Le vert du faux

Les neuf idées reçues qui polluent les discussions autour du nucléaire

Alors que la campagne pour la présidentielle bat son plein, l’atome est dans toutes les bouches et sur tous les programmes qui, c'est selon, le vantent ou le clouent au pilori. Décryptage de certaines des (contre)-vérités les plus souvent rebattues.
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S’il est un sujet qui tend la société française comme peu d’autres, c’est bien celui du nucléaire. Or, à l’heure où la France doit faire cer­tains choix pour son avenir énergé­tique, les débats autour de l’atome sont néces­saires. Mais entre les faits, les petits arrange­ments avec la réal­ité voire, les gros men­songes, il est dif­fi­cile de s’y retrou­ver. Pour ten­ter d’y voir plus clair et démêler les infos des intox, voici un tour d’horizon de cer­taines idées reçues — plus ou moins justes — que l’on entend le plus sou­vent.

Au som­maire :

1. « C’est une réponse à l’ur­gence cli­ma­tique »

2. « On ne peut pas s’en pass­er pour réduire nos émis­sions »

3. « C’est l’én­ergie décar­bonée la moins chère »

4. « C’est la garantie de notre indépen­dance énergé­tique »

5. « C’est une fil­ière d’ex­cel­lence »

6. « On ne sait pas déman­tel­er »

7. « C’est une énergie pro­pre »

8. « C’est une énergie comme les autres »

9. « C’est dan­gereux »

1. « C’est une réponse à l’urgence climatique »

Avec 12 grammes de CO2 par kilo­wattheure pro­duit (voire 6 en France), le nucléaire est, avec l’éolien, la source d’électricité qui émet le moins de gaz à effet de serre au cours de son cycle de vie, soit de l’extraction du min­erai au déman­tèle­ment des instal­la­tions (Giec). Grâce à lui et à l’hydroélectricité, le mix élec­trique français est con­sti­tué à 92% de sources décar­bonées (très faible­ment émet­tri­ces). En France, la pro­duc­tion d’un kilo­wattheure élec­trique représente ain­si 42 grammes de CO2 con­tre 317 grammes en moyenne au sein de l’Union européenne (Min­istère de la tran­si­tion écologique).

Les émis­sions (en grammes de CO2 équiv­a­lent par kilo­wattheure pro­duit), par source de pro­duc­tion d’élec­tric­ité en France. © Ademe

Pour autant, la con­struc­tion de nou­veaux réac­teurs n’est pas une réponse sat­is­faisante à l’ur­gence cli­ma­tique, pour des raisons de temps de développe­ment. « La décen­nie cru­ciale sur le cli­mat, c’est celle de 2020 à 2030 », a rap­pelé le directeur exé­cu­tif du ges­tion­naire de réseau français RTE, Thomas Veyrenc, le 7 décem­bre lors d’une ren­con­tre avec la presse. Dans son dernier rap­port, paru cet été, le GIEC a en effet insisté sur la néces­sité de réduire immé­di­ate­ment les émis­sions. Faute de quoi le bud­get car­bone (les quan­tités de CO2 à ne pas dépass­er) pour lim­iter la hausse des tem­péra­tures à 1,5°C sera épuisé dès le début des années 2030 (Vert). Or, le délai moyen entre la prise de déci­sion et l’en­trée en ser­vice d’un réac­teur dépasse les dix ans et peut même aller jusqu’à 18 ans (pour le réac­teur EPR d’Olkiluoto en Fin­lande). « À cette échéance, le nou­veau nucléaire n’est pas un levi­er envis­age­able », explique Thomas Veyrenc, ajoutant que « la max­imi­sa­tion de la pro­duc­tion décar­bonée repose sur les réac­teurs exis­tants et un développe­ment max­i­mal des éner­gies renou­ve­lables ».

