Au rapport

Betteraves, noisettes, cerises : ces filières privées de pesticides néonicotinoïdes sont «fragilisées», mais des alternatives existent

Le vert est dans le fruit. Sollicitée en mai par le ministère de l'agriculture dans le cadre des débats sur la loi Duplomb, une équipe de scientifiques vient de rendre son rapport sur les alternatives à ces pesticides «tueurs d'abeilles». Substances moins toxiques, pratiques préventives, biocontrôle… si les solutions existent, elles restent encore trop peu développées.
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Quelles sont les filières agricoles qui disposent – ou non – d’alternatives concrètes et efficaces pour se passer des néonicotinoïdes, ces puissants insecticides connus pour leurs effets néfastes sur l’environnement et la santé ? Telle est la question qu’avait adressée le 16 mai dernier le ministère de l’agriculture à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) – l’un des principaux centres d’études sur l’agriculture en France.

À l’époque, le débat politique était polarisé autour de la loi Duplomb. Ce texte agricole décrié prévoyait – entre autres – de réautoriser plusieurs néonicotinoïdes «tueurs d’abeilles» toujours utilisés hors de France (dont l’acétamipride, notre article). Si cette mesure a finalement été censurée par le Conseil constitutionnel, et donc retirée de la version finale de la loi, Laurent Duplomb (l’un des sénateurs à l’origine de la loi du même nom) n’a pas écarté l’idée de revenir à la charge avec une nouvelle proposition de loi à ce sujet.

La betterave sucrière est un cas emblématique de ces filières qui demandent la réautorisation des pesticides néonicotinoïdes. © Adobe stock

Dans un rapport paru mardi 28 octobre, une équipe de 15 expert·es de l’Inrae conclut que plusieurs filières réclamant le retour des néonicotinoïdes sont «fragilisées par le manque de solutions opérationnelles et disponibles pour la protection contre certains ravageurs, mais à des degrés divers et selon des temporalités différentes». Les scientifiques dressent la liste des solutions qui s’offrent à elles.

Betteraves : face au risque de jaunisse, un panel de solutions connu de longue date

Avec ses 400 000 hectares de champs cultivés dans la moitié nord de la France depuis l’époque napoléonienne, la betterave sucrière est un cas emblématique. Cela fait plusieurs années que cette puissante filière réclame le retour des néonicotinoïdes – elle a même obtenu des dérogations pour y recourir jusqu’en 2023 (notre article) – afin de lutter contre la jaunisse de la betterave, une maladie causée par les piqûres de pucerons. Cette dernière a traumatisé les cultivateur·ices lors de la récolte catastrophique de 2020, avec une chute de rendement national de 30%. «Elle peut être dommageable, mais ne l’est pas chaque année et peut l’être à certains endroits et pas à d’autres, comme c’est le cas en 2025», où l’Île-de-France, la Champagne et le Centre-Val de Loire sont particulièrement affectés, nuance Christian Lannou, épidémiologiste et coordinateur du rapport de l’Inrae.

Pour l’instant, la lutte contre les pucerons repose principalement sur l’utilisation d’autres insecticides moins toxiques que les néonicotinoïdes (mais parfois plus efficaces). Si ces derniers «restent à ce jour nécessaires à la filière», d’après le rapport de l’Inrae, plusieurs alternatives non-chimiques sont documentées depuis plusieurs années (y compris dans de précédents rapports, notre article). La plus simple à mettre en place est la «prophylaxie», soit le fait de prendre des mesures préventives contre la maladie : supprimer les résidus de plantes laissés dans les champs après les récoltes – qui servent de foyer au virus pour les années suivantes –, veiller à l’éloignement entre les différentes cultures… D’autres solutions sont à l’étude, comme des techniques de biocontrôle (des plantes qui perturbent le déplacement des pucerons, ou qui favorisent leurs prédateurs…) ou encore le choix de variétés de betteraves plus résistantes à la jaunisse.

Noisettes : une filière «au bord de la faillite», mais des espoirs d’alternatives pour les prochaines années

À l’inverse, la noisette est une filière bien plus petite et bien plus récente : développée dans le Sud-Ouest depuis les années 1970, elle atteint 8 000 hectares et concerne quelques centaines de producteur·ices. Ces dernières années, les noisiculteur·ices font face à de lourdes pertes liées aux attaques de deux insectes : le balanin – un petit coléoptère qui pond ses œufs dans les jeunes noisettes – et la punaise diabolique, qui pique et suce les fruits. Dans son rapport, l’Inrae estime même que la filière est aujourd’hui «au bord de la faillite». «De toutes les filières qui ont été étudiées, c’est celle qui aurait probablement le plus d’arguments pour demander une dérogation [d’utilisation de l’acétamipride], mais cela relève d’un débat politique», analyse Philippe Mauguin, président et directeur général de l’Inrae.

