir un finance­ment cou­vrant la total­ité des travaux de réno­va­tion énergé­tique. « Basée sur l’équilibre en trésorerie du ménage, une telle approche se finance au moyen d’un prêt à taux zéro à mon­tant et durée ajusta­bles des travaux qui génèrent une économie d’énergie, donc une économie financière », pré­cise Olivi­er Sidler.

La mise en œuvre de ces mesures passe par « un besoin de main d’œuvre sup­plé­men­taire et par la mon­tée en com­pé­tences du secteur », note le Shift. Le think tank estime qu’il faudrait quelque 110 000 équiv­a­lents temps plein (ETP) sup­plé­men­taires pour attein­dre un total de 180 000 emplois dans la réno­va­tion ther­mique et 570 000 dans l’ensemble des activ­ités d’entretien et de réno­va­tion. « Hélas aujourd’hui, la grande majorité des arti­sans et pro­fes­sion­nels de la con­struc­tion n’affrontent pas cette ques­tion. Il faut absol­u­ment organ­is­er la tran­si­tion des 550 000 entre­pris­es arti­sanales du pays », insiste Vin­cent Legrand qui, pour pal­li­er le déficit, accom­pa­gne aujourd’hui des groupe­ments d’artisans dans leur recon­ver­sion.

Le plan des candidat·es pour la rénovation

Trois pro­grammes se dis­tinguent par­mi les douze prétendant·es à la prési­dence française : celui de Jean-Luc Mélen­chon (La France insoumise) veut oblig­er la réno­va­tion des « pas­soires ther­miques » et lut­ter con­tre le loge­ment indigne en instau­rant un « per­mis de louer ». « Il y a 200 mil­liards d’eu­ros à inve­stir pour la tran­si­tion écologique », a‑t-il déclaré lors de son meet­ing de Mont­pel­li­er le 13 févri­er. Le can­di­dat des Verts Yan­nick Jadot souhaite « met­tre le paquet » sur l’iso­la­tion et ren­dre les travaux acces­si­bles aux ménages les plus pau­vres. Il financerait le tout avec un impôt cli­ma­tique sur la for­tune (notre arti­cle). Égale­ment favor­able à cet ISF cli­ma­tique, la social­iste Anne Hidal­go promet de rénover 22 mil­lions de loge­ments d’i­ci à 2050, à rai­son de 760 000 réno­va­tions par an.

Dans le pro­gramme du com­mu­niste Fabi­en Rous­sel, l’oblig­a­tion de réno­va­tion énergé­tique per­for­mante est fixée pour 2040, et celle des pas­soires ther­miques d’i­ci à 2030 — un change­ment opéré sans reste à charge pour les plus mod­estes, avec un bud­get de dix mil­liards d’eu­ros par an pour isol­er et rénover 700 000 loge­ments.

À droite, Valérie Pécresse veut dou­bler le rythme actuel de réno­va­tion énergé­tique des loge­ments. Elle incit­erait les Français·es à le faire avec la créa­tion d’un livret Vert (qui serait une fusion du Livret A et du Livret de développe­ment durable et sol­idaire) — des objec­tifs large­ment en deçà des besoins actuels. Marine Le Pen (Rassem­ble­ment nation­al) désire réal­louer les 25 mil­liards d’eu­ros prévus pour la con­struc­tion d’éoli­ennes en mer au rem­place­ment de chaudières au fioul et prône un pro­duit d’épargne « loge­ment vert », pour financer la réno­va­tion lors d’un achat. Emmanuel Macron, prési­dent can­di­dat à sa réélec­tion, n’a pas don­né de détail sur ce sujet pour l’in­stant.

Mar­di, la Com­mis­sion européenne a présen­té son plan pour tourn­er le dos au gaz russe ; la réno­va­tion ther­mique y fig­ure en bonne place, aux côtés du développe­ment des renou­ve­lables (Vert). Les aspi­rants à l’Elysée s’en inspireront-ils ?

Cet arti­cle fait par­tie du con­tre-pro­gramme prési­den­tiel de Vert : une sélec­tion de mesures poli­tiques que nous voudri­ons voir fig­ur­er dans l’ensemble des pro­grammes, de gauche comme de droite. Celles-ci ont en com­mun de pou­voir être rapi­de­ment mis­es en œuvre, d’avoir un fort poten­tiel de réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre, d’être sociale­ment justes et de pré­par­er le ter­rain aux change­ments d’ampleur qu’exige la crise cli­ma­tique. Retrou­vez le con­tre-pro­gramme en cli­quant ici.