De quelle manière exposer une pollution aquatique imperceptible à l’œil nu ? Comment donner envie aux gens d’agir face à l’invisible ? Ces deux questions trottent depuis longtemps dans la tête de l’explorateur Rémi Camus. Depuis le 15 septembre, cet aventurier sensible aux enjeux écologiques y répond à sa façon : il descend les 812 kilomètres du Rhône à bord d’un packraft – un canoë gonflable – et prélève au fil du parcours une petite centaine d’échantillons d’eau afin de traquer les PFAS (les substances per- et polyfluoroalkylées). Ces polluants dits «éternels», omniprésents et ultra-persistants dans les corps et l’environnement, ont des effets toxiques sur la santé.
«J’ai pagayé à peine 26 kilomètres, il y avait un fort courant. C’était une petite journée aujourd’hui», lâche sans fausse modestie ce quadragénaire grand et costaud, Crocs roses aux pieds. Pour cause, il est habitué aux expéditions extrêmes. Il a déjà traversé l’Australie en courant, du sud au nord, pour un total de 5 400 kilomètres parcourus. Ce vendredi 26 septembre, il termine son douzième jour de descente du Rhône à Saint-Vulbas (Ain), au pied des tours aéroréfrigérantes de la centrale nucléaire du Bugey. Rémi Camus est en bonne forme, même s’il a le nez légèrement bouché. Comme chaque soir, il rejoint un grand tipi, installé par son équipe pour bivouaquer, et pour échanger avec des gens de passage, des partenaires – ou des journalistes. Tout près, son packraft orange termine de sécher, pendant que son staff s’occupe de la logistique à bord d’un van suréquipé.
À l’aise et avenant, l’aventurier déroule les grandes lignes de son projet, baptisé «Le Rhône nous livre ses secrets». Du bout du doigt, il effleure le tracé du fleuve sur son téléphone. «Encore 28 lieux de prélèvement», calcule-t-il. À chaque fois, il prélève des échantillons, en surface et plus en profondeur, en suivant un protocole stricte auquel il a été formé. «C’est ça le plus difficile dans cette aventure, prélever de l’eau en un point précis, sur un packcraft qui bouge et avec du courant dans le dos», rigole-t-il en mimant ses gestes de pagaie.
Son périple, prévu pour durer 30 jours, doit permettre de cartographier la présence de PFAS tout le long du Rhône, depuis sa source, le glacier du Rhône, en Suisse, jusqu’à son embouchure au delta de Camargue. L’expédition vise à sensibiliser le grand public à cette contamination majeure – chaque jour, il diffuse des vidéos sur les réseaux sociaux, et il prépare un documentaire de 52 minutes –, tout en contribuant à faire avancer la science.
«Si tu veux parler concrètement d’un sujet aussi sensible, il faut être accompagné scientifiquement», insiste Rémi Camus, qui était autrefois maître d’hôtel. Pour ce faire, il mène son expédition en partenariat avec le laboratoire privé Wessling, qui se charge des analyses. Ce soir-là, son directeur Jean-François Campens est de passage pour récupérer les précieux liquides, ce qu’il fait tous les deux à trois jours. En apparté, les deux hommes discutent déjà des premiers résultats. Ils recherchent plus de 50 molécules, dont l’acide trifluoroacétique (TFA), le plus petit et le plus répandu des PFAS.
Rémi Camus est aussi accompagné dans l’interprétation des données par le laboratoire de recherche Déchets, Eaux, Environnement et Pollutions (Deep), rattaché à l’Institut national des sciences appliquées (Insa) de Lyon (Rhône). «La force de Rémi, c’est d’être un bon messager», salue Mathieu Gautier, professeur des universités et chercheur au sein du laboratoire Deep, qui voit dans la démarche de l’aventurier «une forme de science participative qui permet de massifier les données et d’en renforcer la robustesse».
Selon lui, deux aspects de cette aventure sont particulièrement intéressants. Il y a d’abord un intérêt temporel : Rémi Camus descend le Rhône dans son intégralité et fait des prélèvements rapprochés dans le temps. «D’habitude, les prélèvements sont parfois espacés de plusieurs mois», contextualise Mathieu Gautier. Autre intérêt, «le fait que ce soit le même laboratoire [Wessling, NDLR] qui fasse toutes les analyses limite les biais et permettra des comparaisons fiables avec d’autres données existantes».
Le défi physique a été mis de côté pour se concentrer sur la sensibilisation, ce qui n’était pas le cas lors des précédentes aventures de Rémi Camus : traversée de l’Australie en courant, descente du Mékong, en Asie du Sud-Est, en hydrospeed (un engin flottant en mousse ou en plastique) et, dernièrement, traversée de la Méditerranée à la nage – déjà en partenariat avec Wessling sur le sujet des PFAS. Chaque fois, sa sensibilité aux enjeux liés à l’eau s’est trouvée renforcée. «Là, ce n’est pas une expédition à sensations fortes. J’ai envie de montrer les belles choses, ce Rhône qui coule encore et qu’il faut préserver. Vous vous battez pour une cause parce que vous avez été touché par celle-ci», raconte le médiatique explorateur.
Dans son documentaire en cours de réalisation, il souhaite «mettre en avant des gens qui réfléchissent aux solutions» et dépasser le constat d’un fleuve pollué. «Je veux que ma fille de trois ans puisse profiter du fleuve, elle aussi», s’émeut-il, après bientôt deux semaines passées sans la voir. Tout au long de sa descente, Rémi Camus rencontre des scientifiques, comme le glaciologue Matthias Huss, avec qui il a réalisé de premiers prélèvements sur le glacier du Rhône, quelques jours avant son départ en packraft. Mais aussi des entreprises qui proposent des solutions, comme Filtrabio. Leurs filtres anti-PFAS équipent déjà plusieurs communes du Rhône, dont Brignais (notre article). Il rencontre aussi des militant·es, comme celles et ceux du collectif lyonnais PFAS contre Terre, qui lutte contre ces «polluants éternels» au sud de Lyon (notre reportage).
Toutefois, Rémi Camus ne s’attaque pas aux entreprises accusées d’être responsables de la pollution, comme les géants de la chimie Arkema ou Daikin. «On ne souhaite pas pointer du doigt telle ou telle entreprise, désamorce-t-il. Je ne fais pas du journalisme d’investigation, ce n’est pas mon rôle.» Les points de prélèvements n’ont d’ailleurs pas été choisis en fonction des zones de contamination probables ou déjà connues, comme au sud de Lyon, mais par rapport aux affluents du fleuve. «On veut voir si ce qu’il se passe quand la Saône rejoint le Rhône, par exemple, pour avoir une cartographie du fleuve», vulgarise Rémi Camus, qui habite d’ailleurs dans la région, à Villefranche-sur-Saône (Rhône).
Sa démarche, limpide, convainc des personnes qui connaissent bien le sujet des PFAS, comme Anne Grosperrin. Cette élue écologiste, vice-présidente de la métropole de Lyon en charge du cycle de l’eau, avait témoigné son soutien lors du procès de militant·es qui s’étaient introduit·es dans l’enceinte d’une usine d’Arkema pour dénoncer la pollution (notre article). Elle a rencontré Rémi Camus au printemps et perçoit chez lui «un engagement sincère et une envie à son niveau de faire quelque chose. Son itinérance le long du fleuve va contribuer à améliorer la connaissance de la population sur ce sujet des PFAS.» Les résultats des analyses et le documentaire sont attendus pour le premier semestre 2026.
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