L'hebdo

De l’eau dans le gasoil

Associations, justice, et maintenant actionnaires : désormais, tout le monde en a après les pétroliers.


Les bonnes nouvelles sont rares, mais il arrive que justice soit fête : c'est l'info qu'il ne fallait pas rater cette semaine. 

La justice néerlandaise contraint Shell à réduire fortement ses émissions

Le coup de pompe. Saisi par une foule d'ONG, un tribunal de la Haye (Pays-Bas) a obligé le pétrolier Shell à réduire ses émissions de près de moitié d'ici la fin de la décennie.

Le jugement fera date. Mercredi, à l'issue d'une procédure menée par Milieudefensie -la branche néerlandaise des Amis de la Terre, rejointe par six autres ONG et 17 000 plaignant·e·s, la Royal Dutch Shell a été condamnée à accroître très sérieusement ses efforts pour le climat. Les juges de la Haye ont exigé que la firme réduise de 45% ses émissions mondiales de CO2 d'ici 2030 par rapport à leur niveau de 2019. Mieux, cette baisse doit concerner l'ensemble de la chaîne, y compris les émissions générées par l'utilisation du pétrole vendu.

Dans leur plainte, les requérant·e·s avaient estimé que Shell violait leur droit fondamental à la vie, ainsi qu'à la vie de famille, en leur faisant courir les dangers associés au réchauffement climatique. Malgré les protestations du pétrolier, le tribunal a considéré que « les intentions et les ambitions du groupe Shell se limitent à des projets de long-terme essentiellement intangibles, peu clairs et non-contraignants » (Guardian).

Donald Pols, directeur de Milieudefensie, à l'annonce du jugement. © Milieudefensie

Si le jugement reste évasif sur les modalités, c'est la première fois qu'un tribunal contraint une entreprise privée à réduire ses émissions. « Les intérêts liés à l'obligation de baisse [des rejets de CO2, NDLR] l'emportent sur les intérêts commerciaux » de Shell, a indiqué la juge Larisa Alwin.

Le groupe a déjà annoncé qu'il ferait appel. Mais pour Roger Cox, juriste de Milieudefensie, « il s'agit d'un tournant dans l'histoire […] Ce jugement pourrait avoir des conséquences majeures pour d'autres grands pollueurs ». En France, une procédure similaire a été lancée contre Total en 2020 par les associations Notre Affaire à tous, Sherpa, et France nature environnement, ainsi que 14 collectivités territoriales.

On se refait le fil de cette folle semaine :

• Mardi, une pollution aux pesticides a été identifiée dans la Seine, à hauteur de Rouen (Seine-Maritime), a annoncé la métropole rouennaise. La pollution, qui a occasionné une coloration bleue sur une surface de 500 m² provient d'une cuve appartenant à une entreprise de transports. « D'après nos informations, le produit pesticide contiendrait des néonicotinoïdes, en particulier du thiaméthoxame, substance hautement nocive, très soluble dans l'eau, interdite en France depuis près de trois ans ! », a expliqué la Métropole, qui a porté plainte. - France Info

• Votée à l'Assemblée nationale en janvier, la proposition de loi contre la maltraitance animale n'a toujours pas été mise à l'ordre du jour du Sénat, ont déploré 43 ONG et 30 parlementaires dans une lettre ouverte adressée, mardi, au gouvernement. Elles et ils lui demandent d'agir pour que ce texte soit débattu dans les plus brefs délais. « Un pan entier des êtres vivants doués de sensibilité est aujourd'hui laissé sans protection suffisante et il appartient aux décideurs politiques d'y remédier », plaident les signataires. - OABA

• Mercredi, le Sénat a rejeté la proposition de loi « pour un élevage éthique » portée par des sénateur·rice·s issu·e·s de six groupes politiques. Le texte prévoyait l'interdiction du broyage des poussins mâles et des canetons femelles, pourtant promise par l'exécutif en 2019 ; la généralisation de l’accès au plein air pour tous les animaux d’élevage d'ici 2040 ; des temps de transports limités à 8 heures ; la création d'un fonds de soutien pour accompagner les éleveur·euse·s dans cette transition. Ministre chargé des PME, Alain Griset a justifié son opposition par la « distorsion de concurrence » vis-à-vis des pays aux règles encore moins protectrices. - Le Monde (abonnés)

• Jeudi, le Conseil d'Etat a sommé le gouvernement de faire appliquer la loi au sujet des conditions de vie des poules pondeuses. En 2018, une disposition de la loi Agriculture et alimentation (Egalim) devait instaurer un moratoire interdisant la construction ou le réaménagement de bâtiments comportant des cages. Mais en deux ans et demi, le gouvernement n'a jamais publié le décret permettant son application. - Le Monde (abonnés)

• Jeudi encore, le président de l'Autorité de sûreté du nucléaire (ASN) Bernard Doroszczuk a indiqué que la sécurité du parc français s'était « globalement améliorée » en 2020, à l'occasion de la présentation du rapport annuel du gendarme de l'atome. Un an plus tôt, il avait pointé du doigt un « recul » dans la rigueur d'exploitation des centrales d'EDF. En revanche, Bernard Doroszczuk a dit sa préoccupation au sujet du devenir du parc à l'horizon 2040, alors que la plupart des centrales auront dépassé 50 années d'exploitation : « rien ne garantit qu’une prolongation supplémentaire soit possible » au-delà de cet âge canonique, a-t-il indiqué, et les pouvoirs publics doivent anticiper la forte baisse de production qui s'ensuivra. - L'Usine nouvelle

• Jeudi toujours, près de 150 paysan·ne·s se sont introduit·e·s dans le hall de la direction générale de Pôle emploi, à Paris, pour dénoncer les premiers arbitrages rendus par le gouvernement au sujet de la future Politique agricole commune (Vert). Selon les protestataires, la répartition des aides de la PAC détruit de nombreux emplois paysans en favorisant les plus grandes exploitations, largement mécanisées. Récit dans Reporterre.

