Décryptage

Carburants «durables», hydrogène, électrique : les lointaines promesses de l’«avion vert»

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Kérosène attitude. L’avion de demain est censé se passer presque totalement de kérosène. Mais aucune des alternatives envisagées ne permet vraiment de relever ce défi, surtout sans une réduction du trafic.

Aujourd’hui responsable de 2,5 à 3 % des émissions mondiales de CO2 (et presque 6% du réchauffement climatique), le secteur aérien devra réduire (et/ou compenser) ses rejets jusqu’à zéro pour parvenir à la neutralité carbone d’ici à 2050. C’est en tout cas ce dont ont convenu en octobre dernier les 193 États membres de l’Organisation de l’Aviation civile internationale (OACI). Or, pour l’instant, les expert·es constatent surtout l’ampleur du décalage entre ce que prévoient les industriels et ce qui serait nécessaire pour atteindre cet objectif.

La hausse de trafic surpasse les gains technologiques

Les avionneurs comme Airbus prétendent mener de front un doublement du trafic et une décarbonation presque totale du secteur à horizon 2050. Ils comptent notamment sur l’amélioration des appareils pour que ceux-ci deviennent plus économes en énergie. Par le passé, l’industrie aéronautique a effectivement accompli des gains d’efficacité colossaux, mais ils ont toujours été annulés par des hausses de trafic encore plus importantes. Un «effet rebond» que le chercheur Aurélien Bigo détaille dans son livre Voitures, fake or not ? : «En 2018, un kilomètre en avion pour un passager demandait environ cinq fois moins d’énergie qu’en 1973. Pourtant, au niveau mondial, les émissions ont été multipliées par 2,8 sur cette même période. La raison ? Le trafic aérien a été multiplié par 13 en 45 ans».

Dans les années à venir, les hausses de trafic devraient surpasser à nouveau les gains technologiques, d’autant que ces derniers tendent de plus en plus à plafonner, confirme à Vert Julien Joly, expert aéronautique au sein du cabinet Wavestone. Il estime qu’«il faudrait désormais une innovation de rupture pour espérer continuer cette courbe».

Le secteur aéronautique mise les «avions de demain» pour continuer à augmenter le trafic tout en respectant les objectifs de décarbonation, comme présenté ici au salon de l’aéronautique du Bourget. © Vert / Alban Leduc

Les «carburants d’aviation durable»

Surtout, le secteur bute aujourd’hui sur un défi majeur : trouver des alternatives au kérosène fossile, qui représente la majorité de son empreinte carbone. À l’heure actuelle, la filière parie intensément sur les SAF (sustainable aviation fuel ou «carburants d’aviation durable») : des carburants alternatifs qui peuvent être mélangés avec le kérosène sans modification technologique des avions existants. Dans le règlement ReFuelEU Aviation tout juste adopté, l’Union européenne a d’ailleurs fixé comme objectif au secteur d’incorporer progressivement ces SAF, à hauteur de 2% des carburants en 2025 et 6% en 2030, pour atteindre 70% en 2050. Une incorporation à petits pas qui fait l’objet de critiques : «en bref, l’avion vert, c’est 94 % de kerosène», moque sur Twitter notre confrère de Mediapart Mickaël Correia. Mais si les avions n’en incorporent pas plus, c’est surtout parce que les gisements sont encore très limités.

Les plus «prometteurs» de ces SAF sont, selon Julien Joly, les agrocarburants de deuxième génération, c’est-à-dire issus de résidus organiques (huiles de cuisson, déchets agricoles et forestiers) ou d’algues. Ils doivent remplacer les biocarburants de première génération, bannis de l’aviation par l’Union européenne car ils entrent en compétition avec des cultures alimentaires et causent de la déforestation.

Au salon international de l’aéronautique du Bourget (Seine-Saint-Denis), les avionneurs misent sur les carburants durables pour assurer l’avenir de la filière.  © Vert / Alban Leduc

Mais «la deuxième génération est aujourd’hui embryonnaire», prévient Julien Joly. «Les volumes sont très faibles par rapport à la demande de l’aviation et d’autres secteurs comptent aussi dessus, comme le transport maritime ou le trafic routier». À titre d’exemple, un pays comme la France génère entre 100 et 150 000 tonnes d’huiles alimentaires usagées par an, pour une consommation annuelle de kérosène de 7,1 millions de tonnes en 2019, selon l’Insee. D’après l’Association internationale du transport aérien (Iata), la production mondiale de SAF a atteint 240 000 tonnes en 2022, à comparer aux 300 millions de tonnes de kérosène consommés annuellement avant la pandémie.

L’hydrogène

L’utilisation d’hydrogène (fabriqué à partir d’électricité décarbonée) est une autre alternative, très médiatisée, «mais qui est encore au stade de la recherche», tempère Julien Joly. Airbus souhaite commercialiser un premier modèle d’ici à 2035, mais les freins technologiques sont encore nombreux. Par exemple, «l’hydrogène occupe un volume quatre fois supérieur au kérosène pour la même quantité d’énergie, ce qui implique de repenser le design des avions», illustre Julien Joly.

Des militant·es de Greenpeace peignent en vert un avion d’Air France stationné sur le tarmac de l’aéroport international Roissy-Charles de Gaulle (CDG), au nord de Paris, tandis que d’autres montent pour déployer une banderole, le 5 mars 2021.  © Alain JOCARD / AFP

Pour résoudre ce problème de place, les industriels explorent la piste des carburants synthétiques obtenus en combinant hydrogène (H) et dioxyde de carbone (CO2). Mais «les multiples étapes de fabrication entraînent une très forte déperdition d’énergie», explique à Vert le chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri) Cédric Philibert. Ces solutions nécessitent donc des quantités colossales d’électricité décarbonée, alors même que d’autres secteurs comptent également dessus pour faire leur transition. Selon les chercheurs de l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (Irap) de Toulouse, interrogés par France 24, il faudrait 16 réacteurs nucléaires ou 5 000 km² d’éoliennes pour alimenter en hydrogène l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle (notre article sur l’hydrogène).

L’avion électrique

Quoique mature, l’avion électrique n’est pas en mesure de remplacer les avions de lignes (moyen et long courrier), car les batteries pèsent trop lourd – il faudrait qu’elles soient énormes pour espérer parcourir de longues distances. En clair, l’avion électrique restera un marché de niche, pour de petits avions (2 à 10 passagers) et des courtes distances… là où le train n’existe pas.

L’avion de demain, c’est le T.R.A.I.N. Une pépite anonyme trouvée sur Twitter.

Et la baisse du trafic, dans tout ça ?

Si le secteur se veut optimiste, l’expert de l’énergie Jean-Marc Jancovici juge que l’absence de solution technologiquement mature est un véritable couperet. «L’avion est né et il mourra avec le pétrole», a prophétisé sur France inter le co-auteur de la BD Le monde sans fin. Comme d’autres, il invite les industriels à considérer plus sérieusement une baisse sensible du trafic aérien. En 2021, le think tank du Shift project et le collectif Supaéro Décarbo avaient démontré qu’il n’existait pas de trajectoire réaliste de décarbonation du secteur qui ne passe par une réduction du trafic (notre article).


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