Eau secours. Dans son dernier rapport, paru jeudi 6 avril, l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) révèle une vaste pollution de l’eau potable par plusieurs substances chimiques interdites.
Dans sa dernière campagne de surveillance de l’eau destinée à mesurer la présence de composés chimiques peu analysés dans le cadre de contrôles réguliers, l’Anses a mené 136 000 prélèvements partout en France à la recherche de plus de 150 pesticides et métabolites de pesticides. Ces derniers sont des composants dérivés de la dégradation des produits chimiques dans les écosystèmes (eau, air, sols). Sur les 157 pesticides et métabolites, 89 d’entre eux ont été détectés au moins une fois dans les eaux brutes et 77 fois dans les eaux traitées, détaille l’Anses.
Les métabolites du chlorothalonil (le «R471811») représentent le cas le plus emblématique mis au jour par l’agence sanitaire. Ce fongicide, commercialisé depuis les années 1970 par l’entreprise Syngenta, a été interdit en 2019 car qualifié de «cancérigène supposé». C’est le métabolite de pesticide le plus fréquemment retrouvé par l’Anses, dans plus d’un prélèvement sur deux (57%), et il entraîne un dépassement des niveaux de qualité réglementaires dans plus d’un prélèvement sur trois (34%).
Les analyses mettent également en évidence la présence du métolachlore ESA, relevé dans plus de la moitié des échantillons mais dont seuls 2% des prélèvements dépassent les niveaux réglementaires. Ce composant est issu du S-métolachlore, un herbicide agricole très utilisé dans les cultures de maïs. En février, l’Anses a décidé d’engager le processus d’interdiction de la vente de ce pesticide, suspecté d’être cancérigène et perturbateur endocrinien par l’Agence européenne des produits chimiques (Echa). En visite au congrès du syndicat agricole de la FNSEA jeudi 30 mars, le ministre de l’agriculture Marc Fesneau avait annoncé sa volonté de revenir sur l’interdiction du S-métolachlore, au nom de la «souveraineté alimentaire».
Enfin, des résidus d’explosifs ont été repérés dans moins de 10% des échantillons parmi les 54 composants recherchés. La contamination de l’eau par des résidus «est une conséquence des deux guerres mondiales du XXème siècle, et plus particulièrement de la première (1914-1918)», explique l’Anses. Les résidus retrouvés l’ont été principalement à proximité de sites d’armement datant de la première guerre mondiale ou d’activités industrielles d’armement.
Cette campagne de l’Anses, dont les résultats sont transmis aux Agences régionales de santé (ARS) et à la Direction générale de la santé, permettra d’affiner la surveillance des molécules chimiques dans les eaux de consommation. «Cette situation montre l’urgence de réduire fortement la dépendance de notre agriculture aux pesticides, en relançant Ecophyto au niveau national et en accélérant l’adoption du règlement européen SUR, qui prévoit une diminution de 50% de l’usage et du risque des pesticides en Europe ces dix prochaines années», réagit François Veillerette, porte-parole de l’ONG Générations futures, qui alerte fréquemment sur les pollutions générées par les produits chimiques.
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