What the phoque ?

Le grand bêtisier écolo de l’année

Ils prennent des jets privés pour trente minutes de trajet, adorent la bagnole et se battent contre la sobriété… 2023 a connu un tas de déclarations lunaires et de situations loufoques. En exclusivité, voici le best of de Vert du grand what the phoque écolo de l’année.
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«Qui aurait pu prédire la crise climatique ?»

L’an­née 2023 n’avait pas encore tout à fait démar­ré qu’elle s’an­nonçait déjà folle. Lors de ses vœux, pronon­cés au soir de la Saint-Sylvestre 2022, Emmanuel Macron s’est retourné sur l’an­née 2022 : «Qui aurait pu prédire la vague d’inflation ain­si déclenchée ? Ou la crise cli­ma­tique aux effets spec­tac­u­laires encore cet été dans notre pays ?». Au hasard : Svante Arrhe­nius, sci­en­tifique sué­dois qui, dès 1896, avait mis en lumière le lien entre hausse du CO2 dans l’atmosphère et élé­va­tion des tem­péra­tures. Ou James Hansen, sci­en­tifique de la NASA, qui avait alerté le Sénat améri­cain au sujet de la crise cli­ma­tique dès 1988. La même année, le Groupe d’experts inter­gou­verne­men­tal sur l’évolution du cli­mat (Giec) était créé. Emmanuel Macron avait 11 ans. 27 ans plus tard, c’est en temps que min­istre de l’économie que celui-ci accueil­lait la 21ème con­férence de l’ONU (COP21) sur le cli­mat à Paris. Comme l’a dit à France info Mag­a­li Reghez­za-Zitt, alors mem­bre du Haut-Con­seil pour le cli­mat créé par le même Emmanuel Macron en 2018 : «Dire en 2022 qu’on ne savait pas, c’est sim­ple­ment une fake news».

Des billets d’avion pour «connecter le monde» et «protéger son futur»

Décon­nage immi­nent. Dans une pub­lic­ité dif­fusée à l’été 2022, la Lufthansa promet­tait à la fois de «con­necter le monde» et de «pro­téger son futur». Un grand écart périlleux, quand on sait que l’aviation est respon­s­able de plus de 5% du réchauf­fe­ment cli­ma­tique, essen­tielle­ment du fait d’une poignée d’élites en vacances (notre arti­cle). En out­re, la réclame de la com­pag­nie alle­mande lais­sait croire à tort que «Lufthansa avait déjà pris des mesures impor­tantes pour s’assurer que […] leurs activ­ités n’étaient pas nocives» pour la planète, ont noté les esprits cha­grins de l’Autorité bri­tan­nique de régu­la­tion de la pub­lic­ité dans une déci­sion ren­due début mars. À tort, puisque la com­pag­nie n’a guère fait mieux que de promet­tre la neu­tral­ité car­bone en 2050 (ça ne mange pas de pain).

Les usines «bien-être» de Shein

C’est du Sheine­ma. En juin, pour redor­er son bla­son, le géant de la fast fash­ion Shein a invité des influ­enceuses à vis­iter ses usines de fab­ri­ca­tion de vête­ments en Chine. Par­mi celles-ci, Dani Car­bonari, 300 000 abonné·es au comp­teur et parte­naire de la mar­que : «Je peux ren­tr­er chez moi ras­surée de con­som­mer Shein et de partager ce mes­sage auprès de ma com­mu­nauté» a‑t-elle expliqué sur la chaîne Tik­tok de Shein. Ultra-tech­nologique, pro­pre, spa­cieuse, des salariés vis­i­ble­ment heureux… l’usine vis­itée n’a rien à voir avec les images dévoilée dans l’enquête de l’ONG Pub­lic Eye sur l’enfer de l’ultra fast-fash­ion. Une opéra­tion de com’ qui a provo­qué un tol­lé sur les réseaux soci­aux où nom­bre d’internautes ont rap­pelé les scan­dales impli­quant Shein (notre arti­cle).

