Reportage

Au salon du Bourget, le secteur aéronautique ne veut pas entendre parler de la réduction du trafic

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Promess­es en l’air ? Le salon inter­na­tion­al de l’aéronautique qui se tient toute la semaine au Bour­get (Seine-Saint-Denis) vante un pan­el de solu­tions tech­nologiques pour attein­dre la neu­tral­ité car­bone de l’aviation en 2050. Dans les allées, mêmes certain·es professionnel·les sont scep­tiques.

Sous les bruyantes démon­stra­tions d’avions et à l’é­cart des ter­rass­es où des con­trats à sept chiffres se con­clu­ent arrosés de cham­pagne, un petit espace du salon inter­na­tion­al de l’aéro­nau­tique affiche en grand le rêve du secteur : «Vers un voy­age décar­boné».

Com­ment le secteur compte-t-il sérieuse­ment attein­dre la neu­tral­ité car­bone — ne plus émet­tre davan­tage de gaz à effet de serre que ce que l’on est capa­ble d’absorber — tout en voy­ant son traf­ic dou­bler dans les 20 prochaines années, comme le prévoit Air­bus ? «On est très con­scient de l’ur­gence absolue, nous sommes aus­si des ingénieurs et des sci­en­tifiques», tente de ras­sur­er une représen­tante du salon, en venant au con­tact des vis­i­teurs. «Oui, mais quand vous dites “zéro émis­sion” c’est pas vrai­ment zéro», la coupe une ingénieure fraîche­ment diplômée de l’école des Mines de Paris.

Un pavil­lon dédié à la décar­bon­a­tion présente les solu­tions envis­agées par le secteur pour créer les «avions de demain». © Vert / Alban Leduc

Car­bu­rants «verts», hydrogène, amélio­ra­tion des per­for­mances… le salon mise à fond sur la tech­nolo­gie pour attein­dre cet objec­tif colos­sal. Hélas, en com­bi­nant toutes les solu­tions encore bal­bu­tiantes, la courbe de réduc­tion des émis­sions de CO2 du secteur — mise en avant à l’entrée du pavil­lon par le Groupe­ment des indus­tries français­es aéro­nau­tiques et spa­tiales (Gifas) — n’arrive pas à zéro.

Pour y par­venir, 20 à 30% des émis­sions du secteur devraient être com­pen­sées, en achetant des crédits sur le marché car­bone, qui sont pour l’heure large­ment bidon. «Vous en con­nais­sez, vous, des fil­ières qui ne vont rien émet­tre ?», se défend Philippe Nov­el­li, mem­bre de l’Office nation­al d’é­tudes et de recherch­es aérospa­tiales (Onera). Après avoir com­pilé toutes les vari­ables, de la démo­gra­phie aux lég­is­la­tions, il assure qu’«on ne peut pas y arriv­er sans avoir essayé».

Der­rière les fig­urines de tous ses avions d’affaire et de com­bat, l’entreprise Das­sault affiche en grand les ver­tus des «car­bu­rants durables». © Vert / Alban Leduc

Alors que le traf­ic aérien retrou­ve son niveau d’a­vant Covid, le salon priv­ilégie le «tou­jours plus». Sur les énormes stands de l’ar­mée de l’air boost­és par la guerre en Ukraine, ou chez les vendeurs de jets privés, on a seule­ment accolés les let­tres SAF, pour «sus­tain­able avi­a­tion fuels» — tous les nou­veaux mod­èles sont ain­si présen­tés comme com­pat­i­bles avec des «car­bu­rants durables». Fab­riqués à par­tir d’huiles de cuis­son, de graiss­es ani­males récupérées des abat­toirs ou de résidus de bio­masse, ces nou­veaux com­bustibles font pour­tant déjà face à un manque de gise­ments, alors qu’ils représen­tent aujourd’hui seule­ment 1% des car­bu­rants con­som­més dans le monde.

«La décroissance du trafic est un gros mot ici»

La réduc­tion du traf­ic ne fait pour­tant pas par­tie des scé­nar­ios envis­agés. La sobriété «qui con­siste à dire : “il faut tout arrêter en quelque sorte et il faut renon­cer à la crois­sance”, je ne la crois pas raisonnable», appuie Emmanuel Macron, venu inau­gur­er le salon et assur­er le secteur de son sou­tien.

En vis­ite sur le salon du Bour­get, Emmanuel Macron a prôné «la sobriété bien organ­isée, “non puni­tive”, com­prise par tous, partagée par tous, raisonnable, qui fait qu’on fait cha­cun des efforts». © Vert / Alban Leduc

Pour autant, dans les allées, certain·es professionnel·les restent scep­tiques. «L’ob­jec­tif de neu­tral­ité car­bone est avant tout là pour attir­er les investisse­ments, per­son­nelle­ment je n’y crois pas», avoue le représen­tant d’une entre­prise de décar­bon­a­tion qui souhaite rester anonyme, tant sa posi­tion est rare. «La décrois­sance du traf­ic est un gros mot ici», résume Michele Doliget, sta­giaire dans une entre­prise aéro­nau­tique. Elle souligne le fos­sé qui se creuse entre les jeunes diplômé·es, conscient·es des enjeux cli­ma­tiques et les plus ancien·es, attaché·es aux rêves de vol­er.