Le président du Rassemblement national (RN) Jordan Bardella réalise-t-il que le réchauffement climatique est causé par les activités humaines ? La réponse est oui. «Vous ne me ferez jamais dire que je suis climatosceptique», lance-t-il aux journalistes qui lui posent la question. Sur le plateau de Télématin (France 2), il ose même : «Je pense que nous sommes peut-être les plus écologistes de la classe politique.» Cela se ressent-il dans la politique du RN ? Pas sûr.
«C’est de la communication, du marketing politique. À chaque fois que Jordan Bardella a l’occasion de prouver son prétendu engagement sur des textes écologiques ambitieux, il ne le fait pas. C’est même l’inverse, il vote systématiquement contre l’intérêt écologique», tance Pierre-Stéphane Fort, journaliste indépendant. L’eurodéputé Bardella s’est prononcé contre l’interdiction de la vente de véhicules neufs à moteur thermique en 2035, contre le texte de protection de la biodiversité ou contre la réduction des déchets d’emballages.
Pierre-Stéphane Fort a analysé les votes du président du RN lors de son premier mandat de député européen (2019-2024) et en a tiré un livre-enquête, Le grand remplaçant : La face cachée de Jordan Bardella (éditions Studiofact, 2024). «Par opportunisme politique, il a fait mine de se convertir aux problématiques écologiques pour essayer de capter un jeune électorat sur les réseaux sociaux», abonde le journaliste.
Alors que le parti d’extrême droite lance sa campagne pour les prochaines élections municipales (prévues les 15 et 22 mars 2026) ce dimanche à Bordeaux (Gironde), il parle beaucoup moins spontanément d’écologie, un thème jugé peu porteur pour son électorat. Sollicité·es à plusieurs reprises par Vert, les cadres et la communication du parti n’ont pas donné suite à nos demandes d’entretien.
«Il y a un côté girouette, au RN et chez Jordan Bardella en particulier : il va là où le vent le mène et s’adapte à l’opinion pour dire aux gens ce qu’ils veulent entendre, poursuit Pierre-Stéphane Fort. Quand les gens voulaient entendre parler d’écologie, il en parlait sans amender son programme. Maintenant que c’est moins dans l’air du temps, il est dans une position confortable car il n’a pris aucun engagement.»
«Marine Le Pen n’arrive pas à parler d’écologie»
Au RN, les tentatives de se rendre crédible sur l’écologie ne sont pas nouvelles. La dernière en date misait sur le localisme, l’idée selon laquelle il faut consommer local, privilégier les produits français et rétablir les barrières économiques. «Au-delà de l’économie, il y a une vision du monde qui vise le rétablissement des frontières, y compris pour empêcher les gens de venir», explique Erwan Lecoeur, sociologue spécialiste de l’extrême droite et de l’écologie politique.
Pour lui, cette tentative s’est soldée par un énième échec, pour deux raisons : «Marine Le Pen n’arrive pas à parler d’écologie, à part pour la défense des animaux de compagnie – elle est éleveuse de chats en dehors de la vie politique. Et ces sujets sont portés par des gens qui sont incapables de les incarner sur le long terme au sein du parti.»
En 2020, l’eurodéputé lepéniste Hervé Juvin et son assistant parlementaire Andréa Kotarac, chargés de développer la pensée écologiste du parti, avaient lancé «le parti localiste», présenté comme un «complément» du RN. Le député européen interpellait Yannick Jadot en 2019 : «Tout écologue sait bien qu’un système vivant complexe ne survit pas aux espèces invasives.» Il avait précisé sa pensée sur France info, la même année : «Quand on est écolo, on fait en sorte qu’il n’y ait pas d’immigration.» Trois ans plus tard, condamné pour violences conjugales, Hervé Juvin a été exclu du parti. Depuis, plus grand monde ne parle du localisme au RN.
Même constat pour Cécile Alduy, chercheuse associée au Centre de recherches politiques de Sciences Po, sémiologue et autrice du livre Marine Le Pen prise aux mots, décryptage du nouveau discours frontiste (Seuil, 2015). «En 2022, Marine Le Pen avait fait l’effort de développer un volet écologique dans son programme. Mais c’était pour les élections ; de l’écologie, elle n’en parle jamais spontanément, expliquait-elle dans un entretien à Vert avant les élections législatives de l’an dernier. Si l’on résume, le programme du RN consiste à ne rien changer au système de production du point de vue des énergies utilisées, du gaspillage, de la surconsommation, etc. C’est une politique productiviste dans une sorte d’autarcie.»
