Ce qu’il faut retenir
→ Pour les syndicats français, concilier emploi et environnement n’était, jusqu’à récemment, pas une évidence.
→ La loi Climat et résilience de 2021 a joué un rôle d’accélérateur de leur implication sur ces thèmes. Elle a donné de nouveaux pouvoirs aux élu·es du CSE des entreprises de plus de 50 salarié·es.
→ Quand des emplois sont en jeu, il est parfois difficile pour les syndicats de maintenir leurs positions sur l’environnement. Défendre les travailleur·ses de Tefal ou lutter contre la pollution aux PFAS fait partie de ces dilemmes.
Et si la transition écologique redessinait le rôle des syndicats ? Face aux mutations à venir dans le monde du travail, les principales organisations françaises ont placé les questions environnementales au centre de leurs préoccupations.
Une évolution qui, jusqu’à récemment, n’était pas évidente. «En 2019, nous avons créé un groupe de travail sur le climat et l’environnement au sein de la confédération, raconte Béatrice Clicq, secrétaire confédérale chargée de l’égalité et du développement durable chez Force ouvrière (FO), l’un des premiers syndicats à avoir travaillé sur cette question. L’idée était de nous approprier ces thématiques, car de nombreux militants avaient du mal à les percevoir comme des enjeux syndicaux».
Depuis, les confédérations syndicales ont rattrapé leur retard. Début 2023, la CFDT a par exemple publié son «manifeste pour une transition écologique juste» ; quelques mois plus tôt, la CFE-CGC proposait une série de mesures concrètes pour accompagner les travailleur·ses dans cette transformation.
De nouveaux pouvoirs pour les salariés
La loi Climat et résilience de 2021, qui vise à réduire les émissions de CO2 et à promouvoir une «transition écologique», a joué un rôle d’accélérateur. Dans le champ syndical, elle a donné de nouveaux pouvoirs aux élu·es du CSE (Conseil économique et social) des entreprises de plus de 50 salarié·es, pour leur offrir les moyens d’agir.
Depuis, les représentant·es du personnel doivent être informé·es et consulté·es sur les conséquences environnementales des mesures envisagées par leur employeur. «On a fait beaucoup de formations en interne, pour que nos élus, qui ont plus l’habitude de travailler sur le salaire ou les conditions de travail, soient acculturés à ces sujets-là», explique Fabien Guimbretière, secrétaire national CFDT chargé de la transition écologique. Pour aider ses militant·es à remplir ces nouvelles missions, la CGT s’est alliée au collectif Pour un réveil écologique, afin de créer le «radar travail et environnement». Cet outil évalue la politique environnementale des entreprises et permet de contrer les pratiques de greenwashing.
Manque d’anticipation et crainte d’une casse sociale
Si les syndicats se sont saisis des enjeux environnementaux, c’est parce que la transition aura des répercussions sur de nombreux emplois dans un futur proche, notamment dans les secteurs de l’industrie et l’énergie. «Ce qui a vraiment réveillé les esprits chez nous, c’est l’arrêt prévu de la vente de voitures thermiques neuves en 2035 [prévu par un règlement européen de 2023, NDLR], raconte Franck Don, chargé de la transition écologique et énergétique pour la CFTC et employé de Stellantis (Peugeot, Citroën…). En seulement quelques années, cette industrie doit faire une mue totale vers le 100% électrique. On a touché du doigt l’impact que peuvent avoir ces questions sur les emplois.»

Son syndicat redoute une casse sociale. «Le problème de l’électrique dans l’automobile, c’est que ça nécessite environ 40% de salariés en moins que le thermique. Ce qui veut dire que la reconversion seule ne suffira pas», assure Franck Don. «La Commission européenne a pris des décisions un peu abruptes et définitives, sans avoir d’étude d’impact et sans regarder comment elle pourrait transformer ces filières», estime Madeleine Gilbert, qui s’occupe de la «transition vers un monde durable» pour la CFE-CGC.
