Grand entretien

Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France : «Si Paul Watson va en prison au Japon, il n’en ressortira pas vivant»

Le 21 juillet dernier, alors qu’il s’apprêtait à «intercepter» le plus grand baleinier jamais construit, le célèbre militant Paul Watson était arrêté au Groenland, sur la base d’une notice rouge Interpol émise par le Japon, qui réclame son extradition. Détenu depuis lors, il doit comparaître à nouveau le 4 septembre devant la justice pour connaître son sort. Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France et proche de Watson, fait feu de tout bois pour mobiliser l’opinion publique et obtenir sa libération.
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Lamya Essemlali, 37 ans, est une infatigable et charismatique activiste. En 2006, quelques mois après avoir croisé la route de Paul Watson, célèbre défenseur de la vie marine et fondateur de Sea Shepherd, elle crée la branche française de ce mouvement international. Ces dernières semaines, la mise en détention de son mentor la force à se démener toujours davantage. Je la retrouve à bord d’une péniche stationnée sur un quai de Seine à Paris, alors qu’elle vient de passer sa journée à répondre à la télévision et la radio avant de récupérer des vêtements d’hiver pour regagner le Groenland.

Loup Espargilière. A l’approche de l’audience du 4 septembre, qui doit décider de la remise en liberté ou du maintien en détention de Paul Watson, vous vous apprêtez à repartir pour le Groenland : qu’allez-vous y faire ?

Lamya Essemlali : Je vais faire ce que je faisais avant de rentrer en France, parce que j’ai fait une petite parenthèse : je suis venue juste pour passer une semaine avec ma fille. A Nuuk, au Groenland, je rends visite à Paul tous les jours. Et je suis en lien direct avec ses avocats.

Je le tiens informé de toute la mobilisation qu’il peut y avoir à l’extérieur, parce qu’il est hyper isolé. Il n’en sait rien, à part ce qu’on peut lui en dire ; il n’a pas accès à Internet et il a le droit de passer un seul coup de fil par semaine. Moralement, c’est important qu’il sente qu’il n’est pas tout seul.

Dans quel état d’esprit est-il ?

Il est content du coup de projecteur que sa situation met sur la chasse baleinière. Mais l’audience du 15 août, durant laquelle le juge a refusé de voir les preuves et de le remettre en liberté, ça lui a mis un coup au moral. Il s’est dit que les dés étaient vraiment pipés.

Lamya Essemlali. © Yann Castanier/Vert

Paul Watson était visé par une notice rouge d’Interpol, émise par le Japon en 2012. Il a été arrêté le 21 juillet dernier alors qu’il faisait le plein de son navire à Nuuk, au Groenland, avant de partir dans le Pacifique nord pour «intercepter» le Kangei Maru, le nouveau et gigantesque baleinier japonais. Est-ce que vous vous attendiez à un tel scénario ?

Le mandat d’arrêt n’était plus affiché sur le site d’Interpol, et c’est aussi pour ça qu’on a un peu baissé la garde. Je pense que c’est important que les gens comprennent comment marchent ces notices rouges, dont les dérives ont été soulignées par le Parlement européen. Il y a de plus en plus de gouvernements qui lancent des notices rouges, qu’Interpol accepte alors qu’ils n’ont pas le personnel suffisant pour mener les enquêtes, donc sans aucune preuve de culpabilité. Ça fout en l’air la vie de plein d’innocents, qui sont harcelés et traqués pour des motifs politiques, parce que ce sont des activistes ou des lanceurs d’alerte.

Le Japon invoque des dégradations et des blessures qui auraient été commises par l’équipage de Paul Watson en 2010 sur un baleinier, le Shonan Maru 2. Pour sa part, la Captain Paul Watson Foundation a dénoncé la «motivation politique» du Japon, ciblé de longue date par le capitaine en raison de sa persistance à chasser les baleines malgré un moratoire international. Qu’en pensez-vous ?

Le chef d’accusation, c’est «conspiration d’abordage». Le moment dont on parle, c’est le 15 février 2010. Pete Bethune [écologiste néo-zélandais venu prêter main forte à Paul Watson avec son bateau rapide, l’Ady Gil, NDLR], décide de monter à bord du Shonan Maru 2 pour présenter au capitaine la facture de deux millions de dollars de son bateau, que celui-ci avait éperonné et coulé un mois auparavant.

Pour monter à bord, il a dû découper un filet anti-abordage d’une valeur de 800 dollars. C’est ça, la «destruction de propriété privée» dont il est aussi question sur ce mandat d’arrêt.

