Paul Watson, fondateur de l’ONG de défense des océans Sea Shepherd, et Lamya Essemlali, présidente de l’antenne française de l’organisation, ont participé au salon ChangeNow, à Paris, le 24 avril dernier.
Dans une table ronde animée par le rédacteur en chef de Vert, Loup Espargilière, les deux activistes sont revenus sur plus de 20 ans de lutte pour protéger la vie marine des attaques humaines. Et, en particulier, sur la récente détention de Paul Watson au Groenland pendant 149 jours en 2024. Retour sur ces échanges.
Pourquoi avez-vous choisi de défendre la cause des baleines ? Qu’est-ce qui vous fascine chez ces mammifères ?
Paul Watson : Toutes les espèces sont importantes. Mais j’ai vécu une expérience singulière, en juin 1975, où une baleine mourante aurait pu me tuer. Elle venait d’être harponnée par un navire soviétique et j’étais dans une petite embarcation juste à côté. Lorsque la baleine est sortie de l’eau, avant de s’écraser près de mon navire, j’ai vu dans ses yeux qu’elle comprenait que nous essayions de la sauver. Elle aurait pu me tuer en retombant, mais elle ne l’a pas fait. Elle a choisi de ne pas le faire.
Juste après, je me suis dit : pourquoi tuons-nous ces baleines ? Les Soviétiques ne les mangeaient même pas, ils les tuaient pour leur huile, utile à la construction et à l’entretien de missiles balistiques intercontinentaux… Nous tuons des êtres extrêmement intelligents, socialement complexes, conscients d’eux-mêmes et sensibles, dans le but de fabriquer une arme destinée à l’extermination massive des humains. C’est complètement fou.
Ce jour-là, j’ai décidé que je ferai tout pour protéger les baleines.

Quand quelqu’un veut intégrer votre équipage, il paraît que vous demandez à cette personne si elle est prête à mourir pour une baleine. C’est vrai ?
Paul Watson : Je demande toujours aux volontaires s’ils sont prêts à risquer leur vie pour protéger une baleine. Certains journalistes me répondent que c’est scandaleux de ma part. Je leur réponds que l’on demande régulièrement à des jeunes de risquer leur vie pour des terres, des puits de pétrole, des drapeaux ou des religions. Il est bien plus noble de risquer sa vie pour protéger une espèce en voie de disparition.
Lamya, posez-vous la même question aux personnes qui veulent venir avec vous sur un bateau ?
Lamya Essemlali : Il y a un potentiel risque pour nos vies, parce que les adversaires auxquels nous sommes confrontés n’ont pas les mêmes limites que nous. Si vous venez avec nous sur le terrain, si vous voulez être en mer, si vous voulez patrouiller sur les plages de Mayotte pour dissuader les braconniers de tuer des tortues, vous allez vous retrouver dans des conditions dangereuses, face à des personnes armées, violentes. Vous devez savoir dans quoi vous vous engagez.
C’est un mode d’action qui n’est pas fait pour tout le monde, et ça n’est pas grave, il y a d’autres façons de s’engager. Je ne pense pas qu’il faut risquer sa vie pour être un vrai combattant. Pour autant, nous avons besoin de personnes prêtes à prendre ces risques : c’est ce qui fait la différence.

Selon le philosophe français Baptiste Morizot, la crise écologique est le résultat d’une crise de la sensibilité : un appauvrissement de tout ce que nous pouvons ressentir ou percevoir du monde vivant. Êtes-vous d’accord ?
Paul Watson : Je crois qu’il y a un problème avec notre vision de la réalité, avec notre point de vue anthropocentré [qui place l’humain au centre de tout, NDLR], selon lequel tout tournerait autour de nous. Si nous continuons de croire cela, nous ne survivrons pas. Nous devons adopter un point de vue biocentrique [où tout être vivant est à égalité avec les autres, NDLR], que les peuples autochtones du monde entier comprennent, à savoir que nous sommes connectés à tout le reste, et que nous devons vivre en harmonie avec toutes les autres espèces.
