Saumon en papillote, crevettes et bulots, brandade de morue… les Français·es raffolent des produits de la mer. À tel point que leur consommation annuelle de poissons, coquillages et crustacés a atteint 30,4 kilogrammes par personne en 2021, d’après FranceAgriMer.
De multiples impacts sur le climat et la biodiversité
Cet amour pour les produits de la mer pose un certain nombre de problèmes. Dans certaines des zones les plus touchées par la surpêche, les grandes populations de poissons ont été divisées par cinq, voire par dix pour les endroits les plus exploités (Atlantique nord, mer du Nord), indique à Vert Didier Gascuel, chercheur en écologie marine et directeur du Pôle halieutique, mer et littoral à l’Institut Agro Rennes-Angers. «On pêche les prédateurs, ce qui a des effets sur les proies, puis les proies des proies… cela modifie toute la structure des écosystèmes marins», souligne le chercheur.
La pêche subit le changement climatique — et notamment le réchauffement de l’océan — mais elle y contribue aussi à sa manière. Notamment à cause du carburant consommé par les bateaux, en particulier les chalutiers aux moteurs puissants nécessaires pour racler les fonds marins. «Il faut entre un et deux litres de gasoil pour pêcher un kilo de poisson au chalut de fond», estime Didier Gascuel auprès de Vert. «Je dis souvent aux consommateurs “regardez votre filet de poisson dans votre assiette. S’il vient du chalutage, vous pouvez poser deux verres de pétrole à côté”».
Le bouleversement des écosystèmes marins compromet aussi le stockage de carbone dans l’océan, qui absorbe environ un quart de nos émissions de CO2. Par ailleurs, certains types de pêche, comme le chalutage de fond, peuvent entraîner le relargage de carbone stocké dans l’océan en venant «gratter» les fonds marins. Si l’ampleur de ce phénomène ne fait pas encore l’objet d’un consensus scientifique et doit être documentée, cet impact est bien réel, explique le professeur en écologie marine.
Moins consommer, pour que le poisson soit «une fête»
Pour réduire son impact sur l’océan en tant que citoyen·ne, la première étape est de réduire sa consommation. Il est possible de prélever de manière durable environ 100 millions de tonnes de produits de la mer chaque année à l’échelle mondiale, soit 10 kilogrammes par personne pour 10 milliards d’humains (d’après les projections à horizon 2050), estime Didier Gascuel. «Deux kilos sont utilisés pour faire de la farine de poisson et nourrir les poissons d’élevage, ce qui laisse à peu près huit kilos par personne et par an», nuance l’expert — bien loin de la consommation actuelle des Français·es, qui dépasse les 30 kilos.
La consommation de poissons devra baisser de 85% à horizon 2050 pour assurer un meilleur partage de la ressource et limiter la pression sur les stocks, conclut le scénario Afterres2050, développé par l’association Solagro avec l’aide d’expert·es. Pour Didier Gascuel, «il faut considérer que le poisson est une fête».
L’importance de changer de modèle
«Si on renonce à manger tout poisson, on va reporter cette consommation vers d’autres protéines et décaler nos impacts sur les milieux marins vers les milieux terrestres. Je ne sais pas s’ils ont besoin de ça aujourd’hui», ironise Didier Gascuel. Dans un récent ouvrage, le chercheur a développé le concept de la «pêchécologie», une analogie de l’agroécologie appliquée à l’océan. L’objectif est simple, mais ambitieux : réconcilier l’exploitation durable des ressources halieutiques avec la conservation de la biodiversité. Le tout en basculant d’un modèle dominé par des flottilles industrielles et des engins destructeurs (chaluts de fond) à des modes de pêche «douce» (à la ligne ou au casier) et des engins plus vertueux.
«Il faut privilégier la petite pêche côtière partout où on le peut», ajoute le chercheur, «car les ressources de la mer sont des biens communs et si on les exploite, c’est à l’essentiel de la société d’en profiter et non pas à de riches armateurs».
Un constat partagé par l’ONG de protection des océans Bloom, qui a publié en février 2024 un rapport sur le sujet intitulé Changer de cap. «La pêche côtière est infiniment plus vertueuse que la pêche industrielle, en termes de consommation de carburant, de valorisation de l’emploi ou d’emprise spatiale sur les écosystèmes marins», abonde auprès de Vert Frédéric Le Manach, directeur scientifique de l’ONG.
