Décryptage

L’hydrogène est-il une vraie solution pour le climat ?

L’hydrogène est un levier indispensable pour décarboner des pans entiers de notre économie. Mais comme toutes les «solutions miracles», il charrie aussi beaucoup d’illusions. Transports, industrie… Tour d’horizon de ce qu’il peut et ne peut pas pour la transition.
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L’hydrogène, c’est quoi ?

L’hydrogène (H) est l’élément chim­ique le plus abon­dant dans l’univers. Sur Terre, il est rarement présent à l’é­tat pur, mais il entre dans la com­po­si­tion de l’eau (H2O) et d’hydrocarbures comme le gaz naturel (CH4). Aujourd’hui, l’hydrogène est surtout util­isé dans la pétrochimie. Mais on peut aus­si pro­duire de l’hydrogène à par­tir d’électricité et vice-ver­sa, ce qui ouvre de nou­velles per­spec­tives pour la tran­si­tion énergé­tique dans les trans­ports et l’industrie.

Aujourd’hui, l’hydrogène est très loin d’être “vert”

Quand on se penche pour la pre­mière fois sur l’hydrogène et ses usages actuels, on peine à faire le lien avec la tran­si­tion écologique. En effet, ce gaz est aujourd’hui util­isé à 80 % dans le secteur de la pétrochimie, en par­ti­c­uli­er pour raf­fin­er des pro­duits pétroliers et pro­duire de l’ammoniac, qui entre dans la com­po­si­tion des engrais de syn­thèse.

Surtout, son mode d’obtention le plus répan­du (à 99%) – le refor­mage – est forte­ment pol­lu­ant puisqu’il s’agit d’extraire les molécules d’hydrogène (H) présentes dans le gaz naturel (CH4) en relâchant au pas­sage une bonne dose de car­bone (C ) dans l’air. Résul­tat, la pro­duc­tion actuelle de près de 100 mil­lions de tonnes d’hydrogène par an représente pas moins de 2,3% des émis­sions mon­di­ales de gaz à effet de serre !

Demain, une production décarbonée

Mais si l’hydrogène nour­rit autant d’espoirs, c’est qu’il est aus­si pos­si­ble de s’en pro­cur­er de façon beau­coup plus vertueuse puisque, comme son nom l’indique, il est aus­si un com­posant de l’eau (H2O). En util­isant un courant élec­trique (l’électrolyse) il est en effet pos­si­ble d’isoler les atom­es d’hydrogène (H) et d’oxygène (O). Pour peu que l’électricité soit d’origine renou­ve­lable ou décar­bonée, on tient la for­mule mag­ique !

À gauche, la pro­duc­tion d’hydrogène par refor­mage du gaz émet beau­coup de CO2. À droite, l’électrolyse de l’eau ne relâche que de l’oxygène © Air Liq­uide

Ces dernières années, la plu­part des pays indus­tri­al­isés ont fait de l’hydrogène une pri­or­ité de leur poli­tique cli­ma­tique. Et les indus­triels ne sont pas en reste non plus, d’Airbus à Total­En­er­gies et d’ArcelorMittal à Engie. Les appli­ca­tions imag­inées sont telles, qu’on pour­rait croire par­fois que chaque goutte d’hydrocarbure sera rem­placée demain par un atome d’hydrogène «pro­pre».

Quand il est extrait du gaz fos­sile, l’hydrogène est dit «gris». Il devient «bleu» quand le CO2 dégagé est cap­té pour l’enfouir dans le sous-sol. Ces pro­jets sont portés par la fil­ière pétrogaz­ière qui y voit une oppor­tu­nité de verdir ses activ­ités, mais aus­si de réu­tilis­er les puits d’hydrocarbures épuisés pour stock­er du car­bone. Il est dit «rose» quand il est pro­duit à par­tir d’électricité d’origine nucléaire, et «vert» quand l’électricité est de source renou­ve­lable.

Une forte déperdition d’énergie

«L’hydrogène n’est pas le nou­veau pét­role !», aver­tit toute­fois Inès Bouaci­da, chercheuse à l’Institut du développe­ment durable et des rela­tions inter­na­tionales (Iddri) et autrice de plusieurs études sur le sujet. «Effec­tive­ment, ça peut servir à beau­coup de choses, mais ça ne veut pas dire qu’on doit s’en servir pour tout», résume-t-elle. La rai­son est sim­ple : con­ver­tir de l’électricité en hydrogène entraîne une forte déperdi­tion d’énergie (env­i­ron 30%). Et les choses s’aggravent encore si on recon­ver­tit l’hydrogène ultérieure­ment, sous forme d’électricité ou de car­bu­rant (voir plus bas). «En rai­son de cette faible effi­cac­ité énergé­tique, l’hydrogène doit donc être util­isé en pri­or­ité là où il n’y a pas d’autres alter­na­tives», résume Inès Bouaci­da.

