Décryptage

Localisme, décroissance et climatoscepticisme… Quand la jeunesse d’extrême droite se pare d’écologie

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Syndicats étudiants, branche jeunesse du RN, groupes identitaires en pagaille… Tous tentent désormais d’occuper le terrain de l’écologie. Mais derrière ce bricolage idéologique se cachent toujours les mêmes obsessions de l’extrême droite.

Devant l’université Paris 2 Panthéon-Assas, un petit groupe d’étudiant·es distribue des tracts entièrement verts. Au premier plan, un randonneur y admire la beauté d’un paysage de montagne. L’œuvre d’étudiant·es écolos ? La promotion d’une campagne de pèlerinage ? En réalité, il s’agit de tracts annonçant la campagne «écologique» de La Cocarde, syndicat étudiant qui fournit de nombreux collaborateurs du Rassemblement national.

L’organisation d’extrême droite bouscule la hiérarchie de ses thèmes habituels. «Nous sommes concernés par notre avenir, que ce soit au niveau des retraites, de l’écologie ou de l’immigration. Nous ne voulons pas faire l’impasse sur un sujet, explique Edouard*, coordinateur national du syndicat étudiant. Nous voulons montrer que l’écologie peut aussi être portée par des gens de droite.»

La Cocarde étudiante distribue des tracts sur l’écologie. Ici, à Rouen, le 3 mars. © Compte Twitter de la Cocarde Rouen

Derrière cette campagne, deux objectifs : parler aux militant·es de leur camp, peu sensibilisé·es à la question, et réaliser un coup électoral. Pour Vianney Vonderscher, président du syndicat, «c’est évidemment stratégique. L’écologie attire les jeunes. C’est à eux que nous nous adressons, donc il est intéressant de se positionner». Selon le professeur de sciences politiques, spécialiste des droites radicales, Stéphane François, «ils n’attireront pas les écologistes. Mais ils sont portés par cette idée de guerre culturelle. Ils veulent occuper le terrain».

La branche jeunesse du RN tente aussi de parler écologie. Pour son 8ème Forum, le Rassemblement national de la jeunesse (RNJ) a invité Andrea Kotarac, conseiller régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, porte-parole du parti et désormais collaborateur de Marine Le Pen à l’Assemblée depuis janvier. À 34 ans, l’ancien bras droit d’Hervé Juvin (exclu de la délégation du parti au Parlement européen en novembre 2022 après sa condamnation pour violences conjugales) est la tête pensante du discours écolo du RN. C’est lui qui pousse pour que le parti défende une écologie «enracinée» teintée de «localisme».

Le patron du RNJ et proche de Jordan Bardella, Pierre-Romain Thionnet, 29 ans, évoque vaguement le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), sans abandonner le logiciel de son parti : pour lui, le «beau» est mis à mal par l’implantation d’éoliennes ; il prône le retour au local contre les désordres du libre-échange, et veut faire reconnaître la «solastalgie», un terme qui désigne une souffrance psychologique face à la nature modifiée et aux paysages détruits par le changement climatique. Tout en lui donnant de forts accents identitaires. Sa définition : «C’est un sentiment de dépossession liée aux questions économiques, migratoires et aussi environnementales», explique celui qui dit lire la pionnière de la pensée écologiste Rachel Carson, l’écrivain identitaire Henri Vincenot et le journal La Décroissance.

Conférences, potagers et actions de nettoyage

Une galaxie de collectifs plus radicaux s’empare également du sujet. Parmi eux, deux héritiers du Bastion social, groupuscule d’extrême droite lyonnais né de la dissolution du GUD avant d’être lui-même dissous en 2019 : Tenesoun, une association identitaire implantée en Provence, qui propose à ses membres d’entretenir un potager et organise des conférences sur l’écologie ; Auctorum, un groupuscule catholique identitaire installé à Versailles, qui donnait en février une conférence animée par Jean-Philippe Chauvin, militant royaliste proche de l’Action Française. Le sujet ? «L’écologie intégrale», vision notamment portée par le pape François dans son encyclique de 2015, Laudato si’, qui invite à repenser son mode de vie pour sauvegarder l’environnement.