Il faut égale­ment pren­dre en compte l’im­pact du change­ment cli­ma­tique sur les réac­teurs eux-mêmes, en par­ti­c­uli­er les vagues de chaleur extrême et la moin­dre disponi­bil­ité en eau pour leur refroidisse­ment. Or, l’ex­er­ci­ce s’an­nonce périlleux selon Thibault Laconde, con­sul­tant spé­cial­isé dans les risques cli­ma­tiques. « On peut se deman­der si c’est pos­si­ble d’avoir une ges­tion des risques suff­isam­ment robuste, compte tenu de la durée de vie des réac­teurs, qui pour­rait s’étendre à 50 ou 60 ans, et des incer­ti­tudes sur le cli­mat à cette échéance », indique-t-il à Vert. A court terme, « il est évi­dent qu’il y a déjà des sites sur lesquels il n’est pas raisonnable d’in­staller de nou­veaux réac­teurs nucléaires pour des raisons de hausse des tem­péra­tures et/ou d’é­ti­ages des cours d’eau en baisse », prévient-il. « Si l’on résume à grands traits, seul le Rhône ou le bord de mer sont désor­mais des local­i­sa­tions adap­tées pour d’éventuels nou­veaux réac­teurs ».

2. « On ne peut pas s’en passer pour réduire nos émissions »

Avec 71% de l’élec­tric­ité pro­duite (et 38,5% de toute l’énergie) par 56 réac­teurs, l’atome règne aujour­d’hui en maître sur le paysage énergé­tique français. Il s’agit d’une excep­tion ; le nucléaire reste mar­gin­al au niveau mon­di­al où il ne représente que 10% de la pro­duc­tion d’électricité, et 5% de toute l’énergie (AIE). « La plu­part des pays font sans nucléaire, mais c’est la com­pat­i­bil­ité de leur mix élec­trique avec la lutte con­tre le change­ment cli­ma­tique qui doit être inter­rogée », expose à Vert Nico­las Gold­berg, expert en énergie au sein du cab­i­net Colom­bus Con­sult­ing. « A l’exception de la Norvège, qui dis­pose d’un poten­tiel hydraulique unique, les pays européens qui ont réus­si à décar­bon­er leur secteur élec­trique, comme la Suède, la Suisse, ou la France, com­bi­nent nucléaire et renou­ve­lables », défend ain­si la Société française d’énergie nucléaire (SFEN).

Com­par­er les éner­gies entre elles : pourquoi c’est si com­pliqué ?
Il est de cou­tume de rap­porter le nom­bre d’éoli­ennes instal­lées à leurs équiv­a­lents nucléaire — ou l’inverse. C’est pour­tant un cal­cul à manier avec pré­cau­tion car les sources d’énergie dif­fèrent entre elles par leur niveau de pro­duc­tiv­ité (ou fac­teur de charge). Pour le nucléaire, celui-ci est d’environ 70% tan­dis qu’il est de 25% pour l’éolien ter­restre, 40% pour l’éolien en mer ou encore de 15% pour le solaire.
C’est ce qui fait que pour une même puis­sance instal­lée (exprimée en watts, kilo­watts, mégawatts, gigawatts ou ter­awatt), deux sources d’électricité ne fourniront pas la même pro­duc­tion (exprimée en wattheure, kilo­wattheure, etc). Par exem­ple, une cen­trale nucléaire de 900 MW pro­duira en une heure 630 MWh (900 x 0,7) tan­dis qu’un parc éolien de même puis­sance pro­duira 225 MWh (900 x 0,25). 

Con­fron­tée au vieil­lisse­ment de son parc élec­tro-nucléaire con­stru­it entre la fin des années 1970 et début 1990, la France s’in­ter­roge aujour­d’hui sur la néces­sité de nou­veaux réac­teurs dans son mix, à l’heure où les éner­gies renou­ve­lables con­nais­sent un développe­ment sans précé­dent. « Depuis le début de la con­struc­tion de l’EPR de Fla­manville en 2007, la part des éner­gies renou­ve­lables dans l’élec­tric­ité en Alle­magne est passée de 14 % à près de 50 % aujour­d’hui », a ain­si rail­lé sur Twit­ter le jour­nal­iste français Vin­cent Boulanger, basé à Ham­bourg. 