Un manque d’anticipation, tant national qu’européen, dénoncé par l’ensemble des confédérations syndicales. «Ces notions d’anticipation et de co-construction avec les travailleurs et travailleuses sont absolument fondamentales pour que les changements soient acceptables. Nous insistons sur le besoin d’une transition écologique juste, raconte Fabien Guimbretière de la CFDT. Une fois que l’on a posé ces grands principes, il est évident qu’il y aura des situations difficiles. Soit on en fait un frein, soit une opportunité».
L’opportunité d’une «réindustrialisation verte»
Pour les syndicats, la transition écologique peut être créatrice d’emplois, notamment dans l’industrie, avec le développement de certains secteurs comme les énergies renouvelables. Mais surtout grâce à la relocalisation sur le territoire d’une partie de la production. «Pour des questions d’emplois, d’autonomie et de flux logistique, il faut réfléchir à une industrialisation inédite, en réintroduisant des fabrications que nous avions, à un moment donné, jugé opportun de délocaliser. Est-ce que ça a encore du sens qu’un fabriquant se trouve à 1 000 kilomètres de son client ?», s’interroge Fabien Guimbretière. Pour Julie Le Mazier, chargée des questions écologiques pour l’union syndicale Solidaires, la relocalisation est même un impératif écologique : «Délocaliser a pour conséquence d’externaliser notre pollution et d’en créer une nouvelle, à cause du transport. Nous sommes donc favorables à une relocalisation massive, pour assumer le coût environnemental de ce que nous consommons.»
«Nous aurons toujours besoin d’industrie. Il s’agit de maintenir les sites existants et de moderniser, décarboner et faire en sorte qu’on pollue le moins possible», abonde Béatrice Clicq de FO. «Même si nous sommes capables d’étudier les scénarios de l’Ademe [Agence de la transition écologique, NDLR], par exemple sur la sobriété ou une certaine décroissance, nous ne sommes pas favorables à la disparition de l’industrie. Sans être productiviste, il faut quand même qu’on crée de la richesse dans ce pays, et c’est le travail qui crée de la valeur», considère Fabienne Rouchy de la CGT. The Shift Project, qui se présente comme le laboratoire d’idées de la transition carbone, estime que la décarbonation de l’économie, loin d’être destructrice en termes de travail, entraînerait une croissance nette de la demande de main-d’œuvre de l’ordre de 300 000 emplois à horizon 2050.
Faire suivre les discours et les actes
À côté des grandes confédérations, un éco-syndicat tout entier dédié à la transition a vu le jour en 2019 : le Printemps écologique. Anne Le Corre est l’une de ses cofondatrices : «À l’époque, nous estimions que les entreprises ne portaient pas assez les questions de la transformation écologique de leur modèle économique et nous n’avions pas beaucoup d’échos de la part des syndicats traditionnels», raconte-t-elle. Plutôt confidentiel au départ, le syndicat compte désormais plus de 300 élu·es dans des secteurs d’activité variés. Anne Le Corre explique : «Nous essayons, pour chaque accord signé, d’amener une dimension écologique, de voir comment transformer les règles de l’entreprise pour intégrer cette dimension. C’est assez nouveau dans le champ syndical.»
La cofondatrice se réjouit de voir ces thématiques trouver un relais plus large : «Aujourd’hui, il y a beaucoup plus d’occurrences de la transition écologique chez les autres organisations syndicales, par rapport à nos débuts. Leur principal enjeu, c’est que le discours et les actes suivent, parce qu’elles ont toutes une base d’adhérents qu’elles doivent faire bouger, mais sans aller trop vite, au risque de les perdre.»
Illustration récente de ce dilemme : le départ de la CGT de l’Alliance écologique et sociale (anciennement appelée Plus jamais ça), une coalition inédite de syndicats, d’ONG et d’associations écologistes, dont l’une des victoires emblématiques avait été le sauvetage en 2022 de l’unique usine de papier recyclé française, située à La Chapelle Darblay, en Seine-Maritime. Mais, comme l’expliquait Reporterre, le rapprochement entre la CGT et des ONG comme Greenpeace, opposée au nucléaire, passait mal auprès de certaines fédérations. Le départ de la CGT de l’alliance a été acté lors du congrès de l’organisation en 2023. Les trois autres syndicats – Solidaires, la FSU et la Confédération paysanne – ont maintenu leur participation.
