Les PFAS ? «On va finir par y comprendre quelque chose», espère le président de l’audience, Jean-Hugues Gay, après des heures de débats rythmées par le style cabotin du magistrat de la cour d’appel de Lyon (Rhône). Mardi 11 février, il a été longuement question de ces polluants persistants dans l’environnement et le corps humain. D’abord, devant l’imposant palais de justice des 24 colonnes, avec fanfare, cantine et prises de parole. Une centaine de personnes avait fait le déplacement, malgré la pluie. Puis, dans l’enceinte du tribunal, à l’occasion du procès en appel de huit membres d’Extinction rebellion. Le groupe y est entré poings levés, sous les applaudissements nourris de leurs soutiens. L’une des militantes était absente.
Les prévenu·es comparaissaient pour la deuxième fois, à la suite de leur participation à une vaste opération militante qui visait le géant de la chimie Arkema, à Pierre-Bénite (Rhône). Quatre à six mois de prison avec sursis ont été requis à leur encontre, ainsi que 53 650 euros de dommages et intérêts. Le délibéré sera rendu le 15 mai.
Le 2 mars 2024, environ 300 personnes vêtues de blanc s’étaient introduites illégalement sur le site d’Arkema, classé «Seveso seuil haut», en raison de risques d’accidents majeurs (notre article). Cet industriel est accusé d’avoir contaminé le sud de Lyon aux PFAS, des substances toxiques pour les humains (elles favorisent cancers, cholestérol, baisse de la fertilité…). Huit personnes, entre la vingtaine et la quarantaine, avaient été interpellées. Trois sur un parking à l’extérieur du site, quelques minutes avant le début de l’action, cinq après avoir déployé une banderole depuis le toit de l’usine. Sur leur passage, des grillages fendus, des fenêtres cassées et des murs tagués «Arkema nous empoisonne».
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«Ce 2 mars 2024, ils ont eu le geste que tout citoyen aurait dû avoir. Ils ont utilisé leur liberté d’expression de manière proportionnée», plaide, au bout de dix heures d’audience, Me Olivier Forray, l’un des quatre avocat·es des prévenu·es. En première instance, elles et ils avaient été relaxé·es au nom de cette liberté d’expression. Seul Antoine (le prénom a été modifié), doctorant en biologie marine, avait été condamné à 300 euros d’amende pour violences sans incapacité totale de travail. La victime est un policier, mais il n’avait pas été identifié comme tel. Arkema et le parquet avaient fait appel de cette décision du tribunal correctionnel rendue le 5 juillet dernier.
Si les dégradations, pour lesquelles elles et ils ont été relaxé·es, ne leur étaient plus reprochées mardi, reste le délit de participation à un groupement en vue de commettre ces dégradations. Selon Me Bénédicte Graulle, l’avocate d’Arkema, une condamnation est nécessaire face à cette «action commando, violente» : «Est-ce que demain, au nom de la liberté d’expression, on peut faire la même chose pour les plus de 700 sites Seveso seuil haut de France ?» L’usine de Pierre-Bénite n’est pas n’importe quel site Seveso. C’est ce qu’ont tenté de démontrer les prévenu·es et leurs avocat·es pendant plusieurs heures. Mais aussi des élu·es venu·es à la barre apporter leur soutien à ces lanceur·ses d’alerte.
Anne Grosperrin, vice-présidente de la métropole de Lyon déléguée au cycle de l’eau, rappelle, enquêtes journalistiques à l’appui, que le géant de la chimie est au courant depuis des dizaines d’années de la toxicité des molécules qu’il produit ou qu’il utilise à Pierre-Bénite. Déjà témoin en première instance, elle ose cette fois une question au président : «Comment nomme-t-on, en droit, la dissimulation et le maintien d’un danger pour la vie d’autrui et l’inaction en connaissance de cause ?» Face à l’absence de réponse, elle poursuit, dans une colère contenue. «Des juristes réfléchissent au concept de crime industriel facilité par l’État. On peut se poser la question dans le cas d’Arkema.» L’action du 2 mars a «marqué les esprits», conclut-elle. Là était bien le but poursuivi par les militant·es : mettre les projecteurs médiatiques sur les PFAS d’Arkema.
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L’avocat général, Me Vincent Auger, semble toujours douter de la gravité de la situation. «Si danger actuel et imminent il y a, il n’y a pas besoin d’expertise», tente-t-il. Le magistrat fait référence à l’expertise judiciaire en cours, obtenue par la métropole de Lyon dans le cadre d’une autre procédure. Elle vise à établir la responsabilité d’Arkema et Daikin (un autre géant de la chimie basé près de Lyon) dans la pollution des environs et n’a pas encore rendu ses conclusions. Ce qui reviendrait pour le parquet, à l’absence, en l’état, de ladite pollution. À l’issue d’une plaidoirie confuse, Me Auger a requis des peines comprises entre quatre et six mois de prison avec sursis pour les huit prévenu·es.
Les sept personnes présentes assument toujours leur participation à cette action illégale du 2 mars. Une action de désobéissance civile dont le but était simplement «d’accrocher une banderole», afin d’attirer l’attention médiatique, expliquent les activistes. «Nous le faisons uniquement car nous n’avons plus d’autre option», se défend une prévenue, développeuse web. «Il n’y a rien de festif là-dedans, on participe avec gravité à une action contre une entreprise polluante et impunie», poursuit Antonin. Lui a aussi dû se défendre de son altercation avec un fonctionnaire de police nationale. En appel, le parquet a demandé une requalification des faits en rébellion.
Comme en première instance, les quatre avocat·es de la défense ont plaidé la relaxe de l’ensemble des faits reprochés, insistant sur le caractère «politique» du dossier. «Vous avez, avec ce dossier, la construction de ce délire d’écoterroriste», s’est insurgé Me Forray, un peu avant minuit, mardi. Il a salué une dernière fois l’action des accusé·es, face à «une pollution qui nous bouffe et au mépris absolu d’Arkema.» Face à lui, dans une ultime formule à l’image de la manière dont il a animé les débats, le président a mis fin à l’audience : «Je n’en peux plus, mais je vous remercie tous. On va prendre le temps de la réflexion.»
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