« En 2020 dans le monde, la puis­sance renou­ve­lable a aug­men­té de 280 GW [gigawatts, ou mil­liards de watts] con­tre 0,4 GW pour le nucléaire », rap­pelle de son côté Yves Mari­gnac de l’association négaWatt, citant les chiffres de l’Agence inter­na­tionale de l’énergie (AIE). Même le ges­tion­naire du réseau élec­trique français, RTE, estime que « dévelop­per sig­ni­fica­tive­ment les éner­gies renou­ve­lables en France est, dans tous les cas, absol­u­ment indis­pens­able pour attein­dre la neu­tral­ité car­bone » dans ses scé­nar­ios prospec­tifs à l’horizon 2050. Toute­fois, se pass­er entière­ment de la pro­duc­tion sta­ble du nucléaire pose avant tout des ques­tions tech­niques. Les éner­gies renou­ve­lables ont en effet une pro­duc­tion vari­able (liée au vent, à l’ensoleillement, etc), met­tant par­fois le réseau élec­trique à rude épreuve. Dans une étude parue en jan­vi­er 2021, RTE et l’A­gence inter­na­tionale de l’én­ergie ont validé la fais­abil­ité d’un scé­nario 100% renou­ve­lable, tout en prévenant qu’il repose sur des « paris tech­nologiques lourds ».

3. « C’est l’énergie décarbonée la moins chère »

L’é­val­u­a­tion économique des choix énergé­tiques est une ques­tion com­plexe, que la bataille de chiffres entre les pro et les anti-nucléaire ne suf­fit pas à épuis­er. Les éner­gies renou­ve­lables affichent des coûts de pro­duc­tion en chute libre. Mais leur déploiement à grande échelle implique toute­fois des investisse­ments coû­teux pour com­penser leur vari­abil­ité : ren­force­ment des réseaux élec­triques et mise en œuvre de moyens de flex­i­bil­ité notam­ment (stock­age, cen­trales d’ap­point). C’est ce que le ges­tion­naire de réseau français RTE appelle les « coûts sys­tème », à dif­férenci­er des coûts « bruts » de pro­duc­tion de chaque énergie. Or, dans ses « Futurs énergé­tiques à 2050 », RTE con­clut avec « un bon niveau de con­fi­ance » que la relance d’un pro­gramme nucléaire serait moins coû­teux qu’un scé­nario 100% renou­ve­lable.

Évo­lu­tion du coût de pro­duc­tion par type d’énergie entre 2010 et 2019, en dol­lar par mégawattheure. © Sta­tista

La con­clu­sion de RTE ne con­va­inc pas les opposant·es au nucléaire, qui pointent le déra­page con­tin­uel des coûts et des délais de con­struc­tion des nou­veaux réac­teurs. A Fla­manville, le chantier de l’EPR a pris onze ans de retard tan­dis que la fac­ture est passée de 3,3 mil­liards d’eu­ros à 19,1 mil­liards d’eu­ros, selon les dernières esti­ma­tions de la Cour des comptes à l’été 2020. Pour la suite, EDF table sur un coût de 46 mil­liards d’euros (Le Monde) pour la con­struc­tion de trois nou­velles paires de réac­teurs — un pro­jet porté par Emmanuel Macron — à compter de 2035. Mais un doc­u­ment émanant des min­istères de la tran­si­tion écologique et de l’économie révélé par Con­texte envis­age déjà une fourchette supérieure, de 52 à 64 mil­liards d’euros, pour une entrée en ser­vice « au plus tôt en 2040 ».