Indispensable dans l’industrie

En toute logique, «les usages exis­tants de l’hydrogène sont à priv­ilégi­er», con­firme Cédric Philib­ert, chercheur à l’Institut français des rela­tions inter­na­tionales (Ifri). Mais «la molécule est aus­si très atten­due dans la sidérurgie, où elle peut rem­plac­er le char­bon comme agent réduc­teur d’oxyde de fer pour la pro­duc­tion de l’acier». La tech­nolo­gie est encore en voie d’industrialisation – les pre­mières tonnes d’acier «vert» ont été pro­duites en août 2021 par le sidérur­giste sué­dois SSAB – mais elle con­stitue une option très promet­teuse pour décar­bon­er le secteur. La sidérurgie est respon­s­able à elle seule de 7% des gaz à effet de serre mon­di­aux, rap­pelle Cédric Philib­ert.

Circonscrit à certains transports

Quant aux trans­ports, «l’hydrogène devra être cir­con­scrit aux secteurs qu’on ne peut pas élec­tri­fi­er» en util­isant des lignes élec­triques ou des bat­ter­ies, tels que l’aviation, le trans­port mar­itime ou la route de longues dis­tances, résume Inès Bouaci­da. L’utilisation directe d’électricité par les bat­ter­ies de véhicules élec­triques présente une effi­cac­ité énergé­tique de 75 %, con­tre 30 % pour les motori­sa­tions à hydrogène.

Le con­cept ZEROe d’Air­bus : un A380 con­ver­ti avec une motori­sa­tion “zéro émis­sion” à hydrogène. Des vols d’es­sai devraient avoir lieu en 2026. © Air­bus

«Plus d’énergie néces­saire, c’est donc aus­si beau­coup cher», prévient-elle. Pour résumer, «l’hydrogène n’a pas sa place dans les voitures par­ti­c­ulières», tranche Inès Bouaci­da. Un mes­sage qui n’est pas encore par­venu aux oreilles de l’ex-ministre des Trans­ports Jean-Bap­tise Djeb­bari, recon­ver­ti dans le privé comme VRP de la voiture à hydrogène.

En soutien du réseau électrique

L’hydrogène, enfin, peut con­stituer un levi­er de sta­bil­ité dans un sys­tème élec­trique qui mis­erait large­ment sur des éner­gies renou­ve­lables, dont la pro­duc­tion est inter­mit­tente. Lors des pics de pro­duc­tion, l’électricité excé­den­taire peut ain­si être con­ver­tie en hydrogène pour être stock­ée et util­isée plus tard. Lors des pics de demande, l’hydrogène peut alors être util­isé en rem­place­ment du gaz dans les cen­trales élec­triques dites «d’appoint» (back-up). Mais là encore, les fortes déperdi­tions d’énergie con­stituent une lim­ite impor­tante : «Ces cen­trales ont voca­tion à ne fonc­tion­ner que très peu de temps dans l’année, lors de déséquili­bre du réseau», pré­cise Cédric Philib­ert.

La sobriété avant tout

Pour répon­dre à des besoins qui vont aller crois­sants, l’Union européenne (UE) prévoit de pro­duire dix mil­lions de tonnes d’hydrogène vert par an à l’horizon 2030. Cela néces­sit­era pas moins de 500 térawattheures d’électricité bas-car­bone, soit à peu près l’équivalent de la con­som­ma­tion élec­trique de la France en élec­tric­ité chaque année. L’Europe compte en importer dix mil­lions de tonnes de plus, depuis des pays riche­ment dotés en ressources renou­ve­lables. L’Allemagne a d’ailleurs déjà noué des parte­nar­i­ats avec le Cana­da, le Maroc ou encore la Mau­ri­tanie pour s’en pro­cur­er. Mais son trans­port présente d’im­por­tants défis tech­niques car les molécules d’hy­drogène sont petites et volatiles. De son côté, la France et quelques alliés batail­lent pour que l’hy­drogène rose soit sub­ven­tion­né par l’UE.

Dans tous les cas, ces usages de l’hydrogène devront être con­jugués à une sobriété dras­tique, aver­tit Inès Bouaci­da car les besoins en élec­tric­ité seront colos­saux à la fois pour pro­duire de l’hydrogène et décar­bon­er le sys­tème élec­trique. Il est donc, par exem­ple, inen­vis­age­able de main­tenir le traf­ic aérien au même niveau qu’aujourd’hui.

Cet arti­cle est issu de notre rubrique Le vert du faux. Idées reçues, ques­tions d’actualité, ordres de grandeur, véri­fi­ca­tion de chiffres : chaque jeu­di, nous répon­drons à une ques­tion choisie par les lecteur·rices de Vert. Si vous souhaitez vot­er pour la ques­tion de la semaine ou sug­gér­er vos pro­pres idées, vous pou­vez vous abon­ner à la newslet­ter juste ici.