Les kings du greenwashing. Dans les rues de Glasgow (Ecosse) et dans les travées du campus qui accueille la COP26, les plus grands pollueurs trafiquent la réalité comme jamais auparavant.
« Le changement climatique n’a que faire des frontières. Les mers qui montent non plus ». Ce message plein de bon sens affiché dans une vitrine du centre de Glasgow n’est pas celui d’une ONG environnementale, mais de HSBC. Un immense réseau de banques qui a financé des projets fossiles à hauteur de 95 milliards d’euros entre 2016 et 2020 (Reclaim finance).
Alors que l’ONU tient sa 26ème conférence des parties (COP26) sur les changements climatiques, certaines des entreprises les plus fortement responsables du chaos en cours ont verdi leurs discours comme jamais. New Look prétend qu’il est « neutre en carbone » – c’est-à-dire qu’il n’émettrait pas plus de CO2 que ce qu’il est capable de compenser, au motif que ses magasins sont alimentés à l’électricité renouvelable. Omettant les centaines de milliers d’articles de fast fashion produits, vendus, et jetés chaque année dans le monde. Marks & Spencer nous interpelle : « votre régime alimentaire en fait-il assez pour la planète » ? Pas moins que le rayon « viande » du supermarché et ses dizaines de références.
Mais le greenwashing ne s’arrête pas aux portes de la COP26. La « green zone », partie de l’événement ouverte au public, fait figure de concours Lépine de la fausse bonne idée pour le climat. A l’entrée du salon, une formule 1 électrique nous invite à « faire la course contre le changement climatique ». Plus loin, une femme nous met au défi de faire la différence entre ce pétrole traditionnel et cet agrocarburant. Une solution « révolutionnaire », qui génère de la déforestation et entre en concurrence avec l’agriculture vivrière (Greenpeace).
Mercredi, tous costumes dehors, au son des tambours et des hélicoptères de police, l’organisation Extinction Rebellion (XR) organisait une marche pour dénoncer le greenwashing généralisé qui entoure la COP26. « J’ai été dans la greenzone, j’ai été très choquée de voir toutes ces entreprises, cette foire commerciale », s’émeut Tarisha, la cinquantaine, grimée en « greenwash buster ». A la COP15 de Copenhague, il n’y avait pas tout ça. ». Elle arrive de Bristol, ville du sud-ouest anglais, où elle s’est battue contre la promesse d’un aéroport « neutre en carbone » – qui prévoit de compenser ses émissions de CO2, mais pas celles des avions qui y passent.
Elle a particulièrement peu goûté le mini-avion électrique « Spirit of innovation » présenté par Rolls Royce. « On dirait un jouet. Et ils veulent nous faire croire que toute l’industrie de l’aviation pourrait être comme ça dans les 20 prochaines années et que tout ira bien grâce aux avions électriques. » Il y a de la marge : pour l’heure, le coucou a permis de faire voler une seule personne pendant 15 minutes.
« Le greenwashing, c’est l’une des activités les plus dangereuses et trompeuses qui soit, et qui permet le business as usual. Cela donne au public un faux sentiment de sécurité », juge Paryl Tayar, 54 ans, porte parole d’XR. Il étrille les sponsors de la COP, qui s’affichent en grand sur les murs de l’événement. Parmi eux, Google, qui « prétend être neutre en carbone depuis 2007 et a émis 20 millions de tonnes de CO2 depuis ». Plus discrète, la banque JP Morgan sponsorise le Resilience hub : un lieu de conférences au cœur de la « blue zone », l’espace réservé aux négociations. Depuis 2016, elle est la championne du monde des financements accordés à l’industrie fossile.
Autres sponsors embarrassants : Ikea, liée par plusieurs enquêtes à la destruction de forêts en Roumanie. Ou Land Rover, célèbre pour ses imposants SUV. Ces derniers constituent la 2ème source de croissance des émissions de CO2 entre 2010 et 2018 (Guardian).
« Jusqu’à la COP19 [en 2013], le problème, c’était la présence de l’industrie fossile. A Varsovie, ce sont les géants du pétrole et du charbon qui finançaient la COP », se souvient Nicolas Haeringer, vieux routier de 350.org, ONG spécialisée dans la sortie des fossiles. La mobilisation des associations a permis que ceux-ci se sentent « moins bienvenus » lors des éditions suivantes. « Cette année, ils sont présents massivement, mais ils n’organisent rien de peur qu’on les cible. Mais la contrepartie, et la nouvelle frontière, c’est le greenwashing » explique-t-il encore.
Les géants des fossiles se retrouvent par exemple lors des événements organisés par l’Ieta, l’association internationale d’échange d’émissions, au sein de la « blue zone ». Un lobby soutenu par BP, Chevron, ENI ou encore Total. A Glasgow, celui-ci tente de peser de tout son poids pour promouvoir l’échange de droits à polluer au travers des marchés carbone, plutôt que la réduction de la production d’énergie fossile.
Mercredi, Greta Thunberg et des activistes de Greenpeace et du réseau indigène environnemental ont fait irruption dans une conférence donnée sur le thème de la compensation carbone : il s’agit de « rattraper » une part du CO2 émis en l’aspirant au moyen d’appareils de capture, ou en plantant des arbres, par exemple. Une solution vantée par l’industrie fossile pour ne rien changer sur le fond et qui pose de graves problèmes d’accaparement de terres indigènes, dont les forêts deviennent une manne pour ceux qui veulent compenser leurs activités. En outre, la compensation a toujours un temps de retard : avant d’être récupéré, le CO2 émis aura eu un effet sur le réchauffement. « La compensation carbone, c’est le sabotage du climat », a lancé Teresa Anderson, coordinatrice des politiques climatiques à ActionAid International. A Glasgow, difficile de ne pas voir le vert à moitié vide.