Emmanuel Macron en 2016, alors min­istre de l’économie, vis­ite la cen­trale nucléaire de Civaux en com­pag­nie de Jean-Bernard Levy, PDG d’EDF © Guil­laume Sou­vant / AFP

4. « C’est la garantie de notre indépendance énergétique »

L’atome est couram­ment présen­té comme un pili­er essen­tiel de notre sou­veraineté. De fait, l’ac­céléra­tion du pro­gramme élec­tro-nucléaire, acté en mars 1974 par le lance­ment du « plan Mess­mer », est une réponse directe aux chocs pétroliers qui ont ponc­tué la décen­nie 1970. Pour se sous­traire à la dépen­dance aux hydro­car­bu­res, l’Hexa­gone s’est doté de 58 réac­teurs en un quart de siè­cle. Une prouesse indus­trielle ! 

Pour autant, elle n’a pas — à pro­pre­ment par­ler — atteint l’au­tonomie énergé­tique; chaque année, 8 000 à 10 000 tonnes d’u­ra­ni­um naturel sont importées, prin­ci­pale­ment du Kaza­khstan, du Cana­da, de l’Australie ou du Niger (Min­istère de la tran­si­tion écologique). Elle n’est pas non plus com­plète­ment sou­veraine puisque ces cen­trales reposent, pour la plu­part, sur une tech­nolo­gie de réac­teurs à eau pres­surisée dévelop­pée par l’Améri­cain West­ing­house. En revanche, il est indé­ni­able que la fil­ière est aujour­d’hui « cein­ture et bretelles pour assur­er une chaîne d’ap­pro­vi­sion­nement sécurisée », comme l’ex­plique Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d’énergie nucléaire (SFEN). La France maîtrise l’in­té­gral­ité de la chaîne de trans­for­ma­tion de l’u­ra­ni­um. « EDF dis­pose d’un stock d’uranium cor­re­spon­dant à deux ans de pro­duc­tion d’électricité et encore trente années de réserve dans les mines exploitées par Ora­no à l’é­tranger », explique-t-elle. Selon l’A­gence inter­na­tionale de l’én­ergie atom­ique, les réserves con­nues au niveau mon­di­al représen­tent 130 ans de con­som­ma­tion mon­di­ale.

5. « C’est une filière d’excellence »

Troisième indus­trie du pays en ter­mes d’emplois der­rière l’aéro­nau­tique et l’au­to­mo­bile, la fil­ière nucléaire est un poids-lourd de l’é­conomie française. Sur son site inter­net, la Société française d’én­ergie nucléaire (SFEN) vante 220 000 emplois et plus de 3 000 entre­pris­es, posi­tion­nées en France et à l’ex­port sur « l’ensem­ble de la chaîne de valeur ». Pour autant, « l’ex­cel­lence ne se décrète pas et tous les mail­lons de la chaîne ne peu­vent y pré­ten­dre », rap­pelle l’ex­pert en énergie Nico­las Gold­berg. Par exem­ple, « il y avait peut-être une fil­ière d’ex­cel­lence dans la con­struc­tion à l’époque du plan Mess­mer mais aujour­d’hui la démon­stra­tion est à refaire », estime-t-il. De fait, avec le fort ralen­tisse­ment des chantiers en France dès les années 1990, la fil­ière souf­fre aujour­d’hui d’une « perte de com­pé­tences général­isée », comme l’a pointé en 2019 le rap­port Folz por­tant sur le fias­co du chantier de Fla­manville. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) s’est même inquiétée à plusieurs repris­es de la « capac­ité indus­trielle d’EDF et des inter­venants de la fil­ière » à men­er les travaux du grand caré­nage néces­saire au pro­longe­ment des réac­teurs exis­tants. Le « redé­ploiement indus­triel de la fil­ière » est toute­fois une pri­or­ité du gou­verne­ment Macron, qui a décidé d’y con­sacr­er une enveloppe de 470 mil­lions d’eu­ros dans le cadre du Plan France Relance annon­cé en avril dernier.

