Cent soixante pages, 14 chapitres et 600 mesures : le programme de Jean-Luc Mélenchon pour l’élection présidentielle d’avril prochain est, sans conteste, le plus détaillé de tous. Il faut dire que la première version remonte à 2012 (et s’appelait l’Humain d’abord). S’en sont suivies plusieurs vagues d’enrichissement collectif organisées au sein de la France insoumise. Dans cette dernière édition, en librairie depuis octobre, la dimension écosociale y est plus prononcée que jamais. L’écosocialisme, en somme, consiste à défendre l’idée selon laquelle il ne peut y avoir de progrès social sans respect de l’environnement, et inversement. « Notre conviction est que l’on ne peut concevoir l’écologie qu’en partant de ceux qui ont le moins », s’en explique Martine Billard, en charge du chapitre sur la planification écologique. S’il est vrai que les riches polluent plus, c’est encore plus vrai que les pauvres en subissent davantage les conséquences. « Surtout, l’exemple des gilets jaunes a confirmé qu’on ne peut pas conduire la transition en produisant des inégalités entre ceux qui peuvent [payer les taxes, changer de voiture, Ndlr] et ceux qui ne peuvent pas », insiste l’ex-écologiste, soutien de Jean-Luc Mélenchon depuis 2009.
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L’Avenir en commun se distingue des autres programmes de gauche par de très nombreuses propositions qui marient à la fois l’écologie et le social. C’est le cas du raccourcissement du temps de travail (semaine à 32 heures, retraite à 60 ans et sixième semaine de congés payés) mais aussi du protectionnisme écologique (instauration de droits de douanes sur critères écologiques), de la mise en place d’une sécurité sociale de l’alimentation pour lutter contre la malbouffe ou encore du lancement de grands chantiers écologiques créateurs d’emplois – développement des énergies renouvelables, chantiers de dépollutions, de rénovations des logements, etc. « C’est la principale différence avec Europe écologie – les Verts, à qui j’ai souvent reproché de ne pas mettre les questions sociales au même niveau que les questions écologiques », pointe Thomas Portes, l’ex porte-parole de Sandrine Rousseau, venu grossir les rangs de la France insoumise en décembre après la défaite de sa candidate en finale de la primaire écologiste.
Avec de telles mesures, la France insoumise fait le pari de convaincre les classes laborieuses et populaires que l’écologie ne rime pas avec fermeture d’usines, taxes supplémentaires et injustice, mais plutôt avec création d’emplois non-délocalisables, lutte contre le mal-logement ou la malbouffe.
La planification écologique pour respecter l’Accord de Paris
L’une des propositions-phares du programme – la planification écologique – découle aussi de cette vision écosocialiste. « Il y a d’abord la certitude que le respect des limites planétaires et humaines n’est pas compatible avec le tout-marché », explique Eric Coquerel, député et porte-parole de la France insoumise. Mais cette idée d’un État stratège qui organise la transition secteur par secteur est aussi une réponse à l’urgence actuelle : « On voit bien aujourd’hui qu’il n’y a plus le temps pour les incitations », tranche Martine Billard. Dit autrement, « le capitalisme écologique de bonne volonté, ça n’existe pas », des mots de Jean-Luc Mélenchon (Le Monde). Cette planification passera, en premier lieu, par un fort relèvement des ambitions climatiques afin de mettre la France en ligne avec l’objectif de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à +1,5 °C. La baisse visée des émissions passera à 65% pour 2030 (au lieu de 40% actuellement) par rapport à 1990. Le lancement d’un plan massif de 200 milliards d’euros d’investissements « écologiquement et socialement utiles » est également prévu.
Parallèlement, la France insoumise propose d’inscrire une « règle verte » dans la constitution, selon laquelle on ne prélève pas davantage à la nature que ce qu’elle est en état de reconstituer. « Cela entraînera une bifurcation générale de l’appareil législatif. Et l’État pourra aussi être attaqué juridiquement puisque cette règle verte deviendra opposable », explique Martine Billard. Voilà qui ravira les avocat·es de l’Affaire du siècle. Enfin, il est proposé de collectiviser les biens communs essentiels comme l’eau, l’air ou la forêt afin de les soustraire aux logiques marchandes et de faciliter leur protection ainsi que celle de la biodiversité. De même les entreprises-clés du transport (SNCF) ou de l’énergie (EDF, Engie) seraient (re)nationalisées pour faciliter leur transition.
Les chapitres sectoriels du programme sont également très fournis. En particulier ceux sur l’énergie et l’agriculture. La France insoumise souhaite notamment se passer des énergies fossiles, mais aussi du nucléaire, à horizon 2045. Pour y parvenir, Jean-Luc Mélenchon a déjà indiqué qu’il se soumettrait à l’expertise des ingénieur·es de l’association négaWatt, dont Vert a décrypté le dernier scénario 100% renouvelable vers la neutralité carbone. Côté agriculture, le programme prévoit rien de moins qu’une « révolution agricole » avec la création de 300 000 emplois dans le secteur, l’interdiction des fermes-usines, des pesticides et des OGM. La lutte contre les maltraitances animales y est également abondamment traitée.
En 2017, le programme de la France insoumise avait emporté la préférence de 20 associations écologistes (dont Greenpeace, Bloom ou L214) et de justice sociale (Oxfam, Secours catholique, Amnesty international) devant celui défendu par Benoît Hamon et Yannick Jadot (voir leur comparatif ici). A quelques semaines des élections, Jean-Luc Mélenchon continue d’ailleurs de rallier des personnalités issus des mouvements écologistes et sociaux, comme Aurélie Trouvé, ancienne porte-parole d’Attac, l’essayiste Aymeric Caron ou encore Claire Lejeune, ex-dirigeante des jeunes écologistes.
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