Reportage

Après Sainte-Soline, mobilisation festive contre une autoroute A69 «anachronique» entre Toulouse et Castres

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No Macadam. Ce same­di, des mil­liers de per­son­nes, dont le cli­ma­to­logue toulou­sain Christophe Cas­sou, se sont mobil­isées de manière paci­fique con­tre le pro­jet d’autoroute A69. Reportage.

«A69 droit dans le mur», scan­dent les manifestant·es, tru­elle à la main, mélangeant l’eau et le ciment qui leur aura servi à ériger un mur en tra­vers la route nationale qui relie Cas­tres (Tarn) à Toulouse (Haute-Garonne).

Elles et ils sont 8 200 selon les organ­isa­teurs et 4 500 selon la pré­fec­ture à s’être mobilisé·es ce same­di con­tre le pro­jet d’autoroute A69, qui relierait Cas­tres à Toulouse, en par­al­lèle de la nationale exis­tante. Vieux d’une trentaine d’années et cen­sé «désen­claver» le Tarn du sud, ce pro­jet a reçu le feu vert de la pré­fec­ture le 3 mars dernier et les travaux, menés par le con­ces­sion­naire Atosca, ont alors immé­di­ate­ment débuté.

Les manifestant·es répondaient à l’appel de l’association locale La voie est libre, du syn­di­cat agri­cole de la Con­fédéra­tion paysanne, et des mou­ve­ments Extinc­tion rebel­lion Toulouse et les Soulève­ments de la Terre. Leur objec­tif : «faire masse pour prou­ver que beau­coup de gens sou­ti­en­nent la lutte», explique Michel, 78 ans, retraité agri­cole et mem­bre de La voie est libre.

Un projet «hyper ringard»

Quelques heures plus tôt, dans la mat­inée, les bénév­oles attendaient les participant·es de pied ferme à Saïx, petite com­mune du Tarn où est établi un campe­ment sur un ter­rain privé. Leurs chapiteaux, sous lesquels se suc­cè­dent les pris­es de parole, ne désem­plis­saient pas. «Une autoroute, ça ne sert pas aller plus vite, mais à aller plus loin», explique encore Michel qui revêt son tee-shirt «camp­ing des pla­tanes» ; celui-ci sert de base arrière à la mobil­i­sa­tion depuis plusieurs semaines. C’est aus­si l’endroit où Thomas Brail, le fon­da­teur du Groupe nation­al de sur­veil­lance des arbres (GNSA), vit per­ché depuis le 21 mars pour éviter l’abattage de pla­tanes bicen­te­naires. Auprès de Vert, celui-ci insiste sur la dimen­sion fes­tive de la mobil­i­sa­tion, avec ce mot d’ordre : «amour, planète et bonne humeur». Il célèbre «l’éveil des citoyens face à un pro­jet hors sol».

Fig­ure de la lutte con­tre les «mégabassines» dans le Marais Poitevin, Julien le Guet a aus­si fait le déplace­ment. «C’est incon­tourn­able de se mobilis­er et d’être sol­idaires face à des logiques nationales dom­mage­ables pour le vivant, l’eau et les com­muns», explique-t-il. Il salue aus­si la dimen­sion fes­tive et «la place réservée au soin, l’écoute, les pris­es de parole, l’accueil des médias».

A la tri­bune, les représentant·es des col­lec­tifs effeuil­lent les raisons de leur colère : arti­fi­cial­i­sa­tion de 400 hectares de ter­res agri­coles fer­tiles (qui «pro­duisent jusqu’à 100 quin­taux de blé par an», s’exclame un paysan), destruc­tion d’habitats naturels, mod­èle de développe­ment ter­ri­to­r­i­al archaïque basé sur la voiture. Un «pro­jet hyper ringard soutenu par des élus ringards», tranche l’un des représen­tants de La voie est libre. Qual­i­fié d’«anachronique» par l’autorité envi­ron­nemen­tale en octo­bre 2022 (pdf), le pro­jet a égale­ment recueil­li un avis défa­vor­able du Con­seil Nation­al de Pro­tec­tion de la Nature (CNPN). Ce dernier avait jugé que «ce dossier s’inscri[vai]t en con­tra­dic­tion avec les engage­ments nationaux en matière de lutte con­tre le change­ment cli­ma­tique, d’objectif du zéro arti­fi­cial­i­sa­tion nette et du zéro perte nette de bio­di­ver­sité, ain­si qu’en matière de pou­voir d’achat». Pour cause : pour réalis­er l’aller-retour, le péage coûterait env­i­ron 17 euros.

«Je suis là pour rap­pel­er les faits sci­en­tifiques, il faut pren­dre en compte la sit­u­a­tion cli­ma­tique grave et les effets qui s’intensifient, con­fie le cli­ma­to­logue toulou­sain Christophe Cas­sou, qui s’est longue­ment exprimé à Saïx. Les actions et les déci­sions pris­es ne doivent plus refléter de vieux réflex­es de développe­ment. Cette autoroute, c’est un pro­jet emblé­ma­tique des années 90». Il déplore «la crim­i­nal­i­sa­tion des activistes envi­ron­nemen­taux partout dans le monde, alors que le rap­port du Giec [dont Christophe Cas­sou est l’un des auteurs] dit bien que la désobéis­sance civile con­tribue à une prise de con­science plus vaste». Dans la foule, plusieurs député·es de la gauche, dont Manuel Bom­pard (LFI), Karen Ero­di (LFI) ou San­drine Rousseau (EELV). Inter­rogée par Vert, cette dernière s’ex­clame «il y a une urgence de pren­dre en compte les lim­ites de la planète» avant de fustiger la prési­dente de région social­iste Car­ole Del­ga qui sou­tient l’A69 : «il n’y a pas de région verte tant qu’il y a un pro­jet d’au­toroute».

