Décryptage

Ministre délégué aux transports parti pour un constructeur de voitures à hydrogène : le pantouflage douteux de Jean-Baptiste Djebbari

Sans (hydro)gêne. Ce lundi, sans attendre la démission du gouvernement, le constructeur de voitures de luxe à hydrogène Hopium a annoncé avoir proposé Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué aux transports, comme futur membre de son conseil d'administration. Quelques mois plus tôt, la firme faisait une vidéo promotionnelle de la venue du ministre. Un « pantouflage » qui soulève de nombreuses questions.
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C ‘était une expérience assez dingue. C’est la première voiture à hydrogène civil avec des performances absolument incroyables ». Ces mots enthousiastes ne sont pas ceux du présentateur d’une émission automobile. Ils ont été prononcés par Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué aux transports, dans une vidéo promotionnelle diffusée sur Twitter par Hopium, fabricant français de voitures à hydrogène, le 21 septembre 2021.

Huit mois plus tard, ce 16 mai, l’entreprise annonçait l’arrivée du ministre à son conseil d’administration. Et ce, avant même que ne soit confirmé son départ du gouvernement.

https://youtu.be/NpWE7iLBCMw

Cette annonce a immédiatement mis le feu aux poudres des réseaux sociaux, d’aucuns y voyant, a minima, un grossier pantouflage – le passage du public au privé. Voire, pour certain·es, un conflit d’intérêt. Une notion qui désigne « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction », selon la loi de 2013 relative à la transparence de la vie publique.

En l’état actuel du droit, cette annonce ne relève pas d’une prise illégale d’intérêt, juge Elise Van Beneden, avocate et présidente de l’association anti-corruption Anticor. « On est dans une zone grise où ce n’est pas une infraction pénale. Mais c’est forcément choquant pour l’opinion publique, car c’est un beau pantouflage qui entretient la République du soupçon et la défiance envers les gens qui nous gouvernent », analyse-t-elle pour Vert.

Si le pantouflage est une pratique connue de longue date, le quinquennat Macron a insufflé une nouvelle dynamique en la matière, estime la présidente d’Anticor. En janvier dernier, la conseillère en communication de Jean-Baptiste Djebbari, Marion Beyret, avait déjà créé la polémique en rejoignant Air France. « Il est très clair qu’il y a une explosion de ces allers-retours entre le secteur public et le privé, il y a une porosité qu’il n’y avait jamais eu avant. »

Un « avis de compatibilité avec réserves » de la HATVP

Avant de révéler sa reconversion, Jean-Baptiste Djebbari avait saisi la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), pour qu’elle vérifie l’absence de conflits d’intérêts dans sa situation. Celle-ci a exprimé un « avis de compatibilité avec réserves ». Premier enseignement de cette délibération, rendue publique ce 16 mai : l’autorité a été saisie le 31 janvier 2022, soit quatre mois seulement après la vidéo de Hopium. Et un mois avant la fin de la session parlementaire.

Comme le rappelle la HATVP, Jean-Baptiste Djebbari « est chargé de la mise en œuvre des politiques de réglementation technique des véhicules et du déploiement des véhicules propres et de leurs infrastructures de recharge ». Depuis sa nomination comme secrétaire d’Etat aux transports en septembre 2019 (devenu ministre délégué en juillet 2020), il n’a eu de cesse de faire la promotion des véhicules à hydrogène. Une recherche par mots-clefs sur son compte Twitter révèle des dizaines de messages qui en font l’énergie des mobilités du futur.

Ce tweet date de dix jours avant la saisine de la HATVP.

Des lois qui favorisent le développement de l’automobile à hydrogène

Dans son activité, il a été amené à se pencher à de nombreuses reprises sur les politiques publiques qui touchent à l’hydrogène. Il fut au gouvernement pendant l’examen de la loi d’orientation des mobilités, votée fin 2019, qui introduit notamment un nombre minimal de places de stationnement avec des bornes de recharge pour les véhicules à hydrogène. Celle-ci prévoit aussi un bonus écologique pour les véhicules à hydrogène neufs – comme la Machina, la voiture qu’Hopium ambitionne de mettre sur le marché d’ici 2025. C’est ce véhicule, au stade de prototype, qu’essaie Jean-Baptiste Djebbari dans la vidéo sus-citée.

« Ça questionne légitimement sur les intérêts que défendent les ministres lorsqu’ils sont en responsabilité : l’intérêt public ou l’intérêt privé d’entreprises dont ils ont été ou dont ils sont proches, estime auprès de Vert Sarah Fayolle, chargée de campagne transports pour Greenpeace. Et la question ne se poserait pas autant si, pendant son mandat, Jean-Baptiste Djebbari avait été plus ouvert et équilibré dans ses positions vis-à-vis des limites de son secteur et de l’innovation de manière générale. »

À propos du plan de relance France 2030, qui comporte un large volet sur l’hydrogène.

Au cœur du réacteur des mobilités à hydrogène pendant deux années et demi, Jean-Baptiste Djebbari détient de précieuses informations qui feraient saliver n’importe quel acteur de la filière. Dans son avis, la HATVP indique, « qu’il appartient à Monsieur Djebbari, comme à tout responsable public, sans limite de durée, de s’abstenir de faire usage ou de divulguer des documents ou renseignements non publics dont il aurait eu connaissance du fait de ses fonctions ». Ce qui sera, bien entendu, impossible à vérifier.

Parmi les maigres mises en garde de la HATVP, Jean-Baptiste Djebbari « devra s’abstenir, dans le cadre de sa nouvelle activité privée, de toute démarche, y compris de représentation d’intérêts » auprès de ses anciens collègues du gouvernement ou de ses collaborateur·rices de cabinet, pendant trois ans.

La HATVP a noté que le ministre délégué a rencontré deux fois le PDG de Hopium en juin et septembre 2021 ; mais elle argue qu’il « a également rencontré plusieurs autres opérateurs du secteur de la mobilité hydrogène et, plus généralement, des mobilités « propres ». En outre, la société Hopium n’a bénéficié d’aucune subvention publique », note l’institution.

« C’est un produit qui a vocation à ouvrir une nouvelle page de l’histoire de l’automobile française, avec des collaborateurs extrêmement motivés », raconte encore Jean-Baptiste Djebbari dans la vidéo. Une dernière mention qui prend désormais un tout autre sens.

Contacté par Vert, Jean-Baptiste Djebbari n’a pas répondu à nos questions.


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