D’autres espèces sur cette planète sont plus importantes que nous : imaginez un monde sans abeilles, sans vers, sans arbres… Sans eux, nous n’existerions pas. À l’inverse, eux, sans nous, ils se porteraient très bien !
Il y a aussi des individus qui sont des menaces à eux seuls : par exemple, Donald Trump…
Paul Watson : Donald Trump n’est pas le problème. Le problème, ce sont tous ces gens incroyablement incultes et ignorants qui ont voté pour lui. C’est aussi le résultat d’un pays qui n’a jamais valorisé l’éducation, qui a déformé son histoire, qui a prétendu être le pays le plus grand et le plus libre du monde, alors qu’il ne l’a jamais été.
Faut-il prendre position publiquement contre l’extrême droite, qui porte un projet particulièrement destructeur ?
Paul Watson : Je ne pense pas que la politique – de droite ou de gauche – puisse résoudre quoi que ce soit. Tous les changements sociaux viennent de la passion, du courage et de l’imagination d’individus et de groupes d’individus, d’organisations non gouvernementales. Ce sont eux qui font pression sur les gouvernements, qui sont alors contraints de changer.
Ces ONG doivent donc persévérer, maintenir la pression, et lorsqu’elles obtiennent des résultats, elles peuvent toujours compter sur le gouvernement pour s’en attribuer le mérite.
J’ai été l’un des membres fondateurs du Parti vert au Canada, et puis ce parti a évolué, comme en Allemagne et partout ailleurs, pour devenir un parti politique médiocre parmi d’autres, qui suit simplement le mouvement.

Lamya, au moment des élections législatives de 2024 en France, vous n’avez pas appelé à voter pour qui que ce soit, mais vous avez dit : «Ne votez pas pour le Rassemblement national». Pourquoi ?
Lamya Essemlali : Je m’en tiens aux faits et à leur programme. Le RN veut se lancer dans l’exploitation minière en eaux profondes, ils sont pro-chasse : leur programme est absolument terrible. Je ne crois pas non plus que la solution viendra de la gauche, je pense qu’elle n’est pas à la hauteur de la tâche et qu’elle a une grande responsabilité dans la montée de l’extrême droite.
Paul, vous êtes récemment sorti de prison. Pensez-vous qu’il y a une répression de plus en plus forte des militants écolos ?
Paul Watson : Il faut s’y préparer. Et il faut saisir cette opportunité. Lorsque j’ai été arrêté au Groenland, cela a été une excellente occasion d’attirer l’attention internationale sur la poursuite de la chasse illégale à la baleine par le Japon. J’en ai profité, et nous devrions tous en profiter.
Récemment, Greenpeace a été condamnée à une amende de 700 millions de dollars aux États-Unis. Et, bien sûr, tout le monde est en colère. Moi, je pense que c’est la meilleure chose qui soit arrivée à Greenpeace : ils ne paieront jamais, et cela leur donne une tribune internationale incroyable. Cette amende sera bloquée par des recours et constituera une machine publicitaire permanente. Il faut donc voir le côté positif ! Si quelqu’un s’en prend à vous, utilisez sa force contre lui. C’est comme dans l’art martial de l’aïkido.
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Selon vous, ces 149 jours en prison ont donc été utiles ?
Paul Watson : J’ai obtenu le soutien du président et du premier ministre français, du président brésilien, de Bernie Sanders et du pape. C’est incroyable ! Il faut voir les choses sous cet angle. J’ai passé beaucoup de temps en prison, mais cela fait partie du métier d’activiste. Il n’existe pas un seul véritable militant qui n’ait pas eu l’occasion de tirer parti de son passage en prison. De Gandhi à Mandela, en passant par tous les autres, cela fait partie du projet. Il faut être prêt à aller en prison, car c’est là que naissent les vrais changements.
