Reportage

«Ramdam» contre l’A69 : manifestation festive, camions brûlés et ZAD avortée

Plusieurs milliers de participant·es ont répondu à l’appel des organisations en lutte contre le projet d’autoroute Toulouse-Castres. Un weekend festif et coloré au cours duquel une nouvelle ZAD a brièvement vu le jour, avant son évacuation brutale par les forces de l’ordre. Vert y était.
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Il est un peu plus de 9h30 ce same­di, lorsque la voiture de Corinne dépasse les pre­miers four­gons de gen­darmes et de policiers sta­tion­nés sur la route de Toulouse, à la sor­tie Est de Cas­tres. Ils sont 1 600 à avoir été mobil­isés pour encadr­er la deux­ième édi­tion de «Ram­dam sur le macadam» (notre réc­it de la pre­mière édi­tion) mais le fil­trage des participant·es n’a pas encore repris. La veille, des con­trôles ser­rés ont embouteil­lé l’accès au camp, instal­lé au lieu-dit La Cré­made, sur un ter­rain privé de neuf hectares.

Corinne est une habituée des lieux. Déjà 20 ans qu’elle passe ici quo­ti­di­en­nement pour se ren­dre à Toulouse où elle est récep­tion­niste de nuit dans un hôtel. Le tra­jet d’environ 70 kilo­mètres dure à peine plus d’une heure. «On est très bien avec la nationale, pas besoin d’une autoroute en par­al­lèle», assure-t-elle. Au print­emps, le pro­jet d’A69 a reçu le feu vert de la pré­fec­ture.

Selon Atosca, le por­teur de pro­jet, seuls 220 arbres d’alignement ont été abat­tus, mais plus de 1 000 seraient con­cernés, selon les opposants, qui comptent aus­si les arbres isolés et plus de cinq hectares de bois. © Anne-Claire Poirier/Vert

Depuis, elle assiste, agacée, au déploiement des machines, qui s’activent ici et là dans les champs bor­dant la RN126. Elle avait pris l’habitude de klax­on­ner les «écureuils» du Groupe nation­al de sur­veil­lance des arbres (GNSA), qui s’étaient instal­lés dans des pla­tanes d’alignement. Mais les 200 arbres, pour cer­tains cen­te­naires, ont été abat­tus il y a quelques jours.

«Quelque chose de massif, populaire dans le dialogue et la couleur»

À 10h30, les fes­tiv­ités sont offi­cielle­ment lancées sur le camp. Plusieurs mil­liers de bénév­oles ont répon­du à l’appel du GNSA, de la Con­fédéra­tion paysanne, des Soulève­ments de la Terre et du col­lec­tif La voie est libre (LVEL) pour pré­par­er ce week-end. Certain·es fig­no­lent leurs ban­deroles pen­dant que les organisateur·rices pren­nent la parole à tour de rôle, perché·es sur la remorque d’un tracteur.

«On a envie de faire quelque chose de mas­sif, pop­u­laire dans le dia­logue et la couleur», explique Éti­enne Fau­teux, mem­bre d’Extinction Rebel­lion à Toulouse, «même si la Pré­fec­ture ne nous a pas facil­ité pas la tâche ces derniers jours». L’accès au camp a été lim­ité pen­dant les pré­parat­ifs et le tra­jet de la man­i­fes­ta­tion âpre­ment négo­cié pour éviter les zones de chantier. «Ils nous ont empris­on­né», peste une man­i­fes­tante.

Un peu à l’écart de la foule, Marie-Chris­tine et sa sœur Véronique sont venues apporter leur sou­tien moral aux plus jeunes : «Moi, j’ai 70 ans. Ma vie est faite, mais si cette autoroute est con­stru­ite, ce sont les jeunes qui vont en sup­port­er les con­séquences», argue-t-elle. Comme beau­coup d’autres, les deux femmes voient cette autoroute comme la clé de voûte d’un mod­èle insouten­able et «qui pour­rit la vie des gens» : un McDo à chaque bretelle, des entre­pôts logis­tiques et la pour­suite de l’artificialisation au nom du tout-voiture. «Je com­prends la colère des jeunes, tonne Véronique. Tout s’accélère et il n’y a plus de moyens pour être écoutés. Même leurs grèves de la faim n’ont servi à rien».

À la mi-journée, la foule gran­dis­sante atteint plus de 10 000 par­tic­i­pants selon les organ­isa­teurs — seule­ment 4900 selon la Pré­fec­ture du Tarn (dont 2500 “indi­vidus vio­lents”). © Anne-Claire Poirier/Vert

À la mi-journée, la foule gran­dis­sante atteint plus de 10 000 par­tic­i­pants selon les par­tic­i­pants — mais seule­ment 4900 selon la Pré­fec­ture. Sur la plaine trans­for­mée en joyeux champ de bataille, de grands dra­peaux col­orés sig­na­lent pas moins de six cortèges dif­férents. Les verts seront guidés par des nat­u­ral­istes pour une vis­ite sur le thème de la «com­pen­sa­tion envi­ron­nemen­tale», tant décriée : l’autoroute doit tra­vers­er une zone Natu­ra 2000 et trois zones naturelles d’intérêt écologique, fau­nis­tique et floris­tique. Dans son arrêté d’autorisation envi­ron­nemen­tale du pro­jet, la pré­fec­ture prévoit d’ailleurs une déro­ga­tion à la pro­tec­tion de 162 espèces ani­males et végé­tales.

