Décryptage

COP26 : le « vide sidéral » de l’accord contre la déforestation

Langue de bois. Mardi, plus de cent États se sont engagés à protéger et restaurer les forêts à horizon 2030, malgré l’échec de leurs précédentes déclarations. Plusieurs sources, dont une proche du dossier, déplorent auprès de Vert un texte encore trop creux.
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À la tri­bune de la COP26, le Pre­mier min­istre bri­tan­nique Boris John­son a affir­mé que préserv­er les forêts était la « clef pour garder en vue l’objectif des 1,5 °C ». La veille, la prési­dence bri­tan­nique avait annon­cé une déc­la­ra­tion com­mune de plus de cent dirigeant·e·s sur ce thème. Cana­da, Russie, États-Unis, France et bien d’autres : à eux tous, les sig­nataires abri­tent 85% des forêts mon­di­ales. Par­mi elles, des forêts humides qui héber­gent entre 50 et 90% des espèces ter­restres et dont le rythme de destruc­tion est en forte hausse (Vert), comme la forêt trop­i­cale du bassin du Con­go et l’A­ma­zonie au Brésil.

Le Brésil s’est d’ailleurs joint à cette déc­la­ra­tion. Mar­di, dans un mes­sage vidéo, son prési­dent, Jair Bol­sonaro, a déclaré : « La forêt est impor­tante pour moi parce qu’elle recou­vre plus de 60 % de mon pays ». Un élan à rel­a­tivis­er au vu du piètre bilan envi­ron­nemen­tal de ce dirigeant. En 2019, l’année de son arrivée au pou­voir, 3,9 mil­lions d’hectares ont été défrichés ; près de qua­tre fois plus que les deux années précé­dentes, avait noté une étude parue dans la revue Nature (Vert).

Cette ini­tia­tive, dont le texte tient en une feuille A4, prévoit qu’États et insti­tu­tions privées déblo­quent 19,2 mil­liards de dol­lars (16,5 mil­liards d’euros) sur cinq ans. « Grâce à cet engage­mentnous avons une chance de met­tre fin à la longue his­toire de l’hu­man­ité en tant que con­quérante de la nature, et d’en devenir la gar­di­enne », s’est ému sur Twit­ter Boris John­son. « Rien de plus que ce que cha­cun avait prévu de met­tre indi­vidu­elle­ment », tem­père une source française proche du dossier. 

Si cer­taines des insti­tu­tions finan­cières qui par­ticipent au plan se sont engagées à ne plus soutenir de pro­jet lié à la déforesta­tion, comme Axa dès 2024, d’autres con­tin­u­ent d’y inve­stir mas­sive­ment. « BNP Paribas est la pre­mière banque qui déforeste. A côté de ça, ils s’affichent comme parte­naires de l’UICN [Union inter­na­tionale pour la con­ser­va­tion de la nature, NDLR] et ont financé l’initiative de la mairie de Paris pour la préser­va­tion des forêts d’Afrique cen­trale », s’insurge auprès de Vert Syl­vain Angérand, coor­di­na­teur de cam­pagne de l’ONG Canopée.

Alors qu’il n’existe tou­jours aucun accord inter­na­tion­al juridique­ment con­traig­nant sur les forêts, certain·e·s déplorent une occa­sion man­quée. « C’est un coup de com­mu­ni­ca­tion de la prési­dence bri­tan­nique, con­fie à Vert la même source. Tout ce qui aurait pu avoir un peu de corps a été nuancé. » Un manque d’ambition aus­si soulevé par Syl­vain Angérand : « C’est un vide sidéral. J’en veux pour preuve la sig­na­ture du Brésil, venu les mains vides à la COP. » 

Cette nou­velle déc­la­ra­tion rap­pelle celle de New York en 2014, dont l’ob­jec­tif était « de réduire les pertes forestières naturelles de moitié d’i­ci 2020, en s’ef­forçant d’y met­tre fin d’i­ci 2030 » (com­mu­niqué) et qui n’avait pas été suiv­ie de beau­coup d’effets. Pour l’heure, ni les con­di­tions de mise en œuvre con­crètes du nou­veau texte, ni celles de report­ing (ce qui per­met de mesur­er l’efficacité des actions) ne sont con­nues.

De nom­breuses incer­ti­tudes pla­nent égale­ment sur la nature de la « pro­tec­tion » des forêts. S’exprimant à la tri­bune, le prési­dent colom­bi­en, Ivan Duque, a semé le doute : « Nous inscrirons dans la loi un engage­ment en faveur de zéro déforesta­tion nette d’i­ci 2030 ». Or, la « déforesta­tion nette » sup­pose que les forêts détru­ites sont com­pen­sées par de nou­velles plan­ta­tions d’arbres qui n’ont aucune sim­i­lar­ité avec des forêts anci­ennes, tant sur le plan de la bio­di­ver­sité que de la cap­ta­tion de car­bone (Vert). Un mélange d’essences dou­teux.  

Le coor­di­na­teur de l’ONG Canopée appelle de ses vœux un accord ambitieux qui met­trait en place des actions con­crètes avec un suivi de traça­bil­ité, par exem­ple pour le soja. Il pro­pose aus­si que les grandes entre­pris­es « ajoutent des claus­es anti-déforesta­tion. Ce n’est pas pos­si­ble que des géants comme Cargill [le plus gros négo­ciant de matières pre­mières agri­coles, NDLR] con­tin­u­ent d’acheter du soja au Brésil ». En 2020, les tropiques avaient per­du 12,2 mil­lions d’hectares de forêts, dont plus de 4 mil­lions d’hectares de forêt vierge, prin­ci­pale­ment en rai­son de l’ex­pan­sion agri­cole.