Le chantier de l’EPR de Fla­manville, qui ne devrait pas être mis en ser­vice avant le deux­ième trimestre 2023, alors que la pro­duc­tion devait débuter en 2012. Ici en 2011. © Schoel­la — panoramio

6. « On ne sait pas démanteler »

La France compte actuelle­ment onze réac­teurs civils défini­tive­ment à l’arrêt, dont cer­tains le sont depuis près de 50 ans. Il s’ag­it pour six d’entre eux de réac­teurs dits de pre­mière généra­tion, con­stru­its dans les années 50–60, qui ont fonc­tion­né à l’uranium graphite-gaz (UNGG). Deux autres sont des pro­to­types, ce qui ne facilite pas leur déman­tèle­ment. « A l’époque on a mal doc­u­men­té l’in­stal­la­tion et on a per­du la mémoire », recon­naît Valérie Faudon de la SFEN auprès de Vert. « Ce sont des chantiers com­pliqués, qui avan­cent lente­ment, avec par­fois des ver­rous tech­nologiques », con­cède-t-elle. Résul­tat, les devis ont déjà qua­si­ment dou­blé, pas­sant de 4,7 mil­liards d’eu­ros à la fin 2012 à 9,2 mil­liards d’eu­ros en 2018 (rap­port d’information du Sénat). Sur les réac­teurs UNGG, les dif­fi­cultés sont telles qu’EDF a annon­cé en 2016 le report des opéra­tions de déman­tèle­ment à l’horizon 2100, soit entre 106 et 127 ans après leur mise à l’ar­rêt.

A l’in­verse, « la décon­struc­tion des réac­teurs de deux­ième généra­tion [qui com­posent le parc actuel, Nldr] ne présente pas de dif­fi­culté tech­nologique », assure Valérie Faudon. « Elles sont iden­tiques entre elles et des mod­èles sim­i­laires ont déjà été déman­telés aux États-Unis ». Ici, les inquié­tudes sont plutôt liées au coût du déman­tèle­ment et à son antic­i­pa­tion par EDF. Alors que les exploitants européens pro­vi­sion­nent générale­ment entre 900 mil­lions et 1,3 mil­liard d’euros par réac­teur à déman­tel­er, EDF n’a mis en réserve que 350 mil­lions env­i­ron par tranche (soit env­i­ron 20 mil­liards d’euros pour l’ensem­ble des réac­teurs), selon un rap­port d’in­for­ma­tion par­lemen­taire paru en 2017. Une esti­ma­tion finan­cière osten­si­ble­ment opti­miste que l’au­torité de sûreté nucléaire a, pour l’in­stant, refusé de valid­er. La Cour des comptes sug­gère d’ailleurs qu’EDF devrait pro­vi­sion­ner au moins 7 mil­liards d’euros sup­plé­men­taires, soit 27,3 mil­liards d’euros (rap­port séna­to­r­i­al). Et si l’on élar­git au déman­tèle­ment des instal­la­tions du cycle (traite­ment de l’uranium, instal­la­tions de recherche, etc), ce coût atteint 46,6 mil­liards d’euros, tou­jours selon la Cour des comptes.

7. « C’est une énergie propre »

L’énergie nucléaire n’émet pas de CO2 — ou presque, car il con­vient notam­ment d’ajouter les émis­sions liées à la con­struc­tion des cen­trales — et ne génère aucune pol­lu­tion de l’air. Mais elle souf­fre d’un défaut encom­brant : ses déchets. A fin 2019, l’inventaire offi­ciel en recen­sait 1,7 mil­lion de mètres cubes (en hausse de 30 000 m³ sur un an), à la radioac­tiv­ité vari­able. Ces pro­duits dits « ultimes » sont ou seront accueil­lis dans dif­férentes poubelles en fonc­tion de leur typolo­gie. Par exem­ple, les plus dan­gereux d’en­tre eux – 3% du vol­ume total mais 99% de la radioac­tiv­ité – sont des­tinés à être ensevelis défini­tive­ment dans la couche argileuse du sous-sol de Bure dans la Meuse. C’est le pharaonique pro­jet Cigéo, dont la pre­mière phase de con­struc­tion pour­rait débuter en 2022. L’enfouissement de ces déchets, dont la radioac­tiv­ité est de 100 000 ans, sus­cite une vive oppo­si­tion, dont la répres­sion, bru­tale et coû­teuse, a été révélée dans une série d’enquêtes de Medi­a­part et Reporterre.