Total, la science et la «vraie vie»

Patron vite. Invité·es à l’Université d’été du Medef fin août, la min­istre de l’énergie Agnès Pan­nier-Runach­er et le patron de Total­En­er­gies Patrick Pouyan­né ont prof­ité d’une table ronde pour se féliciter de l’état de la tran­si­tion énergé­tique en France (notre arti­cle). Lui aus­si invité, le célèbre paléo­cli­ma­to­logue Jean Jouzel a rap­pelé à l’auditoire l’impact majeur des éner­gies fos­siles dans le réchauf­fe­ment cli­ma­tique et la néces­sité d’en sor­tir. «J’entends l’avis des sci­en­tifiques», a con­venu le PDG de Total­En­er­gies. «Le prob­lème, c’est qu’il y a aus­si la vie réelle». Les 3,3 à 3,6 mil­liards d’êtres humains qui, d’après le dernier rap­port du Giec, vivent déjà réelle­ment dans un con­texte de «forte vul­néra­bil­ité» au change­ment cli­ma­tique apprécieront.

Luc Rémont, PDG d’EDF, Agnès Pan­nier-Runach­er, min­istre de la tran­si­tion énergé­tique et Patrick Pouyan­né, PDG de Total­En­er­gies, à l’oc­ca­sion de cette table-ronde. © Emmanuel Dunand/AFP

Une rentrée scolaire à deux tonnes de CO2

Fais Fal­con. Le 4 sep­tem­bre, la pre­mière min­istre Élis­a­beth Borne et son min­istre de l’éducation nationale, Gabriel Attal, pre­naient un avion privé (un Das­sault Fal­con 7X) pour assis­ter à la ren­trée sco­laire dans deux étab­lisse­ments d’Ille-et-Vilaine. Leur aller-retour — deux fois 38 min­utes de vol — aura généré deux tonnes de CO2, selon nos cal­culs. Soit 333 fois plus que le même tra­jet réal­isé à bord du TGV qui relie Paris à Rennes en 1h30 (6 kg de CO2 par per­son­ne, aller-retour). «Je pense que c’est impor­tant qu’ils réalisent dans quel monde on est, qu’ils pren­nent con­science qu’il y a une crise cli­ma­tique qui n’est plus une hypothèse pour demain mais qui est une réal­ité main­tenant», dis­ait la même Elis­a­beth Borne, à pro­pos du goût des foot­balleurs du PSG pour les jets privés, un an plus tôt, presque jour pour jour. Pas très classe.

Au GP Explorer, les pilotes de course font attention à la planète

Green­rac­ing. Same­di 9 sep­tem­bre, une ving­taine de per­son­nal­ités du web ont répon­du à l’appel de l’influenceur Squeezie pour la deux­ième édi­tion du GP explor­er, une course auto­mo­bile de for­mule 4 sur le cir­cuit Bugat­ti du Mans (Sarthe). Un événe­ment qui a réu­ni plus de 60 000 invité·es et 1,3 mil­lion de spectateur·rices en ligne, pour un bilan car­bone que l’on imag­ine salé. Sur le plateau du live qui accom­pa­g­nait la com­péti­tion, le sujet a fini par être abor­dé ; l’occasion d’une séquence très gênante où le vidéaste Doig­by a insisté sur l’exemplarité des participant·es : «Tous les tal­ents qui sont ici font très atten­tion toute l’année, et du coup com­pensent, en sachant que leur empreinte d’aujourd’hui est un petit peu plus agres­sive que d’habitude», a‑t‑il jus­ti­fié. Alors qu’une com­men­ta­trice, la streameuse «Cocotte», souligne que beau­coup de per­son­nes ont pris l’avion pour venir, le vidéaste iro­nise : «Et bah on leur tapera sur les doigts». Avant de pour­suiv­re : «Non mais après cha­cun se déplace comme il peut, on n’est pas là pour faire des leçons de morale». Caisse qu’on y peut ?

Fabien Roussel et les ris de veau

Pas rigo­lo, tête de veau. «J’ai encore mangé une bavette aujourd’hui. Ça va brûler en Afrique ? Sans par­ler des ris de veau que j’ai mangés à Châlons. […] Ça, ça vaut au moins un trem­ble­ment de terre à Haïti.» Dans sa volon­té d’imprimer un réc­it fran­chouil­lard — celui de la «kiffrance» — pour ten­ter de séduire un élec­torat a pri­ori friand de pinard et de bonne chère, Fabi­en Rous­sel en a encore fait des tonnes sur la bidoche en sep­tem­bre dernier. Ne lui en déplaise, l’élevage bovin (qui com­prend aus­si les vach­es laitières) est aujourd’hui respon­s­able de plus de 10% des émis­sions de gaz à effet de serre de la France ; la viande de bœuf est, de très loin, l’aliment qui aggrave le plus la crise cli­ma­tique. Les habitant·es de la corne de l’Afrique, éreinté·es par une sécher­esse pluri­an­nuelle sans précé­dent due au réchauf­fe­ment, apprécieront sûre­ment les rires gras du com­mu­niste. Tout comme les Haïtien·nes, qui ont per­du 280 000 des leurs dans le séisme de 2010.