40%

Le changement, c'est maintenant. Dans un rapport publié jeudi, les expert·e·s de l'Organisation météorologique mondiale (OMM) estiment à 40% la probabilité que le réchauffement dépasse 1,5°C au cours de l'une des cinq prochaines années. Signé en 2016 par la quasi-totalité des nations du globe, l'accord de Paris s'était donné pour objectif de limiter l'élévation des températures à 1,5°C par rapport à celles de l'ère préindustrielle (milieu du 19è siècle). Il ne fait plus aucun doute que cette marque sera dépassée tôt ou tard. En 2020, la moyenne mondiale se situait déjà à +1,2°C (OMM).

Cette semaine encore, nous avons appris tout un tas de choses. Par exemple : 

• Steak un au revoir ? Les Français·es sont de plus en plus tiraillé·e·s entre leur amour du steak et leurs préoccupations environnementales, révèle une étude de FranceAgrimer et de l'IFOP. - Vert

• Fossile à dire. Le géant pétro-gazier Total souhaite se rebaptiser TotalÉnergies pour mettre en avant sa diversification dans les énergies renouvelables. Une grossière opération de greenwashing, alors que le groupe mise toujours largement sur les énergies fossiles. - Vert

• Bientôt privés de jets ? Les émissions de CO2 des jets privés, moyen de transport réservé aux ultra-riches, ont bondi de 31% entre 2005 et 2019, alerte l'ONG Transport and environment dans un rapport. - Vert

• C'est chaud ! Un sondage international révèle une inquiétante déconnexion entre le consensus scientifique et l'opinion publique à propos du changement climatique. En France, par exemple, 44% des personnes interrogées pensent que le changement climatique est causé, dans les mêmes proportions, par les activités humaines et les processus naturels. - Vert

La publication enthousiaste du ministre de l'économie sur Linkedin.

Mardi soir, « pour la première fois de l'histoire », la Tour Eiffel a été éclairée avec de l'hydrogène, a applaudi Bruno le Maire, ministre de l'économie. Une « prouesse » qui n'a en réalité strictement aucun intérêt. 95% de l'électricité qui irrigue le réseau français est issue de sources très faiblement émettrices de CO2, comme le nucléaire ou les renouvelables. Par ailleurs, l'hydrogène sert essentiellement à stocker de l'énergie électrique (Vert) et ce, avec d'importantes pertes. Ce qui en fait un potentiel carburant pour les camions du futur, mais certainement pas pour un monument raccordé au réseau EDF.

D'après les calculs de l'ingénieur et membre du Haut-conseil pour le climat Jean-Marc Jancovici, cette facétie multiplierait par dix les émissions liées à l'éclairage de la tour Eiffel. « Appeler "bas carbone" une multiplication par 10 des émissions par kWh est comme si vous appeliez "baisse des impôts" une multiplication desdits impôts par 10 :) » a taquiné l'expert sous la publication de Bruno Le Maire.

Le plein de bonnes nouvelles et de bonnes idées pour ne pas désespérer :

• Volt face. Les membres du G7 (Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni) ont promis la fin, dès cette année, des aides publiques au charbon. - Vert

Glaciers d'acier. Depuis 20 ans, l'association Mountain Wilderness travaille au démantèlement de constructions obsolètes dans les montagnes françaises. Elle vient de lancer un site participatif pour mieux les recenser. - Vert

• Le fonds vert s'incruste. Les actionnaires du pétrolier ExxonMobil ont élu au conseil d'administration deux membres d'un fonds activiste qui veut sortir le groupe des énergies fossiles. - Vert

• Au charbon pour le climat. Saisi par une poignée de jeunes, le tribunal fédéral australien a signifié à son gouvernement - qui veut autoriser l'extension d'une gigantesque mine de charbon - son obligation de préserver la santé des enfants dans un climat qui se réchauffe. - Vert

En ces jours où le soleil pointe enfin ses rayons, voici une recette de crème solaire écologique et facile à confectionner. A retrouver sur le site de Vert.

Une formondiale époque. Dans La folle histoire de la mondialisation, des économistes mettent en dessin notre ouverture au monde et ses conséquences sur notre quotidien. Une chronique et un extrait à lire sur le site de Vert

Et le singe inventa la culture

Savants singes. Qu'est-ce qui nous distingue des chimpanzés ? L'utilisation d'outils ? Non. Le rire ? Pas plus. La culture ? Il semblerait qu'elle ne soit pas non plus notre apanage.

Pour s'en convaincre, des scientifiques arpentent les forêts primaires du globe depuis des décennies pour étudier les us et coutumes de nos lointains cousins, comme le raconte le réjouissant documentaire Et le singe inventa la culture. D'un groupe à l'autre, les chercheurs découvrent que des individus ont développé des techniques différentes pour résoudre des problèmes similaires, signe d'une culture propre à chacun.

Et le singe inventa la culture, Eva Demmler et Axel Friedrich, 2013, disponible en replay sur le site d'Arte.

© Arte