Décryptage

Croissance verte et chasse au gaspi : l’écologie de droite selon Valérie Pécresse

La candidate Les Républicains à l'élection présidentielle se démarque de ses adversaires de droite par un programme plus étoffé sur l'écologie. Mais à manier seulement l'incitation sans « punition » et à préférer la technologie au changement de société, son projet paraît s'éloigner de l'ambition réclamée par la lutte contre la crise climatique.
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Le courage de vert ? Après de nom­breuses pages dédiées – sans sur­prise — à la sécu­rité, l’im­mi­gra­tion ou la sou­veraineté, les dernières lignes du pro­gramme de Valérie Pécresse nous font l’au­da­cieuse promesse d’« une France zéro car­bone ». Pour ce faire, la can­di­date compte notam­ment sur sa poli­tique énergé­tique. Large­ment tournée vers l’atome, comme de cou­tume à droite, celle-ci prévoit le déploiement de six nou­veaux réac­teurs nucléaires et l’a­ban­don de la fer­me­ture pro­gram­mée de douze autres unités.

Cette poli­tique une fois com­plétée par le « développe­ment de vraies fil­ières d’énergies renou­ve­lables et des éner­gies du futur comme l’hydrogène », tous ces gigawatts doivent per­me­t­tre d’élec­tri­fi­er de nom­breuses activ­ités et d’as­sur­er les con­di­tions d’une « réin­dus­tri­al­i­sa­tion écologique de la France », explique Olivi­er Blond, con­tribu­teur au pro­gramme de la can­di­date. « Si l’on ne regarde que nos émis­sions de CO2, elles sont en baisse con­stante depuis une quin­zaine d’an­nées, mais ce n’est pas le cas de notre empreinte car­bone », qui prend en compte le CO2 émis à l’é­tranger lors de la fab­ri­ca­tion des objets man­u­fac­turés importés par la France : « Il faut relo­calis­er la pro­duc­tion pour pro­duire dans de meilleures con­di­tions envi­ron­nemen­tales ».

Pour autant, le pro­gramme de Valérie Pécresse per­me­t­tra-t-il à la France de rem­plir son objec­tif (con­tenu dans la Stratégie nationale bas-car­bone) de réduire de 40 % ses émis­sions de CO2 d’i­ci à 2030 (par rap­port à 1990) ? « Improb­a­ble », esti­ment, dans leur décryptage, les asso­ci­a­tions de l’« Affaire du siè­cle », qui ont obtenu la con­damna­tion de l’État pour son inac­tion en la matière, et l’oblig­a­tion de rat­trap­er le retard accu­mulé (Vert). « On doit recon­naître qu’on n’a pas fait tous les cal­culs pour véri­fi­er que tout ren­tre » dans les clous de cet objec­tif, admet Olivi­er Blond. Un cal­cul qui paraît d’au­tant plus essen­tiel que la Com­mis­sion européenne vise désor­mais ‑55 % d’i­ci la fin de la décen­nie (Vert).

Le Réseau action cli­mat, qui fédère une trentaine d’as­so­ci­a­tions, juge dure­ment le pro­gramme de Valérie Pécresse. Cliquez sur l’im­age pour accéder à son décryptage. © Réseau action cli­mat

À rebours de l’ur­gence, la can­di­date LR préfère y aller tout doux et manier l’inci­ta­tion plutôt que la con­trainte, voire l’« écolo­gie puni­tive », qu’elle dénonce de longue date chez ses adver­saires verts. « Une ligne forte de Valérie Pécresse, c’est : ‟pas d’in­ter­dic­tion sans alter­na­tive », indique Olivi­er Blond. « Par exem­ple, si on trou­ve une alter­na­tive aux néon­i­coti­noïdes [des pes­ti­cides très nocifs réin­tro­duits par le gou­verne­ment pour lut­ter con­tre la jau­nisse de la bet­ter­ave à sucre, NDLR], dans ce cas on peut les inter­dire ». Tant pis si l’Ans­es (Agence nationale de sécu­rité san­i­taire de l’alimentation, de l’environnement et du tra­vail) a iden­ti­fié 22 manières de s’en pass­er (Vert).

En agri­cul­ture comme dans d’autres domaines, si l’on trou­ve des mesures générale­ment plus ambitieuses que celles de ses con­cur­rents à droite, la can­di­date rechigne à s’at­ta­quer au cœur du prob­lème. En matière de mobil­ités, elle prône la mod­erni­sa­tion du fer­rovi­aire et veut favoris­er le développe­ment des véhicules élec­triques, mais elle se refuse à plaider pour une réduc­tion du traf­ic routi­er. Idem pour l’avion, pour­tant un fort con­tribu­teur au change­ment cli­ma­tique (Vert) ; Valérie Pécresse préfère miser sur des tech­nolo­gies encore imma­tures comme l’avion élec­trique ou à hydrogène, plutôt que de lim­iter le nom­bre de vols. Or cette mesure est indis­pens­able à la baisse des émis­sions du secteur, comme l’avaient expliqué les ingénieurs du Shift project et de Supaéro décar­bo dans une étude (Vert).

Olivi­er Blond revendique une « atti­tude résol­u­ment technophile ». Bien que l’on n’ait jamais observé de décor­réla­tion (absolue) entre la hausse du PIB et celle des émis­sions de CO2 à tra­vers l’His­toire, Valérie Pécresse parie sur une crois­sance « verte et durable » faite d’in­vestisse­ment et d’in­no­va­tion.

Valérie Pécresse, lors d’une vis­ite éclair en Guade­loupe, le 4 avril dernier. © Car­la Bern­hardt / AFP

Plus orig­i­nal, la can­di­date ose désor­mais le terme de « sobriété », longtemps tabou à droite, dont elle fait un syn­onyme de « chas­se au gaspillage ». Elle veut par exem­ple éviter la gabe­gie d’eau, sans toute­fois remet­tre en cause l’ir­ri­ga­tion en agri­cul­ture. Pour réduire la débauche de gaz et d’élec­tric­ité, Valérie Pécresse pro­pose notam­ment de dou­bler le rythme actuel de réno­va­tion énergé­tique com­plète des loge­ments (notre arti­cle sur ce chantier essen­tiel). Autre mesure qui mar­que une com­préhen­sion plus fine de ces sujets qu’Em­manuel Macron ou Marine Le Pen, elle veut lut­ter con­tre les immenses fuites de méthane issues de l’in­dus­trie gaz­ière et pétrolière, qui con­stituent l’un des moyens les plus rapi­des de com­bat­tre l’emballement du cli­mat (Vert). Hélas, elle ne dit pas un mot sur l’indis­pens­able sor­tie des hydro­car­bu­res, qui con­stituent la pre­mière cause du réchauf­fe­ment.

« On est plus dans une logique de chas­se au gaspillage que de décrois­sance », explique Olivi­er Blond, une philoso­phie à laque­lle il s’op­pose rad­i­cale­ment dans son Plaidoy­er pour une écolo­gie de droite, qui vient de paraître (Albin Michel, 2022). On va essay­er de faire que les gens aient la même qual­ité de vie […], qu’il n’y ait pas de renon­ce­ment à un cer­tain bien-être ». À trop refuser d’ap­pli­quer des con­traintes sur les indi­vidus, le cli­mat ne risque-t-il pas de s’en charg­er ?

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