Dans le cortège, les manifestant·es provi­en­nent surtout de la grande région. Certain·es seront directe­ment affecté·es par le pro­jet, comme Marie-Françoise Iti­er, 61 ans. Sa mai­son se situe à 63 mètres du tracé de l’au­toroute, sur le chemin de la mon­tagne noire à Cam­bounet-sur-le-Sor. Comme beau­coup d’autres, elle est venue mon­tr­er son oppo­si­tion déter­minée et dénon­cer les impacts envi­ron­nemen­taux du pro­jet : «on a une bio­di­ver­sité incroy­able avec des couleu­vres, des lézards verts. Il y a des tru­ites dans le Berna­zo­bre [un petit ruis­seau], et des loutres qui n’ont pas été pris­es en compte dans l’en­quête». «Je voudrais qu’on arrête de tout béton­ner. Il faut arrêter la course au prof­it, l’homme qui cherche à tout domin­er, l’a­gri­cul­ture inten­sive», s’époumone Denis, 62 ans, en bran­dis­sant sa pan­car­te «Libérons la nature, béton­nons le cap­i­tal­isme». Lise, 48 ans, syn­di­cal­iste à Sol­idaires tique : «il y a de l’ar­gent pub­lic en jeu» — 23 mil­lions d’eu­ros de finance­ment pub­lic sur 389 mil­lions d’euros estimés d’in­vestisse­ments. Elle reste toute­fois pos­i­tive car «les Soulève­ments [de la Terre] sus­ci­tent de l’espoir ; ils fédèrent beau­coup de col­lec­tifs» et salue «un cortège éclec­tique de tous les âges, ça donne envie».

L’u­nion est le mot d’or­dre. Des représentant·es du col­lec­tif Dernière réno­va­tion qui a rejoint la lutte con­tre le pro­jet d’A69 et recou­vert l’Hô­tel de région de Toulouse de pein­ture orange mer­cre­di 19 avril, sont présent·es, comme Alice, 33 ans. Celle-ci explique : «on est là parce qu’on sera sol­idaire à chaque fois qu’il fau­dra s’opposer à un pro­jet anti­dé­moc­ra­tique. On s’est ren­du compte avec la mon­tée de la répres­sion et du 49–3 qu’on n’a­vancerait pas si on n’était pas unis», avant de s’adress­er au gou­verne­ment : «nous sommes la démoc­ra­tie qui vous barre la route».

Un rassemblement joyeux

Les organ­isa­teurs l’avaient annon­cé : la mobil­i­sa­tion se voulait «fes­tive et famil­iale» pour con­tre­car­rer la stratégie de «crim­i­nal­i­sa­tion» mise en œuvre, selon eux, par le min­istre de l’intérieur Gérald Dar­manin. Enten­du à l’Assemblée nationale le 5 avril, celui-ci avait cité l’autoroute A69, comme l’un des 42 endroits en France où «nous aurons des volon­tés d’in­staller des ZAD, des volon­tés de man­i­fes­ta­tions extrême­ment vio­lentes con­tre les forces de l’or­dre et con­tre les sym­bol­es de l’Etat». Dans le Tarn, les policiers et les gen­darmes se sont tenus à bonne dis­tance de la man­i­fes­ta­tion, déclarée cette fois-ci.

Des mil­liers de man­i­fes­tants assis­tent à une course de caiss­es à savon organ­isée sur la route nationale © Lionel Bonaventure/AFP

Éviter à tout prix de revivre Sainte-Soline, alors que Serge Duteuil-Graziani, griève­ment blessé le 25 mars, est tou­jours dans le coma. Le Tarn est aus­si mar­qué par le décès de l’écologiste Rémi Fraisse, tué en 2014 au cours de la lutte con­tre le bar­rage de Sivens — le pro­jet avait été aban­don­né l’année suiv­ante. Olivi­er, 44 ans, enseignant-chercheur à Toulouse est venu avec ses deux enfants : «J’étais à Sainte-Soline et j’ai pen­sé qu’il fal­lait chang­er de posi­tion­nement. Le mou­ve­ment arrivait avec une inten­sion dif­férente ici, on voulait sor­tir de la cul­ture de la peur», dit-il. Der­rière lui, une femme porte un bébé dans le dos.

Caisses à savon et jets de bananes

Cirque, con­certs et «gags» ; mal­gré la gri­saille et la pluie, la journée du same­di a été égayée par la bonne humeur. En point d’orgue : la course de caiss­es à savon col­orées, qui se sont élancées sur la nationale, entachée de peaux de bananes lancées par les manifestant·es. Dénom­mée «Qui va gag­n­er 12 min­utes?», elle visait à dénon­cer le gain de temps sup­posé, de 35 min­utes selon le con­ces­sion­naire autorouti­er, et entre 12 et 15 min­utes selon les col­lec­tifs locaux. Le gag­nant devait rem­porter 17 euros, soit le prix du péage. La voie est libre revendique d’ailleurs un esprit espiè­gle : «on tourne tout en déri­sion, sourit Michel. Quand ils ont bouché les nids de chauve-souris pour abat­tre les arbres, on s’est déguisés en chauve-souris». Quelques dizaines de man­i­fes­tants, qui avaient placé des parpaings sur le par­cours, ont érigé un mur en tra­vers de la route nationale. Mur dans lequel nous iri­ons tout droit avec un tel pro­jet.

Une démon­stra­tion de force achevée dans le calme, qui pour­rait bien con­tribuer à faire reculer le pro­jet. Selon les infor­ma­tions de Medi­a­part, le min­istère des trans­ports serait actuelle­ment en train de réex­am­in­er le pro­jet. Afin de sor­tir l’au­toroute de l’im­passe ?