Depuis le 1er juin, l’accès aux trains régionaux et aux transports en commun allemands bénéficie d’un forfait unique et illimité de neuf euros par mois. Cette mesure, qui prendra fin le 31 août, entend lutter contre la crise énergétique et l’inflation. Est-ce un bon remède ? Pourrait-on faire de même en France et comment ?
Un « ticket climat », kezaco ?
Décidé dans un contexte de lutte contre l’inflation (+7,9 % en un an) et de changement climatique, ce forfait unique a été instauré par Berlin en parallèle de la baisse de la taxe sur les carburants, afin de soutenir le pouvoir d’achat des Allemand·es sans voiture. Outre-Rhin, 53 % des plus pauvres ne possèdent pas de voiture, contre 8 % des plus riches, d’après un rapport publié en 2021 par l’Agence fédérale pour la formation civique (BPB).
À la veille du lancement, sept millions de tickets spéciaux étaient déjà vendus, d’après l’Association des entreprises de transport allemandes (VDV). Celle-ci estime qu’environ 30 millions de personnes seront amenées à l’utiliser tous les mois. « Notre souhait est non seulement de gagner de nombreux nouveaux clients et de les conserver, mais aussi de rendre les transports publics attrayants à long terme », a déclaré la sénatrice de Brême et présidente de la conférence des ministres des Transports (VMK), Maike Schaefer (Verts).
Financée à hauteur de 2,5 milliards d’euros par l’État fédéral, cette mesure a été tellement discutée qu’elle est devenue emblématique, dans le débat public allemand, des questions soulevées par les économies d’énergie. « Le pass mensuel pour les transports à Munich coûte 60€ par mois donc c’est une vraie aubaine ! », témoigne Emma, jeune expatriée Française, heureuse d’avoir accès, à ce prix, aux lacs et montagnes bavaroises. Pour Anne, journaliste à la Deutsche Welle, le ticket est très vite amorti et la mesure est vraiment avantageuse, même pour les longues distances : « à Cologne, le moindre déplacement coûte rapidement trois euros, donc le calcul est vite fait, d’autant que les réseaux régionaux sont bien développés ».
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Pourquoi ça fait débat ?
La mise en place du ticket climat a largement dominé le débat public de ces dernières semaines. D’ici à 2030, le gouvernement allemand souhaite voir circuler deux fois plus de passagers et un quart des marchandises en train. Si le signal envoyé par cette baisse des prix est significatif, beaucoup interrogent la fiabilité de l’infrastructure ferroviaire : « la Deutsche Bahn n’a pas investi dans le réseau ferré depuis une trentaine d’années, ce qui vaut des retards structurels sur le réseau à grande échelle, avec des lignes qui sont plus que jamais surchargées. L’Allemagne doit, dans les prochaines années, investir des dizaines de milliards pour améliorer et entretenir son réseau », commente ainsi Alain Jund, Vice-président de l’Eurometropole de Strasbourg en charge des mobilités, sur Facebook. D’autres s’inquiètent des effets d’aubaine pour les touristes et du trou généré dans les finances publiques, sans effet garanti sur le comportement des automobilistes.
Richard Lutz, le directeur de la compagnie publique Deutsche Bahn (DB) qui gère le réseau, a reconnu qu’il serait difficile de moderniser les lignes tout en augmentant le trafic. Bien conscient des dysfonctionnements actuels et de l’état alarmant des infrastructures (en avril, moins de 70 % des trains circulant sur les grandes lignes de la DB ont été ponctuels), il estime que cette situation ne devrait pas se résorber avant 2030.

Ce qu’il faut retenir
S’il est trop tôt pour juger des effets de la mesure, rappelons que d’autres pays ont instauré des dispositifs similaires. En Suisse, il existe historiquement un passe-partout, aussi appelé « abonnement général », qui permet de voyager sur l’ensemble des transports publics à un coût annuel de 3 700 euros en seconde classe et de 6 100 euros en première.
En Autriche, depuis la fin octobre 2021, il est possible de souscrire au Klimaticket, un abonnement annuel de 1 095 euros (soit trois euros par jour). Introduit dans le cadre d’une stratégie qui vise la neutralité carbone (pour ne pas émettre plus de gaz à effet de serre que l’on peut en absorber à partir de 2050) et la réduction de 16 % de l’usage de la voiture individuelle d’ici à 2040, la mesure a été accompagnée d’annonces d’investissement : plus de 18,2 milliards d’euros entre 2022 et 2027 pour le réseau ferroviaire, 240 millions d’euros pour compenser initialement les réseaux publics et privés de transports en commun, et 150 millions d’euros supplémentaires par année de reconduction.
En France, pourrions-nous envisager une telle mesure ?
Pour Vanessa Delevoye, de l’Observatoire des villes du transport gratuit (initié par l’agence d’urbanisme de Dunkerque), cela devrait être une priorité nationale. La France n’est pas en reste, toutefois, puisque « pas moins de 38 communes françaises ont mis en place la gratuité des transports, ce qui est encore plus ambitieux », souligne-t-elle. « À la différence d’une tarification sociale, la gratuité génère un choc psychologique redoutablement efficace pour changer les comportements : à Dunkerque par exemple, depuis la mise en place des transports gratuits fin 2018, l’utilisation a augmenté de 100 % ». Or, d’après les conclusions d’un rapport sénatorial réalisé en 2019, la gratuité totale ne s’envisage que lorsque la demande est inférieure à l’offre de transport : sa capacité à changer la société dépend du projet global dans lequel elle s’inscrit.
Une vision à laquelle adhère Neil Makaroff, responsable Europe au Réseau action climat (RAC), pour qui ce n’est pas tant la gratuité que la densité du réseau qu’il faut privilégier. « L’idée de « ticket climat » est récente et utile pour réduire collectivement les émissions de gaz à effet de serre et garantir à tous la possibilité de se déplacer », rappelle-t-il. « Seuls 16 % des trajets domicile-travail sont réalisés par les transports en commun, 8 % par la marche et le vélo, et la voiture domine tous les usages sur toutes les distances. Si le prix fait souvent la différence sur certains trajets de plus de 300 km, il devient urgent d’inverser la vapeur, d’autant que la stratégie nationale bas-carbone a fixé comme objectif d’augmenter de près de 80 % le nombre de passagers prenant le train d’ici à 2050 ». Mais une telle mesure ne peut fonctionner que « si l’on bénéficie d’un réseau de transport public dense, régulier, viable, qui dessert les petites communes – comme cela existe en Autriche, un peu en Allemagne, et aussi un peu en Italie », alerte le spécialiste. Or, le RAC estime qu’il manque chaque année au moins 3 milliards d’euros d’investissements rien que dans le réseau ferroviaire pour régénérer les petites lignes, moderniser les gares, ou encore pour créer de nouveaux services comme des RER métropolitains reliant des zones périurbaines aux centres-villes avec des trains et bus fiables, réguliers, rapides, confortables et surtout peu chers.

D’après l’observatoire de la mobilité, 18 millions de personnes (27 % des Français•ses) sont aujourd’hui privées d’accès à un réseau de transports publics.

Lorsqu’on leur demande les raisons de l’utilisation des transports publics, près de la moitié des Français·es évoque leur praticité, par exemple le fait d’éviter les embouteillages ou les problèmes de stationnement. Un quart répond qu’il ne peut pas faire autrement et 15 % que c’est une solution plus économique.
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