En France, le bâtiment est le deuxième secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre. À lui seul, il représente 27 % des émissions de CO2 (dont deux tiers sont issus du secteur résidentiel) et près de 45 % de la consommation d’énergie finale (Ministère de la transition écologique). Alors que la France s’est donné pour but d’atteindre la neutralité carbone en 2050 (à cette date, le pays ne devra plus émettre davantage que ce qu’il ne peut stocker, notamment grâce aux arbres), le rôle du logement est donc central. L’enjeu, gravé dans le marbre de la loi, consiste à rénover cinq millions de logements mal isolés (les fameuses « passoires énergétiques », logements classés F ou G au diagnostic de performance énergétique – DPE), notamment pour lutter contre la précarité énergétique, alors que 3,8 millions de ménages ont des difficultés à payer leur facture de chauffage ; sans oublier les 100 millions de mètres carrés de bâtiments publics, le parc social et les bâtiments tertiaires des petites et moyennes entreprises (TPE/PME).
Comme le rappelle le think tank d’ingénieurs du Shift project, « la moitié des 37 millions de logements français sont chauffés par le biais d’énergies fossiles (gaz ou fioul) ». Il faut donc migrer vers des sources d’énergie bas-carbone pour tous les chauffages fossiles – « excepté quelques logements collectifs au gaz », préconise le Shift, qui recommande en parallèle de limiter le recours au bois et à l’effet Joule (la chaleur produite par les radiateurs électriques).
À ce jour, la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015 et la loi énergie et climat de 2019 fixent que l’ensemble du parc de logements soit rénové pour 2050 au niveau bâtiment basse consommation (BBC – d’après la réglementation thermique française RT2012, la consommation énergétique des BBC doit être inférieure de 80 % à la consommation normale règlementaire). Elles exigent aussi que tous les logements à consommation excessive d’énergie (classes F et G) soient rénovés avant 2028.
Avec 33 000 rénovations par an, le rythme actuel est très en deça de qui est requis. Selon les différentes directives du Plan national de rénovation ou de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC – la feuille de route climatique de la France), les 21,7 millions de logements datant d’avant l’an 2000 ne seront rénovés d’ici à 2050 que si 700 000 à 800 000 rénovations complètes (au niveau BBC) sont effectuées chaque année. « Plus on retarde le démarrage de cette massification, plus le nombre de logements à rénover annuellement sera élevé », explique ainsi le réseau négaWatt (qui rassemble une vingtaine d’expert·es et professionnel·les de l’énergie) dans une note d’analyse datant de janvier 2020. « L’ampleur des transformations à entreprendre à l’horizon 2050 impose une action organisée et vigoureuse », note le Plan de transformation de l’économie française (PTEF) publié par le Shift.
Un gigantesque chantier, une filière artisanale à transformer
« Malgré une évidente volonté des pouvoirs publics à entrer dans le vif du sujet, le plan de rénovation tel qu’il est conçu aujourd’hui tourne au ralenti », commente Olivier Sidler, spécialiste du sujet et porte-parole de négaWatt. « L’état n’a pas de vision globale, l’accompagnement n’est pas assez systémique et les moyens ne sont pas assez nombreux », abonde pour Vert Rémi Babut, chef de projet Logement pour le Shift.
Trois raisons expliquent ce dysfonctionnement : la présomption erronée que les Français·es vont entreprendre seul·es la rénovation de leur logement grâce aux aides en vigueur ; l’idée que la rénovation peut se faire en plusieurs fois, par étape, en commençant par les aménagements les plus rentables ; et enfin des dispositifs de financements nombreux et illisibles, avec des facturations abusives effectuées par certain·es artisan·es.
Une solution serait donc de remettre à plat le dispositif. « Aujourd’hui, on fait de la maintenance et de l’entretien : on change des chaudières et des fenêtres – des travaux thermiques classés dans la rénovation, mais qui ne permettent pas d’atteindre la performance », relève Vincent Legrand, directeur de DORéMI – une entreprise de l’économie sociale et solidaire désireuse de sortir durablement les Français·es de la précarité énergétique. « Une rénovation complète et performante peut être planifiée en deux ou trois étapes maximum, la première devant regrouper plusieurs travaux techniquement indissociables, en travaillant le confort par l’isolation et l’étanchéité », ajoute-t-il, insistant sur les économies ainsi générées.