Emmanuel Macron adore la bagnole

Il en fait des caiss­es. «Ce qui est très impor­tant pour nos Français, c’est que… on est très attachés à la bag­nole. Et moi, je l’adore.» Inter­rogé le 9 sep­tem­bre par TF1 et France 2, le prési­dent a lancé un cri du cœur en faveur de la «bag­nole» qu’on penserait tout droit venu des années 1970. Tant pis si la voiture indi­vidu­elle est aujourd’hui la pre­mière source de gaz à effet de serre en France et que ses émis­sions stag­nent dés­espéré­ment (notam­ment à cause de la mode des SUV). Emmanuel Macron a ajouté : «Je suis con­va­in­cu que nous avons un chemin qui est celui de l’écologie à la française», «une écolo­gie de pro­grès […] qui n’est ni le déni […], ni la cure qui con­siste à dire “ça va être un mas­sacre”». Com­pren­dre : la tech­nolo­gie nous sauvera. Pour éviter le «mas­sacre», le prési­dent a égale­ment annon­cé qu’il n’interdirait pas les pol­lu­antes chaudières au gaz (mais sou­tiendrait les pom­pes à chaleur) ; qu’il reporterait la fer­me­ture des deux dernières cen­trales à char­bon, un temps promise pour 2022, à 2027. À la française.

À Las Vegas, on aime «Sphere» du mal

Ça fout la boule. Début octo­bre, le groupe U2 a inau­guré la nou­velle «Sphere» de Las Vegas : une salle de spec­ta­cle sans égal et un vrai enfer envi­ron­nemen­tal. Cette immense boule de 111 mètres de haut sur 157 mètres de large est recou­verte d’écrans en ultra haute déf­i­ni­tion (16k) à l’intérieur, comme à l’extérieur. De quoi pro­pos­er une immer­sion inédite à ses spectateur·rices, et affich­er des pub­lic­ités vis­i­bles depuis le ciel du Neva­da, fac­turées un demi-mil­lion de dol­lars les 24 heures. Il fau­dra bien pay­er les 2,3 mil­liards de dol­lars (2,2 mil­liards d’euros) qu’a coûté la con­struc­tion de «The Sphere» ! Pour sonoris­er cet immense espace, la salle compte dix fois plus de haut-par­leurs (170 000) que de places (17 500). Toute cette débauche de son et d’image fera gon­fler la fac­ture d’électricité, alors que la con­som­ma­tion estimée est de 95 000 mégawattheures par an. Soit autant que 43 000 Français·es en une année entière.

Mais qu’est-ce qu’ils ont fait au bon Dieu ?

Plaquage aux folles. Lun­di 16 octo­bre, en plein cœur de l’Ardèche, des écol­o­gistes du col­lec­tif Les Amis de la Bourges ont été vive­ment chahuté·es par des religieux — dont des sœurs — de la Famille mis­sion­naire de Notre-Dame. Les militant·es étaient venu·es s’opposer au redé­mar­rage des travaux du cen­tre spir­ituel Notre-Dame des neiges, vaste site qui prévoit d’accueillir 3 500 pèlerins à terme à Saint-Pierre-de-Colom­bier. Les opposant·es ont récem­ment décou­vert une plante pro­tégée sur le lieu des travaux, jus­ti­fi­ant à leurs yeux la mise en pause du chantier, le temps que les autorités se pronon­cent sur le sujet. Les mem­bres de la com­mu­nauté ont défendu de leur corps et de leurs chants une trac­topelle pour ten­ter de relancer les travaux. Mou­ve­ment proche des milieux catholiques ultra­con­ser­va­teurs né à Saint-Pierre-de-Colom­bier en 1946, la Famille mis­sion­naire a été pointée du doigt par la Miviludes en 2021, qui fait état d’«inquiétudes sérieuses» con­cer­nant de poten­tielles dérives sec­taires.

