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Comment convaincre vos proches de ne pas voter pour l’extrême droite ? Notre guide ultime

Défaite de famille. À mesure que le vote pour le Rassemblement national progresse, vous avez plus de risques de retrouver un ou une de ses électeur·ices dans votre famille ou parmi vos proches. Vert vous donne cinq astuces pour apprendre à dialoguer sans s’engueuler… et peut-être convaincre de ne pas voter pour l’extrême droite.
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Ce qu’il faut retenir :

→ Changer d’avis sur un sujet aussi important que le vote prend du temps : vous ne convaincrez personne en une seule conversation !

→ L’objectif est de garder une bonne relation avec la personne pour répéter la conversation à l’avenir.

→ Il faut surtout écouter : cela montre à l’autre qu’on ne veut pas imposer ses arguments et permet de comprendre ce qui est le plus important pour elle ou lui.

→ Adapter votre discours aux valeurs de l’autre, montrez comment vous pouvez les partager… et pourquoi l’extrême droite n’est pas la solution.

Il y a une petite musique qui revient trop souvent à vos oreilles en ce moment : des membres de votre famille, vos ami·es ou vos collègues ne cachent plus leur intention de voter pour le Rassemblement national. Peut-être l’ont-ils déjà fait aux élections législatives, l’an dernier, où plus de 10 millions de personnes ont voté pour le parti d’extrême droite et ses allié·es (un record pour le RN).

Pour éviter de vous embrouiller – et peut-être même essayer de convaincre vos proches de mettre un autre bulletin dans l’urne aux prochaines élections –, Vert a interrogé des spécialistes de la linguistique, du cerveau humain ou des mobilisations citoyennes. Voici leurs cinq conseils.

N’essayez pas de convaincre du premier coup

La première chose à éviter pour espérer convaincre… c’est de ne pas chercher à le faire en une seule conversation. «Ce n’est pas parce que la personne n’est pas tout de suite d’accord qu’elle ne le sera jamais ou qu’on a raté notre échange», explique Mélusine Boon-Falleur, chercheuse en sciences cognitives au Centre de recherche sur les inégalités sociales à Sciences Po Paris.

L’objectif que l’on doit se fixer, selon la chercheuse, est plutôt de gagner la confiance de la personne et de conserver la relation pour pouvoir en reparler plus tard : «C’est un processus lent, si l’on s’énerve tout de suite, on perd l’opportunité de pouvoir convaincre à terme.»

Mélusine Boon-Falleur, chercheuse en sciences cognitives. © Yann Castanier/Vert

Pour cela, une technique a fait ses preuves en sciences cognitives : le perspective-taking (ou prise de perspective, en français). C’est l’idée de se placer dans les chaussures de l’autre : c’est-à-dire de «penser à des situations dans lesquelles on a nous-même changé d’avis, et de se souvenir que cela a pris du temps». Si vous êtes devenu·e végétarien·ne alors qu’auparavant vous adoriez la viande, le changement ne s’est sûrement pas fait en un jour ou en une conversation. «Penser à une situation dans laquelle on a fait ce cheminement doux, ça peut aider à bien appréhender l’état d’esprit de l’autre personne et à éviter de vouloir la convaincre de tout de suite», ponctue la chercheuse.

Le neuroscientifique et psychologue Albert Moukheiber pose la question dans l’autre sens : «Est-ce que vous pensez que je peux vous persuader de voter pour le RN en une conversation lors d’un repas de Noël ?». «Non, ce n’est pas possible, répond-t-il. Encore moins sur quelque chose d’aussi global que votre vote.» Il faut donc être patient.

Laisser parler l’autre

«La première chose à faire, c’est de ne pas parler directement du RN, abonde Sarah Durieux, militante féministe et experte de la mobilisation citoyenne. Si l’on aborde la conversation de manière frontale, cela ne fonctionnera pas.» Il faut aussi éviter de «balancer tous nos arguments un par un, de faire un long tunnel pour expliquer aux gens pourquoi ils ont tort», appuie-t-elle. Cela risque seulement de créer une posture de repli chez l’autre. Il vaut mieux commencer par une question : «Tu penses quoi de l’actualité en ce moment ?», «Tu as prévu d’aller voter ?» ou «Quels sont les sujets prioritaires pour toi ?».

Parfois, repas de Noël rime avec discussion conflictuelle. Ici, le comédien Hadi Rassi campe le rôle du «tonton relou» dans une vidéo pour Vert. © Vert

Pour le neuroscientifique Albert Moukheiber, il n’y a «pas de recette magique». Il faut être patient, beaucoup écouter l’autre et être honnête. La discussion doit aussi se faire d’égal·e à égal·e. «Il n’y a rien de pire que quelqu’un qui souhaite nous expliquer avec bienveillance qu’on est débile et qu’il faut qu’on change d’avis.»

Ce qui est utile, par contre, c’est de parler de sujets précis, ancrés dans la réalité des gens, suggère le spécialiste du cerveau humain. «Si l’argument c’est : “La calotte glaciaire est en train de fondre”, c’est certes factuel, mais on n’habite pas là-bas.» En revanche, pour intéresser votre interlocuteur·ice sur un sujet lié à l’écologie, vous pouvez parler de «votre voisin apiculteur, qui voit sa production de miel être divisée par deux, et que vous avez rencontré ce matin sur la place du marché», suggère Albert Moukheiber.

