Décryptage

Les néo-banques “vertes” sont-elles vraiment écolos ?

De plus en plus de néobanques promettent à leurs client·es de ne plus financer la crise climatique et de soutenir activement la transition écologique. Des initiatives intéressantes, à condition qu’elles soient suffisamment poussées et transparentes pour ne pas tomber dans le greenwashing.
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La banque verte est pas mûre ? Saviez-vous que votre argent par­tic­i­pait prob­a­ble­ment à financer le dérè­gle­ment du cli­mat ? Le secteur ban­caire porte une énorme respon­s­abil­ité dans la crise cli­ma­tique puisqu’il per­met de sub­ven­tion­ner les éner­gies fos­siles et tout un tas d’autres activ­ités pol­lu­antes. D’après l’édition 2022 du rap­port Bank­ing on cli­mate chaos, réal­isé par plusieurs ONG, plus de 350 mil­liards de dol­lars (343Mds€) ont été alloués aux éner­gies fos­siles (char­bon, pét­role et gaz) par les grandes ban­ques français­es depuis l’Accord de Paris. Signé en 2015, ce dernier vise à main­tenir le réchauf­fe­ment cli­ma­tique bien en-dessous de 2°C en 2100 par rap­port au niveau préin­dus­triel et, si pos­si­ble, sous 1,5°C.

Pour lim­iter l’impact écologique de la finance, plusieurs «néoban­ques» vertes ou «écoban­ques» se sont dévelop­pées ces dernières années. Celles-ci promet­tent de ne plus soutenir le développe­ment des fos­siles, voire de financer des pro­jets qui par­ticipent à la décar­bon­a­tion de l’économie.

Qu’est-ce qu’une néobanque ?

Les néoban­ques sont des entre­pris­es qui pro­posent des ser­vices ban­caires acces­si­bles en ligne ou via des appli­ca­tions. Ces ser­vices sont sou­vent sim­pli­fiés et moins chers que ceux pro­posés par les étab­lisse­ments ban­caires, mais ils sont aus­si plus lim­ités. L’usage du terme «néobanque» est un abus de lan­gage, puisque ces entre­pris­es ne dis­posent pas de l’agrément d’établissement ban­caire, qui leur per­met de pro­pos­er à leurs client·es de con­tracter un crédit. Pour cette rai­son, les néoban­ques offrent une inter­face et des ser­vices de paiement pour les usager·es, mais can­ton­nent leurs fonds dans des ban­ques tra­di­tion­nelles à qui elles sont affil­iées.

Comment fonctionnent les écobanques ?

«Ensem­ble, dépol­lu­ons la banque», «Chang­er de banque pour chang­er le monde», «Épargnez votre argent, épargnez la planète» : à coup de slo­gans bien léchés, toutes les néoban­ques vertes promet­tent de s’abstenir de financer les éner­gies fos­siles et les autres secteurs très pol­lu­ants.

© Vert

Néan­moins, deux caté­gories d’écobanques se dis­tinguent. La pre­mière utilise les frais d’interchange — les com­mis­sions fac­turées aux commerçant·es lors d’un paiement en carte ban­caire (0,2% du mon­tant) — pour financer des pro­jets envi­ron­nemen­taux. Fon­da­trice de Green Got, Maud Cail­laux revendique «plusieurs cen­taines de mil­liers d’euros financés sous forme de dons» dans ce type de pro­jets. En 2022, ces dons ont représen­té 2 550 tonnes de CO2 équiv­a­lent (tCO2eq) évitées (pdf), soit l’équivalent des émis­sions de 255 Français·es en un an, et 4 210 tonnes de CO2eq stock­ées. Par ailleurs, Green Got éval­ue l’impact des investisse­ments d’Arkéa, auquel elle est adossée, «à 160–170 tonnes» de CO2 équiv­a­lent par mil­lion d’euros investi (tCO2eq), soit trois fois moins que la moyenne des ban­ques français­es, mais pré­cise que le rap­port con­fié à un cab­i­net externe «n’est pas final­isé».