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Il faut dire que, au RN, la réflexion sur le sujet est en berne. Pour Stéphane François, politologue et auteur du livre Les Vert-bruns : l’écologie de l’extrême droite française (2022, Le Bord de l’eau), le parti «ne s’appuie pas sur des bases théoriques». Il ne s’inspire pas non plus de la vision de l’écologie développée par certains groupuscules : actions de nettoyage, créations de potagers, appels au boycott d’Amazon… Et il ne se base pas plus sur des concepts théorisés à l’étranger ou par des penseurs historiques de la mouvance d’extrême droite radicale, comme l’essayiste Alain de Benoist, tenant d’une écologie identitaire.
Lutte contre l’écologie punitive
À la place, le Rassemblement national mise sur la dénonciation de la prétendue «écologie punitive» de la gauche et des écolos, accusée de priver les Français·es. Pour Stéphane François, le parti «a toujours mis en avant “le peuple” et ses besoins, c’est-à-dire la défense du diesel ou, aujourd’hui, le rejet des éoliennes et des champs photovoltaïques, accusés de polluer les paysages et de faire baisser le prix du foncier». Le RN revendique «une écologie positive», du «bon sens» loin des préconisations scientifiques et des objectifs de la transition écologique.
Le 19 juin dernier, le député du Gard Pierre Meurin s’époumonait à l’Assemblée nationale : «C’est une magnifique semaine pour le Rassemblement national dans sa lutte contre l’écologie punitive.» Pour cause, ces derniers mois, le RN (premier groupe dans l’hémicycle avec 123 député·es) a :
👉 poussé pour le «redémarrage» de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin), définitivement arrêtée en 2020 et dont la remise en fonction est impossible ;
👉 fait adopter un moratoire (une suspension d’activité) sur les énergies renouvelables ;
👉 impulsé la suppression des zones à faibles émissions (ZFE), qui restreignaient la circulation des véhicules les plus polluants afin d’améliorer la qualité de l’air ;
👉 détricoté le principe de zéro artificialisation nette (ZAN), qui tend à limiter la bétonisation des terres ;
👉 et voté pour la controversée loi Duplomb, qui favorise le développement d’une agriculture productiviste.
Au final, plusieurs de ces décisions ont été retoquées par le Sénat (c’est le cas pour le redémarrage de Fessenheim et pour le moratoire sur les énergies renouvelables) ou le Conseil constitutionnel (qui a censuré le retour de pesticides dangereux avec la loi Duplomb). Mais, en cas d’arrivée du parti d’extrême droite au pouvoir, ses intentions sont claires.
«Une forme de déni» climatique
«Le RN développe ouvertement une anti-écologie assumée, reprend Stéphane François. Sur ce point, il s’aligne sur des personnalités climatosceptiques comme Donald Trump.» Surtout, le parti est devenu très prudent sur ce sujet. Pour autant, cela n’empêche pas ses cadres, comme le député du Loiret Thomas Ménagé, d’estimer que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a «parfois tendance à exagérer». Ou que «le Giec a toujours été très, très alarmiste», selon Marine Le Pen, en 2023.
À Vert, la sémiologue Cécile Alduy expliquait à l’été 2024 que le Rassemblement national «est toujours dans le registre du double discours : si le réchauffement représente un immense défi, il y a un refus d’en attribuer les causes à l’activité humaine. Et, quand certaines responsabilités sont reconnues, ce n’est jamais “chez nous” que cela se passe.»
Un argument mensonger servi par Jordan Bardella sur le plateau de France inter le 15 mars dernier : «Nous avons déjà l’une des économies les plus propres puisque nous émettons 0,2% des émissions de CO2 dans le monde.» En réalité, la France représente plus de 1% des émissions mondiales. Elle fait surtout partie des dix nations ayant émis le plus de CO2 depuis la révolution industrielle. «Cette manière de déconnecter complètement les causes des conséquences, de sans cesse relativiser, c’est bien une forme de déni», notait Cécile Alduy. Pas climatosceptique, disait Jordan Bardella.
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