Une religieuse plaque un mil­i­tant écol­o­giste au sol. © Cap­ture d’écran de France 3

L’étrange comptage de la préfecture du Tarn

Maths l’opposition. En octo­bre, à l’occasion d’une mobil­i­sa­tion con­tre le pro­jet con­tro­ver­sé de l’autoroute A69 entre Toulouse et Cas­tres en octo­bre, la pré­fec­ture du Tarn a réal­isé un bien étrange comp­tage des manifestant·es. «La man­i­fes­ta­tion a réu­ni 2 400 per­son­nes dans le cortège déclaré, moins qu’en avril 2023. 2 500 indi­vidus vio­lents se sont détachés du cortège déclaré pour com­met­tre des exac­tions», avance le com­mu­niqué. La phrase com­porte un évi­dent prob­lème de logique, puisqu’à l’en croire il y aurait eu 2 400 per­son­nes au total dans le cortège déclaré, dont se seraient extraites 2 500 per­son­nes pour aller com­met­tre des méfaits. En réal­ité, les manifestant·es étaient en plus grand nom­bre que lors de la précé­dente mobil­i­sa­tion, et les jour­nal­istes de France 3 présent·es sur place ont comp­té cinq fois moins d’in­di­vidus vio­lents que la police. Notre décryptage de cette acro­batie math­é­ma­tique, à ne surtout pas repro­duire seul·e chez soi, est à lire ici.

Les tétons du réchauffement climatique

Kim aurait pu prédire ? Fin octo­bre, l’influenceuse améri­caine aux 364 mil­lions de fol­low­ers Kim Kar­dashi­an a dévoilé sur Insta­gram un spot pub­lic­i­taire un peu par­ti­c­uli­er. «La tem­péra­ture de la Terre est de plus en plus élevée, les mers mon­tent, les calottes rétré­cis­sent, l’entend-on expli­quer, dans une com­bi­nai­son ultra-moulante. Je vous présente un tout nou­veau sou­tien-gorge avec un téton inté­gré. Pour que, peu importe la chaleur, vous ayez tou­jours l’air d’avoir froid.» D’aucuns ont appré­cié que la star plané­taire s’empare avec humour de ce sujet grave (même pour ven­dre des sous-vête­ments qui n’ont rien d’écolo), dans une vidéo vue par plus de 88 mil­lions de per­son­nes. Promis : 10% du pro­duit des ventes de ses «nip­ple bras» seront rever­sés à 1% for the plan­et, col­lec­tif d’entreprises et d’associations qui finan­cent des pro­jets envi­ron­nemen­taux. Mais il est per­mis de douter de la mue écol­o­giste de Kim Kar­dashi­an, dont le mode de vie racon­te tout l’inverse : un post Insta­gram pub­lié le même jour mon­tre un hublot d’avion avec la men­tion «attrape-moi si tu peux».

«La tem­péra­ture de la Terre est de plus en plus élevée», explique l’influenceuse améri­caine. © Compte Insta­gram de Kim Kar­dashi­an

Le «dévendeur» qui faisait polémique

On en sor­ti­ra pas Ademe. En novem­bre, une cam­pagne pub­lic­i­taire portée par l’Agence de la tran­si­tion écologique (Ademe) autour de la sobriété a provo­qué des remous chez les com­merçants et jusqu’au gou­verne­ment. Dans de courts spots pub­lic­i­taires, l’Ademe a mis en scène un «déven­deur», chargé de décourager l’achat de pro­duits neufs — smart­phones, lave-linges ou habits. De quoi porter «un préju­dice grave et injus­ti­fié au com­merce et à la mode dans une péri­ode essen­tielle», d’après les fédéra­tions de com­merce, qui récla­maient leur retrait (notre arti­cle). Une cam­pagne jugée «mal­adroite» et «regret­table» par le min­istre de l’économie, Bruno Le Maire, mais âpre­ment défendue par Christophe Béchu, min­istre de l’écologie. «Que 0,2 % du temps d’antenne pub­lic­i­taire soit con­sacré à se deman­der si tous les achats sont utiles, franche­ment, vu les enjeux de tran­si­tion écologique, ça ne sem­ble pas déraisonnable», a‑t‑il soutenu. Qui aurait pu prédire…?

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