Les rouges («économie locale») et les ors («util­ité publique») par­tent direc­tion le sud. On appren­dra plus tard que les pre­miers ont investi la cimenterie Caray­on, prestataire du chantier de l’A69, où trois camions-toupie ont pris feu. Dans son com­mu­niqué de fin de journée, la pré­fec­ture du Tarn a fustigé «2 500 indi­vidus vio­lents» détachés du cortège. Selon ses mêmes cal­culs, ces dan­gereux mar­gin­aux étaient donc plus nom­breux qu’à la man­i­fes­ta­tion autorisé…

Dans le cortège bleu, dédié au «désen­clave­ment», les paysans ouvrent la marche. 80 d’entre eux, riverains du tracé, ont déjà subi des expro­pri­a­tions, des cen­taines sont affec­tés à des degrés divers par le pro­jet. Au total, 366 hectares de ter­res agri­coles doivent être arti­fi­cial­isées. «Même quand on n’est pas con­cernés, ça nous touche», témoigne Christophe, agricul­teur bio dans la com­mune d’Appelle, dont il est aus­si le maire.

Les enfants agricul­teurs de Colette, Michel et Nel­ly seront peut-être impactés par le pro­jet d’A69. “C’est démoral­isant, il y a telle­ment de choses qu’Atosca ne nous dit pas”, déplorent-ils.

6 habitant·es sur 10 favorables à l’abandon du projet

«On fait des efforts pour être plus respectueux de l’environnement et le gou­verne­ment donne son go pour engloutir tout ça !», se désole-t-il au volant de son tracteur. A l’évocation des élus qui promet­tent de «désen­claver» Cas­tres, il s’étouffe : «C’est surtout une énorme injus­tice pour les ter­ri­toires où la vie et les mobil­ités vont être dégradées». Le pro­jet d’autoroute prévoit en effet d’absorber cer­tains tronçons de la RN126, de sorte que le traf­ic local sera reporté vers des routes plus petites et tra­ver­sant les vil­lages.

«Le développe­ment économique qu’ils nous vendent, c’est celui dont on ne veut plus : des cités-dor­toirs aux sor­ties d’autoroute, de la pol­lu­tion et des jobs à la con chez Ama­zon», insiste Christophe. «Pen­dant dix ans, on a pro­posé des alter­na­tives et on n’a jamais été écoutés. Si on avait été mieux con­sultés, on n’en serait pas là aujourd’hui». Selon un récent sondage IFOP réal­isé par Agir pour l’environnement et La voie est libre, 82% des habitant·es du Tarn et de Haute-Garonne sont favor­ables à l’organisation d’un référen­dum local sur le pro­jet et 61% penchent pour un aban­don du pro­jet.

L’éphémère CremZAD a été bru­tale­ment évac­uée par les forces de l’ordre dimanche après-midi. © Anne-Claire Poirier/Vert

Une ZAD avortée

Plus loin dans le cortège, plusieurs chercheurs de l’Atécopol (l’Ate­lier d’é­colo­gie poli­tique de Toulouse — une unité d’appui du CNRS) rumi­nent encore leur ren­con­tre avec Car­ole Del­ga, prési­dente de la région Occ­i­tanie favor­able au pro­jet, le 11 octo­bre. «On lui a rap­pelé le con­texte qui est celui de l’urgence écologique. Elle a répon­du qu’elle n’était pas con­va­in­cue. On était atter­rés», com­mente Lau­re. «Les trans­ports représen­tent 43 % des émis­sions de gaz à effet de serre en Occ­i­tanie — con­tre 31 % au niveau nation­al — et l’artificialisation y pro­gresse plus vite qu’ailleurs, mais les élus sont dans le déni de grav­ité», con­firme Jean-Michel. Pour­tant, «le fait qu’il y ait un fort engage­ment des sci­en­tifiques a sec­oué les gens à la Région», assure-t-il, esti­mant que «le rap­port de force est en train de chang­er».

De retour sur le camp en fin d’après-midi, les manifestant·es décou­vrent que le hameau voisin récem­ment expro­prié a été investi et trans­for­mé en chantier par­tic­i­patif sous la houlette du batail­lon vio­let dédié à la «val­ori­sa­tion du ter­ri­toire». Le fumi­er odor­ant épan­du aux abor­ds des maisons par Atosca, con­ces­sion­naire de l’A69, n’a pas découragé les manifestant·es. Une ZAD est offi­cielle­ment proclamée en fin de journée. «C’est d’ici que nous pour­suiv­rons la lutte con­tre l’A69», explique un bricoleur masqué à la foule réu­nie pour un débrief de fin de journée.

Dimanche, en début d’après-midi, les forces de l’ordre ont délogé les opposant·es à l’A69 qui ten­taient d’établir une Zone à défendre (ZAD). © Valen­tine Chapuis/AFP

Mais après une soirée fes­tive, le dimanche qui devait être con­sacré à des con­férences a finale­ment été mar­quée par l’évacuation bru­tale de la ZAD par les forces de l’ordre. Les tirs de bombes lacry­mogène ont provo­qué plusieurs départ de feux et les organ­isa­teurs déplorent 30 blessés légers dont le fon­da­teur du GNSA, Thomas Brail.

Pho­to d’il­lus­tra­tion : Patrick Batard / Hans Lucas via AFP