Il y a aussi une accusation de blessures…

C’est l’élément le plus grave, puisque ce que disent les Japonais, c’est que des baleiniers ont été blessés au visage avec de l’acide.

Sauf qu’en fait, c’est encore de Pete Bethune qu’il s’agit, pas de Paul. Il a lancé sur le pont du Shonan Maru une boule puante faite avec de l’acide butyrique, un produit complètement inoffensif, qui rend le travail hyper désagréable et la viande de baleine impropre à la consommation.

Sur des images tournées le même jour, on voit l’homme qui l’a accusé de l’avoir brûlé à l’acide asperger lui-même les équipes de Pete Bethune avec du gaz lacrymogène depuis le pont de son bateau en vent contraire. Il se prend le gaz en pleine figure. C’est ça qui l’a blessé.

Quand Pete Bethune est monté sur le Shonan Maru, il savait qu’il allait être emmené au Japon, mais il se disait qu’il serait détenu seulement quelques jours et qu’on parlerait de la destruction de son bateau. Sauf qu’il tombe sur un procureur qui lui dit «Mon petit gars, t’es pas près de sortir d’ici». Il le mettent à l’isolement et ils lui disent : «C’est simple : tu vas plaider coupable et tu vas nous signer une attestation disant que tu suivais les ordres de Paul Watson, sinon c’est cuit».

Qu’a-t-il fait ?

Il a été détenu cinq mois et ses aveux ont été obtenus grâce à une forme de torture psychologique : ils l’ont laissé longtemps à l’isolement en lui disant qu’il croupirait en prison pendant des années.

«Pete Bethune a fait une déclaration sous serment où il a révélé qu’il avait dû mentir pour s’en sortir»

Eux, ce qu’ils voulaient, c’était mettre la main sur Paul, parce que c’est la figure de proue, c’est lui qui a mené toutes ces campagnes contre la chasse à la baleine, c’est une source d’inspiration pour beaucoup de gens. Il s’agit de faire un exemple.

Pete Bethune n’avait jamais fait de campagne en Antarctique auparavant, c’est la seule et unique fois où il s’est opposé aux Japonais. C’est clairement Paul qui était «le grand poisson» qu’ils voulaient avoir.

Plus tard, en 2013, Pete Bethune a fait une déclaration sous serment où il a révélé qu’il avait dû mentir pour s’en sortir et que Paul ne lui avait jamais demandé de faire ce qu’il a fait. Dans le documentaire diffusé en ce moment par Arte [Paul Watson : une vie pour les océans, 2019, NDLR], il affirme avoir conclu un accord secret avec le procureur japonais, qui lui a demandé d’accuser Paul d’avoir donné l’ordre d’abordage en échange d’une peine avec sursis.

Toutes les images qui prouvent l’innocence de Paul Watson et de Pete Bethune existent, mais le procureur japonais ne les a pas eues, et le juge groenlandais n’a pas voulu les voir.

Pourquoi la justice groenlandaise aurait refusé de voir ces images ?

Parce que c’est une affaire énorme pour le Groenland : je pense que le juge, qui n’était pas un juge professionnel, n’a voulu prendre aucun risque. Ça ne justifie pas qu’ils ne regardent pas les preuves. Les avocats de Paul sont très remontés.

Les faits ne sont pas avérés et de toute façon, même s’ils l’étaient, ils ne sont pas suffisamment graves pour justifier une mise en détention. Encore moins pour une extradition, l’échelon encore au-dessus.

A partir du moment où les faits ne sont pas avérés et ne sont de toute façon pas assez graves, le juge doit ordonner la libération immédiate de Paul.

Qu’attendez-vous de la décision de justice qui doit être rendue le 5 septembre ?

Ce qu’on espère, c’est que cette fois, le juge va regarder les preuves. On pense qu’il va botter en touche, qu’il va sans doute maintenir Paul en prison.

Dans un second temps, le ministère danois de la justice pourrait décider de le remettre en liberté, et décider qu’il n’y a pas matière à extradition. Très clairement, on n’est pas sur un dossier classique, mais un dossier politique.

Par contre, il peut décider ça demain comme dans six mois ; on n’a aucun indice là-dessus. Nos avocats songent déjà à passer devant la Cour suprême du Danemark, ce qui nous amènerait entre la fin septembre et début octobre. Là, on aurait affaire à de vrais juges, avec un système judiciaire qui est censé être équitable, basé sur la proportionnalité, la justice, etc.

Et si la Cour suprême décide malgré tout qu’il y a matière à extradition, on déposerait un recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme. Tout ça prendrait des mois, pendant lesquels Paul resterait en prison.