Est-il plus difficile d’être militant aujourd’hui qu’il y a 20 ans ? Comment agir dans un contexte de plus en plus répressif ?
Il faut faire preuve d’imagination. Oui, les lois sont beaucoup plus répressives aujourd’hui. Il est beaucoup plus difficile d’être militant qu’il y a 20, 30 ou 40 ans. Il faut s’adapter aux médias, créer des histoires en utilisant son imagination afin de faire passer son message. Nous avons une bataille très difficile à mener : il y a huit milliards de personnes sur cette planète et il y a plus d’abonnés au jeu vidéo Warcraft que d’activistes environnementaux. C’est la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement. Nous avons besoin que les gens s’impliquent à plusieurs niveaux : éducation, droit, activisme…C’est là que réside la véritable force. On ne va pas résoudre ces problèmes grâce à de grandes organisations environnementales mais grâce à des centaines de milliers de petites organisations non gouvernementales qui s’impliquent au niveau local. Ce sont les individus qui font la différence et chacun d’entre nous a le pouvoir de changer le monde.

Avez-vous un conseil à donner aux gens qui vous écoutent ?
Lamya Essemlali : Arrêtez de manger du poisson ! Il existe de nombreuses solutions, vraiment. D’un point de vue très pratique, la surpêche est aujourd’hui la principale menace qui pèse sur les océans. Et 40% des poissons pêchés sont destinés à l’alimentation animale. Il est donc évident que notre consommation de produits animaux a un impact considérable sur les océans. Et c’est un choix que nous faisons plusieurs fois par jour, tous les jours. Nous avons donc de nombreuses occasions de faire la différence.
Paul Watson : Identifiez votre passion. Ensuite, identifiez vos compétences et mettez-les à profit. Et surtout, ne vous laissez pas abattre, ne soyez pas pessimiste. Pourquoi ? Parce que vous n’avez aucun pouvoir sur l’avenir. Vous ne pouvez rien y faire. En revanche, vous avez un pouvoir absolu sur le présent. Et ce que vous faites dans le présent déterminera ce que sera l’avenir. C’est là-dessus que vous devez vous concentrer. Ne pensez pas à tout ce qui pourrait mal tourner, réfléchissez à ce que vous pouvez faire pour améliorer les choses dès maintenant.
Qu’est-ce qui vous donne de l’espoir ?
Lamya Essemlali : Je ne suis pas toujours optimiste, mais ça n’a pas d’importance, ce n’est pas l’optimisme qui me guide. Ce qui me fait avancer, c’est le sentiment que je fais ce qu’il faut. Et je fais tout ce qui est en mon pouvoir. C’est ma responsabilité. J’essaie de me débarrasser de ma culpabilité, car j’étais très coupable quand j’étais une jeune activiste. Je me sentais coupable d’appartenir à cette espèce qui détruit le monde. Et j’ai transformé cette culpabilité en sens des responsabilités. C’est ce qui me rend heureuse.
Paul Watson : Je ne suis ni optimiste ni pessimiste. Je vais vous raconter la leçon la plus importante que j’ai apprise dans ma vie. En 1973, j’étais médecin bénévole pour l’American Indian Movement [un mouvement pour les droits civiques des américains autochtones aux États-Unis, NDLR], pendant l’occupation de Wounded Knee, dans le Dakota du Sud [environ 200 Sioux oglalas avaient occupé cette petite ville pendant 71 jours, NDLR]. Nous étions encerclés par les troupes fédérales américaines qui tiraient sur nous. Nous n’avions aucun espoir de gagner. Je suis allé voir Russell Means, le leader du Mouvement des Indiens d’Amérique, et je lui ai dit : «Nous ne pouvons pas gagner ici. Les chances sont trop maigres. Ils sont trop nombreux. Pourquoi restons-nous ici ?» Il m’a répondu : «Nous ne nous soucions pas de gagner ou de perdre. Nous sommes ici parce que c’est le bon endroit où être, la bonne chose à faire et le bon moment pour le faire.»
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