Le site Cigéo doit per­me­t­tre d’en­fouir à 500 mètres de pro­fondeur des déchets d’une durée de vie de 100 000 ans. © Andra

A cela s’a­joutent près de 350 000 tonnes de matières, théorique­ment réu­til­is­ables mais aujour­d’hui sans emploi ou presque. Enfin, le déman­tèle­ment des cen­trales devrait génér­er 2,2 mil­lions de mètres cubes de déchets (faible­ment radioac­t­ifs), selon un avis de l’Au­torité envi­ron­nemen­tale, chargée d’évaluer l’impact écologique des pro­jets.

Sur ce sujet, de nom­breuses voix dénon­cent une ges­tion aléa­toire et peu trans­par­ente. « Il sem­blerait qu’il y ait du retard sur la ques­tion et un grand manque d’anticipation sur le vol­ume réel des déchets à traiter », esti­mait récem­ment la députée Emi­lie Car­i­ou (ex-LREM) dans une tri­bune parue dans Le Monde. Elle est chargée, à l’Assemblée nationale, de faire l’é­val­u­a­tion du cinquième Plan nation­al de ges­tion des matières et des déchets radioac­t­ifs (PNGMDR). Mais celui-ci n’est tou­jours pas paru, plus de deux ans après la date butoir fixée par la loi. Or, en l’ab­sence de déci­sions rapi­des, « aucune fil­ière de ges­tion pérenne des déchets ne sera opéra­tionnelle dans les vingt ans qui vien­nent », a alerté à plusieurs repris­es le prési­dent de l’Autorité de sûreté nucléaire, Bernard Doroszczuk. De son côté, l’au­torité envi­ron­nemen­tale déplore le manque d’information sur la fac­ture glob­ale. « Rien que pour Cigéo, un arrêté fixe le coût du pro­jet à 25 mil­liards d’euros. Mais précédem­ment, l’A­gence nationale pour la ges­tion des déchets radioac­t­ifs (Andra) avait éval­ué ce coût à 34,5 mil­liards d’euros et le cab­i­net d’audit PwC entre 39,1 et 43,6 mil­liards d’euros », explique Emi­lie Car­i­ou à Vert.

8. « C’est une énergie comme les autres »

« Sans nucléaire civ­il, pas de nucléaire mil­i­taire ! » Cette phrase d’Em­manuel Macron, pronon­cée à Creusot Forge (Saône-et-Loire) en décem­bre 2020, rap­pelle le lien incon­tourn­able entre l’én­ergie nucléaire et la dis­sua­sion atom­ique. « A l’o­rig­ine, c’est en effet un co-pro­duit de l’arme atom­ique. Les pre­miers réac­teurs français avaient d’abord pour fonc­tion de pro­duire du plu­to­ni­um pour les bombes avant de pro­duire de l’élec­tric­ité », illus­tre Yves Mari­gnac, expert du nucléaire au sein de l’association négaWatt. « Aujour­d’hui encore, les tech­nolo­gies et les matières sont en par­tie com­munes », c’est pour cela que le déploiement du nucléaire civ­il est stricte­ment encadré par des traités inter­na­tionaux, notam­ment celui sur la non-pro­liféra­tion des armes nucléaires (TNP) con­clu en 1968. Par exem­ple, l’en­richisse­ment et le retraite­ment de l’u­ra­ni­um est offi­cielle­ment réservé à un petit club de pays déjà déten­teurs de l’arme atom­ique (les États-Unis, la Russie, le Roy­aume-Uni, la France et la Chine), dans lequel ont aus­si été admis les Pays-Bas, le Japon et l’Alle­magne. Les 24 autres pays qui ont acquis un ou plusieurs réac­teurs nucléaires sont aujour­d’hui dans une dépen­dance stratégique vis-à-vis de ces pays. « C’est à la fois un levi­er géopoli­tique fort mais c’est aus­si ce qui freine inévitable­ment le déploiement du nucléaire », con­clut Yves Mari­gnac.

