L'hebdo

La société, si vile ?

Chères toutes et chers tous,

Grâce à votre soutien, nous sommes partis - non sans heurts - à Glasgow pour couvrir la COP26. A circonstances exceptionnelles, édition exceptionnelle !

Cette semaine, vous trouverez un éditorial qui rassemble tous les articles que nous avons écrits et qui, mis bout à bout, auraient fait exploser ce numéro. Vous aurez également droit aux échow de Glasgow et aux bonnes news de la COP. Nous espérons que vous prendrez autant de plaisir à nous lire que nous en avons eu à suivre et à vous raconter la folle vie glasgovienne.

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Trêve de blabla, les chefs d'Etat seraient bien inspirés d'écouter la société civile et ses multiples voix.


Les Etats promettent, la société civile proteste : une semaine de COP à Glasgow

Rapport de farce. Conditions sanitaires drastiques, difficultés d’accès liées aux coûts et aux intempéries, ou blocage par les autorités britanniques : c’est une COP26 relativement exclusive qui s’est ouverte, dimanche, à Glasgow (Ecosse).

Six ans après l’accord de Paris, 196 délégations officielles se sont retrouvées, lundi, sur les bords du fleuve Clyde pour y dévoiler leurs nouveaux engagements en matière de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Plusieurs coalitions y sont nées : dès le lendemain, une centaine d’Etats a promis de protéger les forêts à horizon 2030. Un premier bel exemple de langue de bois. Ensuite, plusieurs accords sur l’énergie ont vu le jour : une centaine d’Etats se sont engagés à réduire de 30% les émissions de méthane avant 2030, 190 nations se sont promises d’éliminer le charbon à l’horizon 2030-2040 et, enfin, 20 pays et cinq organismes cesseront de financer les énergies fossiles à l’étranger d'ici fin 2022. Ces nouvelles déclarations ont virtuellement fait baisser le thermomètre de 2,7°C à 1,8°C de réchauffement pour la fin du siècle, « si les promesses étaient tenues ».

Le géant du conseil Bain and company nous propose rien de moins que de « changer l'histoire (ou le récit) du changement climatique » © Loup Espargilière / Vert

« Bla, bla, bla », leur a répondu la société civile, échaudée par des promesses rarement précises ou concrètes, vite énoncées et aussitôt oubliées. Dans une pétition, Greta Thunberg et d’autres activistes pour le climat ont enjoint les gouvernements à agir « maintenant ». Actions, manifestations et contre-sommets se sont succédés pour mettre la pression sur les dirigeant•e•s.

Multinationales et institutions financières ne furent pas en reste. Mercredi, elles ont plaidé la « neutralité carbone » pour pouvoir continuer à investir dans les fossiles. Ainsi il leur suffit de promettre que leurs émissions seront un jour « compensées » pour ne rien changer à leurs activités. Dans la « green zone » qui accueille le public, comme dans les rues de Glasgow, le greenwashing a atteint des sommets. Son paroxysme : une formule 1 électrique nous invite à « faire la course contre le changement climatique ». Pied au plancher et droit dans le mur. 

(re)foule des grands jours ! Environ 30 000 personnes avaient prévu de participer à la COP26 mais y accéder s'est révélé être une aventure en soi. L'entrée dans le Scottish Event Campus (SEC), hôte de l’événement, est chaotique (Guardian). Les restrictions sanitaires et de sécurité engendrent chaque matin des files d'attente interminables. Plus inquiétant, la circulation des participant·es à l'intérieur même du SEC est régie par un système de tickets anormalement restrictif, selon des organisations de la société civile. Le Climate Action Network, qui représente 1500 organisations dans 130 pays, a reçu seulement quatre tickets pour accéder aux salles de négociations.

Saint COP. Malgré leurs paroles fortes en introduction de la COP26 (Vert), les grands de ce monde ont du mal à cacher leur désarroi devant l'ampleur de la tâche. La preuve, ils donnent volontiers dans la superstition. Dimanche, les dirigeant·es du G20 ont jeté une pièce dans la fontaine de Trévi à Rome pour invoquer la bonne fortune dans leur lutte contre le changement climatique. Mardi, c’est le Président américain Joe Biden qui a terminé l'une de ses interventions par cette incantation christique : « que dieu vous bénisse tous et puisse-t-il sauver la planète ». Au moins, « le gouvernement américain a cessé de croire en la main invisible du marché pour son action climatique », a raillé une twittos

El diabo. Lundi, le Brésil a annoncé qu'il renforçait ses objectifs climatiques pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 50% d'ici à 2030 (par rapport à 2005) au lieu de 43% initialement. En réalité, le gouvernement a simplement utilisé un jeu de données différent pour que l'effort paraisse plus important alors qu'il est très exactement le même : 1,2 gigatonne en 2030. El diabo est dans les détails, comme dirait Bolsonaro. 

