Entretien

Lucie Pinson : « La politique est le champ du possible, les États pourraient très bien agir » pour la régulation des énergies fossiles

Directrice générale de l'ONG Reclaim Finance, Lucie Pinson milite pour le désinvestissement des énergies fossiles de la part de tous les acteurs financiers. En novembre 2020, elle a reçu le prix Goldman pour l’environnement, une prestigieuse récompense pour les défenseur·se·s de l’environnement. Elle raconte à Vert ses attentes pour cette COP26.
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Qu’attendez-vous de cette COP26 ?

Con­crète­ment, 2021 est une année où l’on a vu l’intensification du dérè­gle­ment cli­ma­tique, où le Giec nous a rap­pelé l’urgence à agir pour réduire nos émis­sions de gaz à effet de serre, où l’Agence inter­na­tionale de l’énergie (AIE) nous a don­né en mai dernier une con­clu­sion nette et pré­cise de ce que doit vouloir dire « être net zéro » [c’est-à-dire attein­dre la neu­tral­ité car­bone — voir le rap­port Net Zero by 2050].

Par exem­ple, l’AIE a claire­ment établi qu’on ne peut plus dévelop­per de nou­veaux champs pétroliers et gaziers si on veut attein­dre la neu­tral­ité car­bone et lim­iter le réchauf­fe­ment à 1,5°C [L’objectif vers lequel doivent ten­dre les États sig­nataires de l’Accord de Paris]. 

Ce que l’on attend aujourd’hui, ce sont des engage­ments de la part des acteurs financiers (les ban­ques, les assureurs, les investis­seurs) à ne plus financer l’extension de secteurs dont le développe­ment a été jugé par les sci­en­tifiques, « incom­pat­i­ble » avec les objec­tifs cli­ma­tiques inter­na­tionaux. Et on veut pré­cisé­ment que les acteurs financiers qui sont engagés dans un objec­tif de neu­tral­ité car­bone joignent enfin le geste à la parole et qu’ils arrê­tent de soutenir le développe­ment de tels pro­jets. 

A la COP26, Lucie Pin­son a présen­té le rap­port de Reclaim finance bap­tisé “Insure our future”, qui étudie le rôle des assureurs dans le finance­ment des fos­siles © Loup Espargilière / Vert

Mal­heureuse­ment, on voit bien qu’on en est très, très loin, parce que les derniers engage­ments qui ont été pris par les acteurs français ces dernières semaines restent très insuff­isants. Comme Axa, par exem­ple, qui a pub­lié ven­dre­di dernier des engage­ments pour soutenir la tran­si­tion énergé­tique mais qui donne tou­jours son sou­tien à plus de la moitié des nou­veaux champs pétroliers et gaziers en développe­ment [voir le com­mu­niqué d’Axa].

Comme les Etats et les ban­ques publiques, les entre­pris­es privées peu­vent par­ticiper au finance­ment du Fonds vert pour le cli­mat, qui doit per­me­t­tre de mobilis­er 100 mil­liards d’eu­ros par an pour favoris­er la tran­si­tion dans les pays du Sud et leur adap­ta­tion au boule­verse­ment cli­ma­tique. À quel niveau ?

Les acteurs financiers privés peu­vent jouer le rôle d’intermédiaire pour le finance­ment de pro­jets d’adaptation, sous la forme de parte­nar­i­ats pub­lic-privé. Par exem­ple, le Crédit agri­cole a été l’une des pre­mières ban­ques parte­naires du Fonds vert et ils ont reçu pas mal de cri­tiques à l’époque en prenant ce rôle-là, car ils con­tin­u­aient à financer des entre­pris­es dans les éner­gies fos­siles. Cela peut créer un gros décalage car d’un côté, cer­taines entre­pris­es finan­cent tou­jours le dérè­gle­ment cli­ma­tique mais de l’autre, elles vont poten­tielle­ment van­ter leur parte­nar­i­at avec le Fonds vert et leur action cli­ma­tique pour l’adaptation des pays en pre­mière ligne.

Les États ont-il des leviers d’action pour réguler les investisse­ments des acteurs privés ?

Ils pour­raient ! Le poli­tique est le champ du pos­si­ble donc ils pour­raient très bien agir. Aujourd’hui, mal­heureuse­ment, on voit très bien que les régu­la­teurs ou les gou­verne­ments eux-mêmes con­tin­u­ent de soutenir le développe­ment des éner­gies fos­siles. On l’a vu la semaine dernière avec le dis­cours du min­istre de l’Économie, Bruno Le Maire, au Cli­mate Finance Day [notre arti­cle à ce sujet]. Il a refusé de s’engager à cess­er tout finance­ment aux nou­veaux pro­jets gaziers puisqu’il dit que l’État français con­tin­uera de soutenir des pro­jets lorsque ceux-ci répon­dront à des stan­dards envi­ron­nemen­taux plus stricts. Ça s’appelle claire­ment une néga­tion de la sci­ence, car il ne s’agit pas d’avoir des pro­jets gaziers plus ou moins pro­pres : aujourd’hui, il s’agit tout sim­ple­ment de ne plus en dévelop­per. 

Et au niveau mul­ti­latéral, pour­rait-on atten­dre de telles mesures ?

Oui bien sûr, elles sont envis­age­ables, mais est-ce qu’on les envis­age pour autant ? Non (rires). Encore une fois, c’est tech­nique­ment pos­si­ble mais on ne s’attend pas du tout à ce qu’une COP aboutisse à de telles annonces. Toute la nuance entre le pos­si­ble et le pos­si­ble réside dans l’ambition poli­tique.