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L’État français est condamné pour son inaction contre l’effondrement de la biodiversité dans un jugement «historique»

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Au phy­to que pos­si­ble. L’État français a été con­damné à répar­er le préju­dice écologique causé par l’insuffisante éval­u­a­tion des risques des pes­ti­cides dans un juge­ment ren­du jeu­di par le tri­bunal admin­is­tratif de Paris.

Après sa dou­ble con­damna­tion pour inac­tion cli­ma­tique, c’est pour son rôle dans l’effondrement du vivant que l’État français est désor­mais sanc­tion­né par la jus­tice. «Vic­toire pour le vivant !», se réjouis­sent les asso­ci­a­tions du col­lec­tif Jus­tice pour le vivant, à l’origine du procès, qui se sont réu­nies à prox­im­ité du tri­bunal admin­is­tratif de Paris ce jeu­di après-midi. «Cette journée mar­que un tour­nant his­torique dans la lutte con­tre l’effondrement du vivant en France», s’enthousiasme Nico­las Laar­man, délégué général de l’association Polli­nis. «Elle mon­tre qu’il est pos­si­ble de trans­met­tre à la généra­tion future un monde qui ne sera pas silen­cieux, mais foi­son­nant et riche de bio­di­ver­sité.»

En jan­vi­er 2022, cinq asso­ci­a­tions (Notre affaire à tous, Polli­nis, Bio­di­ver­sité sous nos pieds, Aspas et Anper-Tos) avaient attaqué l’État pour des défail­lances dans le proces­sus d’homologation des pes­ti­cides, afin de faire recon­naître son rôle dans le déclin général­isé du vivant (notre arti­cle). Elles dénonçaient notam­ment l’insuffisante prise en compte des risques que posent les pes­ti­cides sur les sols et les eaux lors de ce proces­sus. À la sur­prise des organ­i­sa­tions requérantes, l’État avait été soutenu par le syn­di­cat pro­fes­sion­nel Phyteis (lob­by des fab­ri­cants de pes­ti­cides), qui est inter­venu en sa faveur au cours du procès, qui s’est tenu début juin (Vert y était). L’État était par ailleurs absent lors de cette audi­ence.

Dans le juge­ment ren­du jeu­di, le tri­bunal enjoint au gou­verne­ment de «pren­dre toutes les mesures utiles» pour «répar­er le préju­dice écologique et prévenir l’aggravation des dom­mages» sur le vivant. Il réclame à l’État de ren­forcer les efforts de diminu­tion de l’utilisation de pro­duits phy­tosan­i­taires, en cohérence avec les plans Eco­phy­to. Cen­sées divis­er par deux l’usage de pes­ti­cides, les deux pre­mières ver­sions des plans Eco­phy­to ont été des échecs (Vert). Enfin, le tri­bunal ordonne au gou­verne­ment de restau­r­er et pro­téger les eaux souter­raines con­tre les inci­dences des pes­ti­cides. La répa­ra­tion de ces préju­dices devra être effec­tive «au plus tard» au 30 juin 2024.

Réu­nies devant le tri­bunal admin­is­tratif de Paris, les asso­ci­a­tions célèbrent leur vic­toire dans ce recours his­torique. © Jus­tine Pra­dos / Vert

C’est une grande avancée pour les asso­ci­a­tions requérantes, qui se sont inspirées de précé­dents recours, dont l’Affaire du siè­cle, à l’origine de la con­damna­tion de l’État français pour inac­tion cli­ma­tique (Vert). Elles espèrent ouvrir une brèche juridique sur les ques­tions de bio­di­ver­sité, sou­vent lais­sées pour compte lorsque l’on par­le de la crise écologique. «Les vers de terre cités dans une déci­sion, ça doit être une pre­mière mon­di­ale», s’amuse Dori­an Guinard, doc­teur en droit pub­lic et mem­bre de l’association Bio­di­ver­sité sous nos pieds.

Il y a tout de même une ombre au tableau pour les asso­ci­a­tions. Le tri­bunal a, certes, recon­nu des liens entre les lacunes des proces­sus d’évaluation et de mise sur le marché des pes­ti­cides et le déclin de la bio­di­ver­sité qui résulte de leur usage. Il a égale­ment recon­nu la respon­s­abil­ité de l’État dans ces failles. Mais, con­traire­ment aux pré­con­i­sa­tions de la rap­por­teure publique, le juge­ment n’ordonne pas à l’État de revoir ces modal­ités : le tri­bunal estime que l’on ne peut pas établir avec cer­ti­tude qu’un change­ment de méthodolo­gie «aurait pour effet de mod­i­fi­er sig­ni­fica­tive­ment la nature ou le nom­bre des pro­duits phy­tophar­ma­ceu­tiques mis sur le marché». Ce qui laisse «une marge de manœu­vre dan­gereuse aux min­istères et aux par­lemen­taires sur la manière de respecter les deman­des du tri­bunal», estime Jus­tine Ripoll, respon­s­able de cam­pagne pour Notre affaire à tous.

Sur ce point, les asso­ci­a­tions ont d’ores et déjà annon­cé leur inten­tion de faire appel auprès de la Cour admin­is­tra­tive d’appel de Paris. Elles prévoient égale­ment de lancer un nou­veau recours devant le Con­seil d’État, pour obtenir de l’État qu’il soit con­traint de revoir ces méth­odes d’évaluation. Ce qui reste, pour les asso­ci­a­tions, la meilleure solu­tion pour enray­er le déclin du vivant.