Grand d’une dizaine de millimètres, le balanin a une fâcheuse habitude : il pond à l’intérieur des noisettes, puis sa larve se régale de l’intérieur du fruit. © Alain C./Flickr

S’il existe quelques très rares exploitations de noisettes bio (notre reportage), la grande majorité de la filière multiplie les traitements autorisés à base d’insecticides pyréthrinoïdes, qui peuvent eux-aussi avoir des effets négatifs sur l’environnement. Mais là encore, des solutions non-chimiques sont à l’étude. Pour le balanin, il s’agit de petits vers et de champignons dits «entomopathogènes», qui parasitent les insectes jusqu’à leur mort : «Ces solutions ne sont pas encore disponibles, elles pourraient l’être dans un horizon de trois à cinq ans», précise Laure Mamy, écotoxicologue à l’Inrae et autrice du rapport. La recherche se tourne aussi vers de petites guêpes «samouraï», qui ont pour habitude de pondre dans les œufs des punaises diaboliques – réduisant donc leur propagation. «Cette méthode a fait ses preuves, il y a maintenant un besoin de la développer à grande échelle», encourage Laure Mamy.

Pommes : face aux pucerons, des pesticides moins toxiques et des alternatives biologiques à l’étude

Malgré ses 40 000 hectares de vergers répartis dans tout le pays et sa puissance d’exportation, la production française de pommes «subit une érosion lente mais régulière», expose le rapport. Si le bouleversement climatique et les gels tardifs jouent un rôle certain, l’une des causes de ce déclin vient aussi des attaques de pucerons cendrés. «On a de plus en plus de mal à contrôler ce type de pucerons, on a des décrochages depuis 2023», relate Christian Lannou. En cause, la toxine présente dans leur salive enroule les feuilles de pommiers sur elles-mêmes, ce qui protège les petits insectes des pesticides de contact utilisés par les agriculteur·ices.

Là encore, l’état des lieux de l’Inrae relève que le maintien des insecticides autorisés actuellement semble inévitable tant qu’un panel d’autres alternatives n’est pas mis en place. Des pistes existent déjà : des mesures préventives – comme pour la betterave – qui consistent cette fois à enlever les feuilles des arbres et à traiter les vergers à l’automne, quand les pucerons sont plus vulnérables. Une autre technique plus étonnante est à l’étude, qui vise à éloigner les fourmis des pommiers. Ces dernières sont des alliées bien connues des pucerons : elles les transportent et les protègent de leurs prédateurs en échange du précieux miellat qu’ils sécrètent pour elles.

Cerises : pour contrer les attaques de mouches, filets de protection et lâchers d’insectes stériles

Depuis 2010, les quelque 7 000 hectares de cerises françaises font face à un nouvel insecte invasif, la petite mouche asiatique Drosophila suzukii, qui pique les jeunes fruits. Ces attaques renforcent les difficultés de la filière, explique Christian Lannou : «On voit des petits producteurs qui avaient quelques hectares abandonner devant la difficulté, et d’autres au contraire se spécialiser, devenir de plus en plus techniques.» L’une des solutions – efficace mais coûteuse – plébiscitée par ces derniers est la pose de grands filets autour des arbres, pour empêcher les insectes de les atteindre.

Originaire d’Asie, la petite mouche Drosophila Suzukii peut faire de gros dégâts sur les vergers de cerises et d’autres fruits. © Wilhelmus Fünfzehn/Flickr

D’autres alternatives biologiques existent, comme l’introduction de micro-guêpes capables de réguler les mouches asiatiques, ou encore le développement de la technique de l’insecte stérile. «Il s’agit de stériliser des insectes mâles et de les relâcher dans la nature, ils vont être incapables de se reproduire et cela va faire des “fausses reproductions”, détaille Christian Lannou. En attendant, il faut sécuriser cette filière sur le plan réglementaire en attendant que ces méthodes alternatives soient prêtes, puisque tous les produits de traitement qu’elle utilise sont sous dérogation, parfois depuis plusieurs années, ou sont menacés de retraits prochains.»

Figuiers : une situation sous contrôle, des alternatives à l’étude

Principalement concentrée dans le sud de la France (notamment dans le Var), la petite filière de la figue est elle aussi exposée aux attaques d’une petite mouche, mais la situation «reste globalement sous contrôle», assure le rapport de l’Inrae. Ce dernier liste là encore différentes alternatives à l’étude (piégeage, acariens prédateurs, champignons entomopathogènes…), et appelle à diversifier les produits de traitement des figuiers le temps que ces solutions soient mises en place. Quant au navet, dernière filière à risque identifiée par le ministère de l’agriculture, le puceron étudié «ne pose actuellement pas de problème particulier».

Dans l’ensemble, le rapport se garde bien d’identifier quelles filières pourraient avoir besoin de l’acétamipride – ce n’était pas sa mission. Mais dans chaque situation, «des transformations essentielles sont en cours», qui «doivent être soutenues et finalisées», conclut-il. Dans tous les cas, les scientifiques appellent aussi à combiner les différentes solutions (insecticides moins toxiques, mesures préventives, biocontrôle…), à favoriser les recherches interfilières, ou encore à repenser les systèmes d’assurances pour ne pas faire peser la prise de risque sur les seul·es agriculteur·ices.

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