Le collectif Lyon populaire, les catholiques de Sophia Polis, le groupuscule Des Tours et des lys… Ici on publie des livrets sur le localisme ; là, on organise des conférences sur la question énergétique ou des actions de nettoyage, on lance des appels au boycott d’Amazon et on propose des raids en pleine nature. Tout une frange de l’extrême droite s’éloigne des actions militantes habituelles.

Opération nettoyage pour le groupe Des Tours et des lys. (Source : compte Twitter Des Tours et des lys)

Le message ? Porter une écologie d’action en opposition à une écologie supposée militante, incarnée par la militante Camille Etienne ou la députée Sandrine Rousseau. «L’extrême droite tente de disqualifier les écologistes, ces “méchants gauchistes”, ces “pastèques” comme les désignait Jean-Marie Le Pen, raconte à Vert le sociologue de l’extrême droite Erwan Lecoeur. L’offensive est en cours et les écolos n’ont toujours pas compris qu’ils en étaient la cible». Une analyse confirmée par Vianney Vonderscher, qui considère que le sujet est «gâché par les excès de l’extrême gauche et des écolos qui lui font plus de mal qu’autre chose».

Une écologie enracinée et identitaire

Contre «l’écologie punitive», ces jeunes d’extrême droite prônent «le localisme» et «l’enracinement». Ils remettent en cause la mondialisation et appellent à une consommation plus locale, pour réindustrialiser le pays, créer des emplois et réduire le bilan carbone des Français·es. Un discours facile à appréhender, sorte «d’écologie pour les nuls, selon Erwan Lecoeur. Face aux défis écologiques, l’extrême droite donne à voir un âge d’or imaginaire, un passé idéalisé, celui durant lequel on mangeait la vache élevée dans le pré et où tout allait bien. Comme si la France pouvait revenir à une forme de production des années 20 ou 30. Évidemment, ça ne fonctionne pas.»

L’idée : non pas sauver la planète, mais sauvegarder un terroir, un pays et ses habitant·es. «Il ne s’agit pas d’une écologie mondiale avec une prise en compte de la planète au sens large, mais d’une France qui doit se protéger contre la dégradation du monde. On en revient à une vision écologico-nationaliste, qui permet de se donner bonne conscience à moindre frais. Et à moindre effort», note le chercheur.

Sur Instagram, la Cocarde Lycée fait campagne sur l’écologie. (Source : compte Instagram de la Cocarde Lycée)

Pour Vianney Vonderscher, c’est une question de «pragmatisme» : «On voit bien que le réchauffement climatique provoque aussi des déplacements de populations, donc forcément une immigration de masse vers notre continent tant qu’il est épargné. Nous essayons de faire preuve d’une certaine cohérence». Derrière les discours flous, l’écologie est mise au service de l’idéologie identitaire.

Décroissants et climatosceptiques

Une «certaine cohérence» que l’on ne retrouve pas forcément dans la liste de lectures sur l’écologie conseillées par le syndicat étudiant. Des auteurs comme Serge Latouche, professeur émérite à l’université d’Orsay et l’un des principaux théoriciens de la décroissance en France, y côtoient des climatosceptiques tels que Claude Allègre, Christian Gerondeau ou encore François Gervais. «Le but, c’est d’amener à la confrontation, se défend Vianney Vonderscher. On ne peut pas parler que d’auteurs fatalistes qui nous disent qu’on va tous mourir et que c’est inéluctable. On préfère parler de livres qui amènent à réfléchir, dans un sens comme dans l’autre».

Alors que l’extrême droite a jusqu’à présent échoué à parler d’écologie, la jeune génération compte insuffler un vent nouveau, toujours au service d’une idéologie identitaire. Signe, pour l’avocat spécialiste en droit de l’environnement Arnaud Gossement, que la démarche manque quelque peu de sincérité. «Être écologiste, ce n’est pas prendre la protection de l’environnement comme un prétexte pour rejeter les étrangers ou fermer les frontières. C’est considérer la préservation de la nature comme une fin en soi. Une nuance fondamentale que l’extrême droite n’a pas intégrée».

*Il n’a pas souhaité nous donner son nom.

Pauline Gensel et Lucas Sarafian