Panorama

De la mer à la prison : les combats de l’écologiste Paul Watson en cinq dates

Cash à l’eau. Spécialiste des opérations coup de poing visant à protéger baleines et requins avec son ONG Sea Shepherd, le Canadien Paul Watson a été interpellé au Groenland le 21 juillet dernier sur la base d’un mandat d’arrêt émis par le Japon. Tandis qu’une vaste mobilisation citoyenne tente de le faire libérer, Vert revient sur cinq moments clés du parcours flamboyant et chaotique de ce pirate de la cause marine.
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· 1971 : la fin des essais nucléaires sur l’île d’Amchitka et la naissance de Greenpeace

Natif d’un vil­lage de pêcheurs de homards dans le New Brunswick, une province de l’Est du Cana­da, Paul Wat­son, né en 1950, vit au début des années 1970 à Van­cou­ver, le grand port de l’Ouest du pays. Son quo­ti­di­en alterne entre la fac et les petits boulots. Après avoir tra­vail­lé plusieurs mois en mer sur un navire norvégien, il par­ticipe à l’automne 1969 aux man­i­fes­ta­tions con­tre les essais nucléaires con­duits sur Amchit­ka, une île située au large de l’Alaska. À cette occa­sion, il fonde avec d’autres manifestant·es, le comité «Don’t make a wave» («Ne faites pas de vague») : le groupe a alors l’idée d’affréter un bateau pour se rap­procher d’Amchitka et per­turber les essais. C’est aus­si au cours de cette cam­pagne qu’émergera l’idée d’une mobil­i­sa­tion pour une «paix verte» – l’ONG Green­peace est née. Con­duite en 1971, l’action obtient la fin des essais nucléaires sur l’île.

· 1975 : à la rescousse des baleines face aux pêcheurs russes

L’une des pre­mières cam­pagnes en mer de la jeune ONG Green­peace vise à pro­téger les baleines. En 1975, Paul Wat­son et ses coéquipier·es iden­ti­fient un baleinier russe à 100 kilo­mètres des côtes cal­i­forni­ennes. À bord d’un zodi­ac, le groupe cherche à se rap­procher du navire pour le dis­suad­er de tuer les cétacés. Dans les eaux, un baleineau mort flotte dans son sang : Wat­son saute sur le cétacé pour pren­dre ses mesures. Un geste intrépi­de qui sera sa mar­que de fab­rique pour tout le reste de sa car­rière. Alors que le har­pon russe touche une femelle, un grand mâle émerge pour défendre son groupe, pas­sant tout près du zodi­ac. «J’ai une dette per­son­nelle envers cet ani­mal qui a choisi de ne pas nous tuer, se sou­vient Wat­son dans le doc­u­men­taire «Paul Wat­son, une vie pour les océans» que lui a con­sacré Les­ley Chilcott (à décou­vrir sur Arte). Ça a été un moment décisif pour moi. J’ai décidé de con­sacr­er ma vie à la faune marine.»

· 1976–1977 : le sauvetage des bébés phoques et la fin de l’aventure Greenpeace

Mas­sacrés pour leur four­rure blanche, les bébés pho­ques du Nord-Est cana­di­en font l’objet d’une nou­velle cam­pagne de Green­peace à la fin des années 1970. Si Wat­son pré­conise de met­tre de la pein­ture verte sur les ani­maux pour dis­suad­er les chas­seurs, c’est la solu­tion du blocage qui est retenue par l’ONG : les militant·es se pla­cent sur la ban­quise pour empêch­er les pho­quiers d’avancer. Au print­emps 1977, Wat­son décide de pass­er à la vitesse supérieure en s’accrochant aux câbles qui per­me­t­tent de remon­ter à bord des bateaux les peaux ensanglan­tées des bébés pho­ques. Plongé dans l’eau glacée à plusieurs repris­es, Wat­son passe la nuit en hypother­mie. Cette action con­duite au péril de sa vie mar­que le point de rup­ture avec Green­peace, qui la con­sid­ère comme trop rad­i­cale. Wat­son décide de créer sa pro­pre struc­ture : Sea Shep­herd, conçue comme «une ONG anti-bra­con­nage» pour cibler les opéra­tions illé­gales des fos­soyeurs de la mer.

· 2002 : à la poursuite des découpeurs de requins au Guatemala

Après les baleines, la défense des requins est l’autre grande affaire de Wat­son. En 2002, alors que l’Ocean War­rior, le navire de Sea Shep­herd, évolue au large du Cos­ta Rica, il croise la route du Varadero, un navire imma­triculé dans ce pays d’Amérique cen­trale et qui se livre à la pêche illé­gale d’ailerons de requin dans les eaux du Guatemala. Pour­suivi par Wat­son et son équipe, les pêcheurs accuseront Sea Shep­herd d’avoir voulu les tuer. Le Cos­ta Rica engagera des pour­suites judi­ci­aires con­tre le mil­i­tant et l’ONG. Le pays émet­tra aus­si un man­dat d’arrêt qui don­nera lieu à l’arrestation de Wat­son dix ans plus tard en Alle­magne. Pour échap­per à l’extradition, le Cana­di­en pren­dra la fuite, nav­iguant incog­ni­to dans les eaux du Paci­fique Sud une bonne par­tie de l’année 2013.

Une man­i­fes­ta­tion de sou­tien à Paul Wat­son en Pologne, le 26 juil­let 2024. © Bea­ta Zawrzel / AFP

· 2010 : l’opération «Waltzing Matilda» contre le baleinier japonais Shonan Maru

Sous la pres­sion des mou­ve­ments de pro­tec­tion de la nature, un mora­toire sur la chas­se à la baleine est mis en place à par­tir de 1986 : il vise à sus­pendre toute chas­se com­mer­ciale des cétacés dans le monde. Pré­tex­tant des cam­pagnes de recherche sci­en­tifique, le Japon con­tin­ue néan­moins de chas­s­er ces ani­maux. En 2010, à bord d’un nou­veau navire – le Bob Bark­er – et aidé du tri­maran ultra­ra­pi­de Ady Gil, piloté par le Néo-Zélandais Pete Bethune, l’équipe du Sea Shep­herd tente une action con­tre le baleinier japon­ais Shonan Maru. Un choc vio­lent a lieu entre le navire et le tri­maran. À la suite de l’accident et de l’intrusion de Pete Bethune sur le baleinier nip­pon, Tokyo lance des pour­suites judi­ci­aires con­tre Sea Shep­herd et Wat­son. Ces pour­suites sont à l’origine de son arresta­tion et son place­ment en déten­tion il y a main­tenant deux semaines.

Aujourd’hui, à plus de 70 ans, Paul Wat­son entend con­tin­uer à men­er son com­bat pour la sauve­g­arde des océans. En 2022, il a créé la fon­da­tion Cap­i­taine Paul Wat­son, pour pour­suiv­re ses voy­ages en mer comme autant d’alertes sur l’é­tat des écosys­tèmes marins. Un peu partout dans le monde, des militant·es assurent la relève de Sea Shep­erd, comme c’est le cas en France où l’ONG dirigée par Lamya Essem­lali existe depuis 2006.