Utilis­er les com­mis­sions de carte ban­caire, c’est aus­si la solu­tion trou­vée par la néobanque Only­One, adossée à la Société Générale. En 2022, elle a financé «env­i­ron 30 000€» de pro­jets. Son fon­da­teur, Kamel Naït Out­aleb, avance qu’il est «impos­si­ble d’évaluer l’impact car­bone des dépôts» et souligne qu’OnlyOne n’investit pas l’argent de ses client·es. Toute­fois, les investisse­ments de la Société générale ont le pire impact car­bone des ban­ques français­es avec 635 tCO2eq par mil­lion investi. «Notre propo­si­tion de valeur ne réside pas dans le «fléchage» de l’argent mais dans ce qu’on a con­stru­it comme out­il pour mon­i­tor­er l’impact car­bone de notre con­som­ma­tion, grâce à notre eco coach qui estime l’empreinte car­bone des dépens­es et pro­pose des actions et des alter­na­tives», plaide Kamel Naït Out­aleb. L’ap­pli­ca­tion per­met en effet à chacun·e de con­naître l’empreinte car­bone de ses achats et de s’en­gager dans la réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre liées à son mode de vie.

«L’interchange et la vie de bureau sont vrai­ment sec­ondaires lorsqu’on fait l’empreinte car­bone des ban­ques. C’est moins de 3% des émis­sions. Les 97% restants, ce sont les investisse­ments, l’activité de banque elle-même», met en garde Clé­mence Lacharme, experte sur la finance cli­mat au sein du cab­i­net Car­bone 4. À ce jour, seule l’écobanque Helios, adossée à la banque alle­mande Solar­is­bank, est en mesure de fléch­er ses investisse­ments vers des secteurs de la tran­si­tion. L’argent des déposant·es sera util­isé à hau­teur de 35% pour financer des pro­jets “verts”. Dans un exer­ci­ce de trans­parence peu courant dans le secteur ban­caire, Helios a pub­lié un bilan car­bone détail­lé de ses investisse­ments. Ceux-ci émet­tent 148 tonnes de CO2eq par mil­lion d’euros, soit trois fois moins que la moyenne des ban­ques français­es en 2021. Elle a investi six mil­lions d’euros dans des pro­jets et évité près de 66 000 tonnes de CO2 en 2022 (pdf), l’équivalent de 6 600 Français·es en un an. À présent, la banque voudrait inve­stir les dépôts des client·es à 40%, un max­i­mum pour fournir des liq­uid­ités, et diver­si­fi­er son offre de pro­duits, notam­ment dans l’assurance-vie. Car aujourd’hui «une par­tie de l’argent des clients reste dans les ban­ques tra­di­tion­nelles» relève sa fon­da­trice Mae­va Cour­tois.

Extrait du rap­port d’im­pact 2022 de Helios

Quelles sont les principales limites des néobanques ?

Si les néoban­ques font atten­tion aux entre­pris­es qu’elles finan­cent, elles restent adossées à des étab­lisse­ments ban­caires tra­di­tion­nels. «Les fonds déposés par les clients dans les néoban­ques ali­mentent d’autres étab­lisse­ments de crédit et aug­mentent leurs capac­ités de finance­ment, donc il faut absol­u­ment regarder ce qui se passe der­rière et quelles sont les poli­tiques de ces ban­ques», prévient Raphaël Cros, chargé de cam­pagne pour l’ONG Reclaim finance, spé­cial­isée dans la finance durable. Un gros bémol qui vaut pour les offres d’épargne.

La trans­parence et le fléchage des fonds pêchent égale­ment : «Quand on regarde le détail, les offres d’épargne pro­posées par ces néoban­ques sont celles d’autres insti­tu­tions ban­caires. On ne sait pas vrai­ment où va l’argent. Elles investis­sent sur le marché côté en bourse, c’est-à-dire dans les grandes entre­pris­es. Est-ce qu’il ne faudrait pas plutôt inve­stir dans 99% de notre tis­su économique con­sti­tué de PME non cotées ?», soulève Clé­mence Lacharme.

Bien sou­vent, les comptes dans les néoban­ques sont des comptes sec­ondaires, qui s’ajoutent à un compte prin­ci­pal détenu dans une banque tra­di­tion­nelle. Or, détenir plusieurs comptes revient à démul­ti­pli­er les activ­ités et génère un sur­plux d’émissions liées aux dat­a­cen­ters. «Pour résoudre cela, il faudrait que les ban­ques prin­ci­pales et his­toriques s’inspirent de ce que font les néoban­ques. Ou que les écoban­ques rem­pla­cent les ban­ques his­toriques», remar­que encore Clé­mence Lacharme. Des solu­tions com­plé­men­taires comme Good­vest pour l’assurance-vie, le finance­ment par­tic­i­patif de pro­jets avec la plate­forme Lita.co ou le don à des asso­ci­a­tions per­me­t­tent de soutenir la tran­si­tion.