Mieux consommer
L’étiquetage des produits de la mer comportant le type d’engin utilisé est obligatoire en France. Une bonne manière de repérer les types de pêche les plus destructeurs, notamment les modes «traînants» (chalut, senne, drague) qui représentaient 36% des volumes pêchés en 2021. «C’est difficile à éviter complètement, mais réduire les poissons pêchés au chalut et leur préférer ceux pêchés au casier ou à la ligne est un bon premier bas», avance Didier Gascuel, qui conseille aussi d’éliminer les produits issus de l’aquaculture — dont beaucoup de saumons et de crevettes qu’on trouve dans la grande distribution en France.
Plusieurs initiatives existent pour se fournir en poisson issu de la pêche durable, pointe Frédéric Le Manach de Bloom : l’entreprise Poiscaille, qui livre partout en France des produits de la mer issus de circuits courts, ou encore l’association Pleine mer qui cartographie des points de vente directs sur le territoire. «On a moyen de trouver assez facilement du poisson issu d’une pêche artisanale, locale et saisonnière, et ce n’est pas plus cher que le poisson de grande distribution», insiste le directeur scientifique de l’ONG.
Pour limiter son impact sur les écosystèmes, on évite de consommer des espèces d’eaux profondes (comme la lingue, le grenadier ou l’empereur) ou de requins, qui sont sensibles à la pêche. «Les poissons carnassiers comme le thon ou l’espadon peuvent être dangereux pour la santé, car ils accumulent les métaux lourds en se nourrissant de petits poissons et cela peut avoir des effets dramatiques», explique encore Frédéric Le Manach. «Il ne faut pas les bannir, mais il faut y faire attention, surtout quand on voit que le thon est l’une des espèces les plus consommées en France». À la place, on peut favoriser les espèces comme les sardines, les maquereaux ou les harengs, qui ont une faible durée de vie et se reproduisent plus facilement.
Des labels intéressants, mais limités
Contrairement à l’agriculture, il existe très peu de certifications sérieuses pour les produits de la mer. Quelques petites initiatives, comme les Ligneurs de la pointe de Bretagne ou le label national «pêche durable», sont intéressantes, mais les volumes de poissons labellisés demeurent très faibles pour le moment. Le plus répandu est le label Marine stewardship council (MSC), qui certifie aujourd’hui 16% des poissons pêchés à l’échelle mondiale. Il concerne «des produits issus de stocks en bon état, prélevés dans un contexte où la durabilité de l’activité a été évaluée, et avec une gestion transparente, fiable et efficace de la pêcherie», explique à Vert Amélie Navarre, directrice du MSC France.
«C’est un label très discuté et critiqué, mais il garantit le respect de la réglementation actuelle. Quand il s’agit de poissons importés, c’est déjà pas mal, car on évite les pêches illégales, pirates, non contrôlées…», détaille Didier Gascuel, qui conseille de privilégier les produits MSC en cas d’achat en grande surface. «Mais si je suis chez le poissonnier, mieux vaut regarder l’engin de pêche sur l’étiquette plutôt que le label MSC, qui autorise le chalutage», nuance le chercheur.
Très critique du label MSC, Bloom lui reproche un cahier des charges trop faible, qui permet à des méthodes à fort impact (chalutage profond, pêche minotière — destinée à fabriquer la farine de poisson pour l’aquaculture) d’être certifiées. «Notre démarche est non-discriminatoire : on part du principe que n’importe quelle pêcherie peut et doit améliorer ses pratiques. Si la pêcherie a démontré que le stock ciblé est sain, elle peut prétendre à la certification», précise à Vert Amélie Navarre, directrice du MSC France. Seules deux pratiques sont exclues de la labellisation : la pêche au poison et les explosifs.
De manière générale, il vaut mieux s’en tenir au bon sens : réduire sa consommation et acheter des produits de saison (voir ce calendrier saisonnier), pêchés localement et avec les engins les plus vertueux possibles. Et ne pas oublier que la pêche est régie par des réglementations complexes. Ces politiques découlent directement des orientations décidées par les élu·es, notamment à l’échelle européenne. D’où ce conseil de Didier Gascuel : «En tant que consommateur, agissez avec votre carte bleue, mais n’oubliez pas votre carte d’électeur».
Cet article est issu de notre rubrique Le vert du faux. Idées reçues, questions d’actualité, ordres de grandeur, vérification de chiffres : chaque jeudi, nous répondrons à une question choisie par les lecteur·rices de Vert. Si vous souhaitez voter pour la question de la semaine ou suggérer vos propres idées, vous pouvez vous abonner à la newsletter juste ici.
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