Plutôt que d’inciter les Français·es à initier ces travaux, négaWatt estime qu’il serait politiquement responsable de rendre obligatoire la rénovation : « même si cette décision peut a priori paraître impopulaire, c’est l’unique moyen de rénover au bon rythme d’ici à 2050 ». Cette obligation reposerait sur la mise en place d’un interlocuteur unique en mesure de fournir un financement couvrant la totalité des travaux de rénovation énergétique. « Basée sur l’équilibre en trésorerie du ménage, une telle approche se finance au moyen d’un prêt à taux zéro à montant et durée ajustables des travaux qui génèrent une économie d’énergie, donc une économie financière », précise Olivier Sidler.
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La mise en œuvre de ces mesures passe par « un besoin de main d’œuvre supplémentaire et par la montée en compétences du secteur », note le Shift. Le think tank estime qu’il faudrait quelque 110 000 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires pour atteindre un total de 180 000 emplois dans la rénovation thermique et 570 000 dans l’ensemble des activités d’entretien et de rénovation. « Hélas aujourd’hui, la grande majorité des artisans et professionnels de la construction n’affrontent pas cette question. Il faut absolument organiser la transition des 550 000 entreprises artisanales du pays », insiste Vincent Legrand qui, pour pallier le déficit, accompagne aujourd’hui des groupements d’artisans dans leur reconversion.
Le plan des candidat·es pour la rénovation
Trois programmes se distinguent parmi les douze prétendant·es à la présidence française : celui de Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) veut obliger la rénovation des « passoires thermiques » et lutter contre le logement indigne en instaurant un « permis de louer ». « Il y a 200 milliards d’euros à investir pour la transition écologique », a-t-il déclaré lors de son meeting de Montpellier le 13 février. Le candidat des Verts Yannick Jadot souhaite « mettre le paquet » sur l’isolation et rendre les travaux accessibles aux ménages les plus pauvres. Il financerait le tout avec un impôt climatique sur la fortune (notre article). Également favorable à cet ISF climatique, la socialiste Anne Hidalgo promet de rénover 22 millions de logements d’ici à 2050, à raison de 760 000 rénovations par an.
Dans le programme du communiste Fabien Roussel, l’obligation de rénovation énergétique performante est fixée pour 2040, et celle des passoires thermiques d’ici à 2030 – un changement opéré sans reste à charge pour les plus modestes, avec un budget de dix milliards d’euros par an pour isoler et rénover 700 000 logements.
À droite, Valérie Pécresse veut doubler le rythme actuel de rénovation énergétique des logements. Elle inciterait les Français·es à le faire avec la création d’un livret Vert (qui serait une fusion du Livret A et du Livret de développement durable et solidaire) – des objectifs largement en deçà des besoins actuels. Marine Le Pen (Rassemblement national) désire réallouer les 25 milliards d’euros prévus pour la construction d’éoliennes en mer au remplacement de chaudières au fioul et prône un produit d’épargne « logement vert », pour financer la rénovation lors d’un achat. Emmanuel Macron, président candidat à sa réélection, n’a pas donné de détail sur ce sujet pour l’instant.
Mardi, la Commission européenne a présenté son plan pour tourner le dos au gaz russe ; la rénovation thermique y figure en bonne place, aux côtés du développement des renouvelables (Vert). Les aspirants à l’Elysée s’en inspireront-ils ?
Cet article fait partie du contre-programme présidentiel de Vert : une sélection de mesures politiques que nous voudrions voir figurer dans l’ensemble des programmes, de gauche comme de droite. Celles-ci ont en commun de pouvoir être rapidement mises en œuvre, d’avoir un fort potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre, d’être socialement justes et de préparer le terrain aux changements d’ampleur qu’exige la crise climatique. Retrouvez le contre-programme en cliquant ici.
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