Dans un entretien qu’il a accordé au média Vakita depuis sa cellule, Paul Watson a dit qu’il serait «extrêmement surpris» si le Danemark venait à l’extrader vers le Japon. Qu’en pensez-vous ?

Je suis d’accord, mais ce n’est pas exclu à l’heure actuelle ; le ministre danois de la Justice a dit qu’il n’avait pas d’éléments permettant d’exclure une extradition. Nous, on sait que les conditions ne sont pas réunies pour une extradition. Et surtout, on peut le prouver, sauf qu’on ne nous laisse pas le faire.

Lamya Essemlali. © Yann Castanier/Vert

Au-delà de lui, ce que je trouve vraiment très inquiétant, c’est que malgré la notoriété dont bénéficie Paul – c’est quelqu’un de connu, qui a beaucoup de soutiens – il est mis en prison sur la base de faits qui sont complètement fallacieux. Je me dis que les activistes qui n’ont pas sa notoriété n’ont aucune chance.

Vous projetez-vous dans un scénario dans lequel Paul Watson serait effectivement envoyé au Japon ?

Plus maintenant, parce que je l’ai fait, et ça me coupe les jambes. Je ne peux pas imaginer qu’il termine sa vie en prison.

Ils tenteraient de faire la même chose qu’avec Pete Bethune : ils le pousseraient à s’excuser platement. Mais Paul ne s’excusera jamais d’avoir sauvé des baleines. Ils lui feront subir les pires…

J’ai lu les rapports d’Amnesty International ou de Human Rights Watch sur ce qu’ils font subir aux prisonniers au Japon. Ils ont déjà été condamnés plusieurs fois pour ça.

«En prison, il y a des yakuzas qui attendent Paul»

Un de nos avocats, François Zimeray est ancien ambassadeur de France au Danemark, qu’il connaît très bien, mais il connait aussi le Japon ; il a été un des avocats de Carlos Ghosn [l’ancien patron du groupe Renault-Nissan, arrêté et détenu plusieurs fois au Japon avant de s’évader de sa résidence surveillée en 2019, NDLR] et il a contribué à la procédure qui a permis de condamner le Japon aux Nations unies.

Il nous a expliqué qu’au Japon, ils peuvent te mettre à l’isolement sur des périodes de 23 jours renouvelables avec des interrogatoires de 12 heures par jour en pleine lumière, 24 heures sur 24, ou en pleine obscurité, jusqu’à ce que tu fasses des aveux. Ils t’obligent à faire des aveux de culpabilité, et ensuite tu as ton procès. Donc sur la base d’aveux faits sous la torture.

En plus, en prison, il y a des yakuzas [mafieux japonais, NDLR] qui attendent Paul, parce qu’eux, ils sont maqués aussi avec l’industrie baleinière. S’il va là-bas, il n’en ressortira pas vivant.

Loup Espargilière et Lamya Essemlali. © Yann Castanier/Vert

Ces dernières semaines, on a vu une importante mobilisation autour de Paul Watson, particulièrement en France, avec la pétition de soutien signée par près de 800 000 personnes à laquelle Emmanuel Macron a répondu, des rassemblements dans l’hexagone comme à Copenhague… Est-ce que tout cela a eu un effet au Danemark ?

Ça a eu des effets, notamment le fait qu’Emmanuel Macron se soit exprimé [le 23 juillet l’Élysée a dit «suivre la situation de près» et «intervenir auprès des autorités danoises afin que Paul Watson ne soit pas extradé vers le Japon», NDLR]. Aujourd’hui, c’est le seul chef d’État qui l’ait fait de manière publique, probablement parce qu’il voit bien la ferveur qu’il y a en France pour Paul.

Ça a sensiblement énervé le Japon, qui a fait quelques sorties dans la presse en disant que la position d’Emmanuel Macron était très inamicale et que la France défendait un «écoterroriste».

C’est cocasse d’imaginer que le gouvernement de Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur qui utilise régulièrement ce qualificatif contre certains militants écologistes, défende un «écoterroriste»…

Qui l’eut cru, hein ? Mais moi, je trouve ça fou qu’il n’y ait pas d’autre chef d’État qui se mobilise publiquement pour lui, alors que Paul a fait leur job : faire respecter le moratoire international de 1986 qui interdit la chasse commerciale à la baleine.

Là, des lois de protection de la nature et d’espèces protégées sont violées en toute impunité par un État qui se comporte véritablement comme un État «écoterroriste». Ils sèment la terreur en Antarctique et ils tuent illégalement des milliers de baleines en toute impunité, et les autres Etats les laissent faire parce que le Japon est une grande puissance économique et qu’il y a trop d’intérêts commerciaux en jeu.