Emploi et environnement, un équilibre difficile
Quand des emplois sont en jeu, il est parfois difficile pour les syndicats de maintenir leurs positions sur l’environnement. En avril 2024, des dizaines d’employé·es du groupe SEB – numéro un mondial du petit équipement domestique -, se sont rendu·es à Paris pour manifester contre une proposition de loi écologiste qui visait à interdire, dès 2026, la fabrication de divers objets contenant des PFAS, ces «polluants éternels». Particulièrement persistants dans le corps et l’environnement, certains sont classés comme cancérigènes pour les humains. Parmi les objets incriminés, figuraient des ustensiles de cuisine comme les poêles, qui faisaient craindre jusqu’à 3 000 pertes d’emplois chez Tefal, filiale de SEB.
À la suite de cette mobilisation, les ustensiles de cuisine n’étaient plus concernés par la proposition de loi, au grand dam de nombreuses associations écologistes. «Nous soutenons totalement les salariés, l’enjeu, c’était bien sûr l’emploi. Vous ne pouvez pas leur annoncer qu’ils vont perdre leur travail sans proposer de solutions», défend Béatrice Clicq de FO, premier syndicat chez Tefal. «On veut protéger l’emploi et l’environnement, mais pour joindre les deux, il faut que les choses soient anticipées. On ne peut pas prendre des décisions aussi abruptes», considère Madeleine Gilbert de la CFE-CGC.
Si des syndicalistes de FO et de la CFE-CGC ont manifesté contre la proposition de loi aux côtés de la direction de SEB, les représentant·es de la CGT se sont opposé·es à cette initiative, dénonçant un chantage à l’emploi et un lobbying industriel. «Il faut lutter contre le genre de pollution que sont les PFAS, nous travaillons avec des ONG comme Générations futures sur ce sujet, indique Fabienne Rouchy, de la CGT. Évidemment que nous défendons l’emploi, mais s’il doit changer de nature pour aider à la transition, nous y sommes favorables.». C’est une première dans le monde syndical : les branches chimie et métallurgie de la CGT ont récemment constitué un «collectif PFAS» pour protéger les salarié·es et trouver des alternatives aux polluants.
Accompagnement et garanties
Face aux mutations futures dans les emplois, les syndicats demandent un accompagnement et des garanties pour les travailleurs et travailleuses. Lors des derniers États généraux industrie et environnement, qu’elle organise, la CGT a listé 22 propositions parmi lesquelles la création d’une «sécurité professionnelle environnementale». Les salarié·es dont les emplois seraient supprimés en raison de la transition écologique pourraient être formés à une nouvelle activité, et bénéficier du maintien de leur salaire grâce à un fonds mutualisé.
Solidaires revendique pour sa part la création d’un nouveau statut de «salarié de la transition écologique». Outre l’accès à des formations et l’obligation de reclassement des salarié·es concerné·es par une supression de poste, ce statut permettrait le maintien des rémunérations et des acquis sociaux entre deux emplois, comme le détaille Julie Le Mazier : «Si l’on regarde l’industrie pétrolière, il y a des garanties énormes qui ont été gagnées par les employés et qui sont inscrites dans la convention collective. Si on leur dit qu’ils vont aller vers d’autres secteurs – par exemple les énergies renouvelables -, où ils n’ont pas les mêmes acquis, alors ils vont se dire qu’ils y perdent». Pour Solidaires, il ne pourra pas y avoir de transition écologique sans un vaste mouvement de conquête de droits sociaux. Julier Le Mazier l’affirme : «Il faut qu’il y ait des contreparties pour les travailleurs, si l’on souhaite rendre cette nouvelle société désirable.»
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