L’essentiel est de rester à l’écoute. Le bénéfice est double : on montre à la personne que l’on souhaite avoir une discussion saine, et cela nous permet de comprendre ce qui la touche. Cela va servir pour la suite de la conversation.

Trouver des valeurs communes, des choses qui rapprochent

«C’est très compliqué de changer les valeurs de quelqu’un, reprend la docteure en sciences cognitives Mélusine Boon-Falleur. L’objectif est donc de comprendre quelles sont les valeurs importantes pour cette personne et d’adapter son discours pour lui montrer où nos valeurs sont compatibles.»

Par exemple, des personnes attachées aux traditions et au patrimoine français peuvent être sensibles à la disparition de paysages ou d’un territoire adoré. D’autres, plus préoccupées par la sécurité, peuvent être réceptives aux sujets de sécurité sanitaire, comme la contamination de l’eau du robinet ou les inondations à répétition sur certains territoires.

Trouver des valeurs communes, c’est exactement ce qu’a fait Marie Pochon, députée écologiste réélue dans la troisième circonscription de la Drôme aux élections législatives de 2024, malgré la percée du Rassemblement national. «Il y a plein de gens qui sont écolos dans la Drôme, mais qui ne s’en revendiqueront jamais parce qu’ils voient l’écologie comme un truc ignoble, explique-t-elle. Il y a d’autres choses auxquelles ils peuvent se rattacher : le fait que je sois Drômoise, fille d’agriculteur et le travail que je fournis. Même si l’on n’est pas d’accord, ils ne peuvent pas remettre en question le fait que je travaille dur et que je prends ce mandat au sérieux.»

Marie Pochon, députée écologiste de la Drôme. © Julien de Rosa/AFP

Elle raconte que certain·es électeur·ices lui ont confié avoir déposé un bulletin Jordan Bardella (Rassemblement national) ou Marion Maréchal (Reconquête) aux élections européennes de juin 2024, avant de voter pour elle, vingt jours plus tard, aux législatives anticipées. «Cela m’étonne toujours, mais les gens m’ont dit :Toi, tu es différente, tu bosses dur, on peut te parler directement», raconte la députée écologiste.

Instiller le doute sur le projet du Rassemblement national

Vous ne convaincrez personne en l’espace d’une discussion. L’idée est de reproduire ce genre de conversations à mesure que l’on se rapproche du vote. Dans son livre Militer à tout prix ? (éditions Hors d’atteinte, février 2025), la militante Sarah Durieux explore la meilleure manière de convaincre du point de vue de la linguistique cognitive. Elle explique à Vert essayer «de créer du doute dans le fait que le RN soit la bonne solution» pour régler les problèmes des gens.

Elle prend notamment l’exemple de l’extrême droite aux États-Unis, où un quart des électeur·ices de Donald Trump regrettaient leur vote trois mois après son entrée en fonction. Elle aborde toujours le sujet sous la forme de questions : «Tu as vu ce qu’a fait Trump ? Ça ne t’inquiète pas ?».

«Je pense qu’il est important de comprendre que, pour convaincre des gens, il faut plutôt créer du doute chez eux, plutôt que d’apporter des réponses», estime Sarah Durieux. Elle préfère donc demander : «Toi, ça ne t’inquiète pas l’arrivée du RN par rapport à notre capacité à vivre libre, à manifester ?» À l’inverse, elle évite de dire : «Attention, le RN est une menace pour la démocratie.»

Ne vous mettez pas la pression et conservez la relation

Convaincre vos proches de renoncer au vote RN est possible sur le long terme, mais ce n’est pas votre seule responsabilité, nuance Albert Moukheiber. Le vote RN s’explique par une multitude de causes. Le parti bénéficie de relais puissants comme le réseau social Tiktok – où son président Jordan Bardella cumule plus de 2,3 millions de abonné·es –, ou les médias du milliardaire Vincent Bolloré.

Albert Moukheiber, neuroscientifique et psychologue. © Yann Castanier/Vert

«La meilleure chose à faire, si vous êtes étiqueté comme l’islamo-gauchiste de la famille, ou le relou qui prend la tête à tout le monde avec la politique, c’est de passer un bon moment, estime le neuroscientifique. C’est beaucoup plus productif dans le sens où, à terme, si vous avez une discussion sur le sujet, au moins, vous serez vu comme une personne avec qui on a envie de parler.»

Mélusine Boon-Falleur rappelle que, pour convaincre quelqu’un, le messager compte autant que le contenu du message. Par exemple, les écologistes sont souvent peu audibles des agriculteur·ices qui les perçoivent comme des Parisien·nes hors-sol. Pour la chercheuse, il y a deux remèdes à cela : «Soit on trouve un autre messager, qui jouit d’un plus grand capital de confiance auprès de la personne, soit on met en avant chez soi des aspects qui vont augmenter ce capital de confiance.»

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