«Les directeurs de Sea Shepherd Global sont dans une logique d’effacement de Paul»

Le 11 août, nous avons organisé un événement devant le Parlement danois, où il y avait notamment Joe Duplantier de Gojira, mais aussi un chanteur très connu au Danemark que je connaissais pas, mais qui a vraiment une grosse audience. Et les médias mainstream danois ont enfin commencé à parler du sujet.

En 2022, Sea Shepherd a connu une scission entre les partisans d’une institutionnalisation du mouvement et ceux, dont Sea Shepherd France ou Paul Watson, qui voulaient rester fidèles aux origines, en continuant de mener des actions spectaculaires contre ceux qui ne respectent pas la loi. Depuis l’arrestation de Paul Watson, avez-vous reçu des messages de soutien de vos anciens camarades de Sea Shepherd Global (monde), ou de l’antenne américaine ?

Aucun. En fait, Sea Shepherd Global, qui nous a évincés, Paul et moi, en 2022, a fait un post Facebook après l’arrestation de Paul [qui appelle sobrement à le relâcher, NDLR], probablement parce qu’ils ont été interpellés par plein de gens. Et c’est tout.

Loup Espargilière et Lamya Essemlali. © Yann Castanier/Vert

Les directeurs de Global étaient présents sur les campagnes pour lesquelles le Japon tente de faire condamner Paul. Ils pourraient témoigner en sa faveur, mais ils ne le font pas. Ils sont dans une logique d’effacement de Paul.

«C’est un mentor, un ami. C’est un peu le père que je n’ai pas eu, aussi»

C’est Paul Watson qui vous a aidé à embrasser pleinement votre carrière d’activiste, il dit de vous que vous êtes «la plus éminente activiste de Sea Shepherd de la planète», vous avez écrit sa biographie ; quelle est la nature de votre relation ?

C’est un mentor, un ami. C’est un peu le père que je n’ai pas eu, aussi. On a une relation filiale. Je l’apprécie énormément.

Il y a la figure publique du capitaine Paul Watson, qui est inspirante. Et puis, il y a l’être humain, que j’ai appris à connaître en faisant des campagnes avec lui et en voyageant avec lui, et auquel je suis au moins autant, si ce n’est plus encore attachée. Il a un cœur en or.

«Je suis très énervée par les accusations d’«eugénisme» ou de «racisme» que je peux entendre sur son compte»

Et il m’a donné envie de m’investir à ses côtés, parce qu’il est extrêmement bienveillant, que c’est une belle personne. Et il y a beaucoup de gens qui le suivent parce qu’il les inspire.

Je suis très touchée par ce qu’il se passe, et très énervée par les accusations que je peux entendre sur son compte… Des histoires d’«eugénisme» ou de «racisme», juste pour avoir dit que ne devraient faire des enfants que les gens qui ont la responsabilité suffisante pour bien s’en occuper et les aimer. On me parle de «malthusianisme», mais ça n’a rien à voir.

Et les accusations de racisme, pour le coup, ça me touche particulièrement, parce que je sais ce que c’est, le vrai racisme. Il s’est engagé dès son plus jeune âge dans les mouvements de défense des Premières Nations aux États-Unis. Moi, je le connais, et il est aux antipodes de ça.

Au-delà du résultat de cette affaire, quel est l’héritage que Paul Watson laissera au mouvement écologiste ?

Il est une source d’inspiration, c’est vraiment ça qu’il va laisser de plus précieux. C’est quelqu’un qui est parti de rien du tout et qui a réussi à construire quelque chose d’incroyable, à inspirer, motiver des milliers de personnes.

Lamya Essemlali. © Yann Castanier/Vert

En plus, évidemment, de toutes les vies qu’il a pu sauver directement. Aujourd’hui, ces milliers de baleines qu’il a sauvées en Antarctique, elles sont vivantes et leur descendance existe parce qu’il est intervenu.

Paul Watson m’a montré par l’exemple que des choses que je pensais être impossibles étaient possibles et je ne suis pas la seule.

Repères

Février 2010 : Affaire du Shonan Maru 2.

2012 : Notice rouge d’Interpol émise par le Japon.

21 juillet 2024 : Paul Watson est arrêté sur l’île de Nuuk, au Groenland, alors qu’il se ravitaillait en carburant avant d’intercepter le Kangei maru ; il est placé en détention.

15 août : Un juge groenlandais décide de le maintenir en détention.

4 septembre : nouvelle audience au Groenland.