9. « C’est dangereux »

Si l’atome ter­ri­fie autant qu’il fascine, c’est en rai­son de son car­ac­tère prométhéen. De toutes les sources d’én­ergie con­nues, le nucléaire se dis­tingue en effet par son excep­tion­nelle den­sité : on estime que cass­er les noy­aux d’un seul gramme d’u­ra­ni­um (c’est la fis­sion nucléaire) dégage un mil­lion de fois plus d’én­ergie que de brûler un gramme de com­bustible fos­sile. A l’échelle indus­trielle, une telle puis­sance engage des enjeux de sûreté (à l’in­térieur des instal­la­tions) et de sécu­rité (agres­sions extérieures) con­sid­érables pour éviter des cat­a­stro­phes telles que Tch­er­nobyl (URSS) ou Fukushi­ma (Japon). Ces désas­tres ont entraîné des déplace­ments de pop­u­la­tions mas­sifs et ren­du des mil­liers de kilo­mètres car­rés inhab­it­a­bles.

A gauche, les acci­dents mor­tels rap­portés à la pro­duc­tion d’én­ergie (mesurée en ter­awattheures). En tête (dans l’or­dre) : char­bon, pét­role, gaz, bio­masse. L’hy­draulique, le nucléaire, l’éolien et le solaire comptent beau­coup moins d’ac­ci­dents mor­tels. A droite, les émis­sions pour chaque type d’én­ergie, mesurées en tonnes de CO2 équiv­a­lent par gigawattheure. © Our world in data.

La France, deux­ième puis­sance nucléaire au monde après les États-Unis, n’a pas (encore) con­nu d’ac­ci­dent de cet ampleur. Les exploitants ont l’obligation de sig­naler tout événe­ment sig­ni­fi­catif à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Celle-ci en a recen­sé plus de 2 700 depuis 1957 (114 en 2021), dont la plu­part sont des écarts ou des anom­alies sans con­séquences, classés « zéro » ou « un » sur les sept niveaux de l’échelle inter­na­tionale des événe­ments nucléaires et radi­ologiques (Ines). Toute­fois, la France a con­nu deux acci­dents de niveau qua­tre (c’est-à-dire n’entraînant pas de risque impor­tant à l’extérieur du site) à la cen­trale de Saint-Lau­rent-des-Eaux (Loir-et-Cher) en octo­bre 1969 et en mars 1980. Dans les deux cas, des com­bustibles ont fusion­né dans un des réac­teurs de la cen­trale.

Les normes de sécu­rité ont été ren­for­cées après l’ac­ci­dent nucléaire de Fukushi­ma en mars 2011 et l’ASN juge que la sûreté glob­ale des instal­la­tions tend à s’amélior­er. Toute­fois les opposant·es rap­pel­lent que le risque zéro n’ex­iste pas et pointent régulière­ment des failles dans la sécu­rité des instal­la­tions. Un doc­u­men­taire, réal­isé par Eric Guéret et Lau­re Noual­hat, pointe en out­re la vul­néra­bil­ité du parc nucléaire français à la men­ace ter­ror­iste.

En octo­bre 2017, des militant.es de Green­peace ont tiré des feux d’artifice depuis l’intérieur de la cen­trale de Cat­tenom (Moselle) pour dénon­cer la vul­néra­bil­ité des bâti­ments abri­tant les piscines de com­bustible usé.