Mauvais Sharma. Le président de la COP26, le Britannique Alok Sharma, a longtemps contribué à ralentir les actions en faveur du changement climatique, révèle un article publié en début de semaine par Byline Times. Député conservateur depuis 2010, il a ainsi largement « protégé les intérêts des combustibles fossiles, minimisé leurs pires impacts environnementaux et s'est opposé à une action transformatrice sur le changement climatique », décrit le média britannique qui a analysé ses votes.

Sad COP. La France brille par son absence de la liste des 24 pays et institutions qui se sont engagé·es, jeudi, à stopper leurs financements aux projets d’énergies fossiles à l’étranger d’ici fin 2022. De grands investisseurs comme les États-Unis, le Canada ou le Royaume-Uni font partie de l’accord. Pour la première fois, le plan annoncé à Glasgow inclut aussi le gaz et le pétrole. Lucile Dufour, responsable des politiques énergétiques à l’Institut international du développement durable (IISD), estime que « le gouvernement français rate le coche pour se positionner dans le groupe des pays progressistes ». 

 © Daniel Leal-Olivas / AFP

Vendredi, le mouvement de jeunesse Fridays for future a organisé l'une de ses célèbres grèves scolaires pour le climat dans les rues de Glasgow. Greta Thunberg et les autres figures occidentales du mouvement s'y sont mises en retrait pour laisser la place aux représentant·e·s des communautés autochtones et des pays les plus meurtris par le réchauffement, oubliés des négociations. Un reportage à lire sur vert.eco

« On veut que les acteurs financiers engagés dans un objectif de neutralité carbone joignent enfin le geste à la parole »

- Lucie Pinson, directrice générale de l’ONG Reclaim Finance

Lucie Pinson est peu optimiste au sujet des potentielles avancées que la COP26 pourrait offrir en termes de finance durable. Dans un entretien accordé à Vert, la directrice de l'ONG Reclaim Finance juge que les États devraient jouer le rôle de régulateurs et forcer la main des acteurs financiers privés pour que ceux-ci se retirent des énergies fossiles. Mercredi, 450 financiers internationaux ont mis 130 000 milliards de dollars (112 000 Mds€) sur la table pour atteindre les objectifs de neutralité carbone d'ici 2050, au sein d'une coalition appelée la Glasgow Financial Alliance for Net Zero. Mais Reclaim Finance déplore que cette annonce n’empêche pas que de l’argent puisse être « investi dans l'expansion des énergies fossiles ».

· 100 pressions. En à peine une journée, la pétition lancée par de jeunes militantes pour le climat - dont Greta Thunberg - qui vise à mettre la pression sur les leaders présent·e·s à Glasgow pour la COP26 a recueilli près de 1,5 million de signatures. « Trahison. C'est ainsi que les jeunes à travers le monde décrivent la faillite de nos gouvernements à réduire les émissions carbone », démarre en trombe le texte de la pétition adressée aux chef·fe·s d’État. - Vert

· Ça gaz. -30% d'émissions de méthane d'ici 2030 par rapport à 2020 : c'est l'objectif fixé par le Global methane pledge. Cet accord, trouvé mardi lors du sommet des leaders, a été rejoint par plus de 100 pays, dont les États-Unis et les membres de l'Union européenne. Le méthane a un impact particulièrement important sur le climat : si sa durée de vie est bien plus courte que le dioxyde de carbone (CO2), il a un pouvoir de réchauffement 86 fois supérieur à ce dernier. - Vert

· Last coal. Mercredi, 190 pays, régions et organisations se sont engagées à sortir progressivement du charbon et à arrêter tout investissement dans cette énergie fossile. Les pays les plus développés se sont fixés pour objectif d'en sortir d'ici à 2030. Ce sera à l'horizon 2040 pour les autres. Une avancée importante, alors que le charbon est l’énergie la plus émettrice de gaz à effet de serre. - Vert

· Termes au mètre. Si les promesses de la COP sont tenues, la hausse des températures pourrait être contenue à 1,8°C, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Jeudi, le directeur de l'AIE, Fatih Birol, a annoncé dans un tweet que les engagements à la neutralité carbone ainsi que le Global Methane Pledge permettraient de respecter l'Accord de Paris. « C'est la première fois que des gouvernements avancent des objectifs suffisamment ambitieux pour rester en deçà des 2°C », a-t-il ajouté. - Vert

+ Mathilde Doiezie, Loup Espargilière, Anne-Claire Poirier et Juliette Quef ont contribué à ce numéro