Enfin, il sem­ble dif­fi­cile d’évaluer l’impact posi­tif de cer­tains pro­jets financés. Aux côtés du finance­ment de la réno­va­tion du métro de Mar­seille par exem­ple, Helios sou­tient la Recherche et le développe­ment des véhicules de luxe à hydrogène vert de la société Hopi­um.

Des solutions dans les banques traditionnelles et éthiques

«Ces néoban­ques mon­trent qu’il y a un marché et que c’est pos­si­ble d’attirer une clien­tèle sur les ques­tions cli­ma­tiques», salue Clé­mence Lacharme. Cette «brèche mar­ket­ing», selon ses mots, accentue la pres­sion sur le sys­tème ban­caire tra­di­tion­nel. Une vision partagée par Raphël Cros : «Il n’y a pas de banque par­faite, mais il ne faut pas tomber dans le tra­vers inverse de con­sid­ér­er qu’elles sont toutes mau­vais­es. Un cer­tain nom­bre d’établissements ban­caires ont la volon­té crédi­ble de répon­dre à l’urgence cli­ma­tique. Ils font des bons choix et mon­trent la voie aux acteurs tra­di­tion­nels qui vont peut-être par la suite s’aligner sur ces déci­sions».

En 2021, la Banque postale est dev­enue la pre­mière banque tra­di­tion­nelle au monde à tourn­er com­plète­ment le dos au pét­role et au gaz à hori­zon 2030. C’est même la seule grande banque tra­di­tion­nelle qui s’engage pour le cli­mat d’après l’ONG Reclaim, qui a com­paré les ser­vices pro­posés par une dizaine d’opérateurs ban­caires sur son site «Change de banque».

Il existe égale­ment d’autres ban­ques éthiques comme la Nef, qui pro­pose des solu­tions d’épargne qui finan­cent des pro­jets à impact social et envi­ron­nemen­tal posi­tif, sans pro­pos­er de compte courant ou de moyens de paiement. Ou encore le Crédit coopératif, la banque his­torique des asso­ci­a­tions ou des entre­pris­es de l’économie sociale et sol­idaire.


Une nou­velle ver­sion du tableau com­para­tif a été mise à jour mer­cre­di 25 octo­bre 2023 avec de nou­velles don­nées con­cer­nant l’in­ten­sité car­bone des investisse­ments de Green Got.


La société Only­One a demandé un droit de réponse qui est repro­duit inté­grale­ment ici :

«La société Only­One n’u­tilise pas le terme «néobanque» dans sa com­mu­ni­ca­tion. Elle n’a pas util­isé l’ar­gu­ment mar­ket­ing de ne jamais soutenir le développe­ment fos­sile, non pas parce qu’elle pense que ce n’est pas impor­tant mais, ne pou­vant maîtris­er le fléchage des dépôts, Only­One ne s’est jamais per­mis de faire cette promesse. En revanche, c’est bien l’ob­jec­tif d’On­ly­One de créer un nou­veau mod­èle et pro­pos­er demain une épargne avec des exclu­sions strictes. La phrase «Epargnez votre argent, épargnez la planète» est sor­tie de son con­texte car, sur notre site inter­net, elle ren­voie vers une place de marché pro­posant des pro­duits et ser­vices d’é­pargne et d’in­vestisse­ment, cette phrase n’est en rien le slo­gan prin­ci­pal d’On­ly­One. Le tableau fait référence à une «banque de rat­tache­ment de can­ton­nement des fonds» ce sont deux choses dif­férentes. Only­One n’est pas rat­tachée à la Société Générale mais le can­ton­nement est opéré par la Société générale. L’af­fir­ma­tion selon laque­lle et de manière indi­recte les dépôts d’On­ly­One pour­raient génér­er 635t de CO2eq n’a aucun fonde­ment. Les cof­fres d’é­pargne sont indépen­dants du compte courant et ont un IBAN dédié. Only­One pro­pose une assur­ance-vie via son parte­naire Good­vest, et pro­posera un pro­duit d’i­ci fin 2023/Début 2024. La réponse com­plète à pro­pos de l’in­vestisse­ment des dépôts étaient «Les “néoban­ques” n’ont pas le statut d’étab­lisse­ment de crédit de ce fait il est impos­si­ble d’é­val­uer l’im­pact car­bone des dépôts compte tenu que l’ar­gent est fon­gi­ble».