Aussitôt dit, ô phytos faits ? Dans l’affaire «Justice pour le vivant», la rapporteure publique du tribunal administratif de Paris a reconnu le préjudice écologique causé par l’utilisation massive des pesticides en France et a désigné l’État comme l’un des principaux responsables.
C’est un sourire à peine caché qui barre le visage des militant·es à la sortie du tribunal administratif de Paris, ce jeudi 1er juin. Après avoir été condamné pour son inaction climatique dans le cadre de «l’Affaire du siècle» menée par quatre associations (Vert), l’État français pourrait bien l’être à nouveau, cette fois pour «carence fautive» à l’égard de la biodiversité. C’est en tout cas ce qu’a demandé aux juges la rapporteure publique, dont le rôle est d’analyser le conflit et de faire des recommandations. Ses conclusions sont inespérées pour les cinq ONG environnementales requérantes (Notre Affaire à Tous, Pollinis, l’Aspas, Biodiversité sous nos pieds et Anper-Tos), qui invoquent un procès «historique, vital et urgent». Les associations avaient attaqué l’État en janvier 2022 pour sa défaillance vis-à-vis de «procédures d’évaluation des risques et d’autorisation de mise sur le marché de pesticides», jugées «lacunaires».
Selon la rapporteure, l’État ne respecterait pas ses propres objectifs en matière de réduction de l’usage des pesticides sur son territoire, prescrits par ses plans «Ecophyto» successifs. «Ils ont pourtant une valeur contraignante», a-t-elle rappelé. D’après cette dernière, l’État n’aurait pas non plus tenu ses engagements en matière de pollution de l’eau par des pesticides ; «la quasi-totalité est maintenant contaminée», a-t-elle asséné.
La magistrate a également pointé l’incapacité de l’État à mettre en place des procédures d’évaluation de la toxicité des produits phytosanitaires qui protègent réellement la biodiversité. «Jusqu’alors, la ligne de défense de l’État consistait à rejeter la responsabilité de l’évaluation des risques des pesticides sur l’Union européenne», explique à Vert Elisabeth Laporte, de l’association Anper-Tos. Une argumentation que la magistrate a jugé insuffisante puisque l’État français, a-t-elle expliqué, peut tout à fait aller au-delà des recommandations européennes.
Le gouvernement pourrait notamment demander à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) d’appliquer plus systématiquement le principe de précaution avant de délivrer des autorisations de mise sur le marché, de réclamer des études et des données supplémentaires, ou encore d’édicter des conditions d’utilisation plus restrictives. Pour l’heure, la rapporteure a jugé que les études soumises par les industriels étaient encore trop incomplètes, la toxicité des produits étant testée sur trop peu d’espèces.

Pour toutes ces raisons, la magistrate a proposé aux juges de condamner l’État et de l’enjoindre à «mettre un terme à l’ensemble des manquements retenus et de prendre toute mesure utile de nature à réparer le préjudice écologique et prévenir l’aggravation des dommages» d’ici juin 2024. Elle a également réclamé que l’État verse un euro symbolique aux associations requérantes en réparation du préjudice moral qu’elles ont subi.
Aucun des ministères attaqués (transition écologique, agriculture, cohésion des territoires, etc.) n’était représenté à l’audience. La défense est revenue à l’avocat du lobby de l’industrie agro-chimique Phyteis (qui représente les plus grosses entreprises du secteur), lequel a donc indirectement plaidé en faveur du gouvernement français. Il a estimé que les études scientifiques avancées par la défense étaient «orientées» et qu’aucun «consensus scientifique» n’établissait un lien de causalité direct entre l’usage massif de pesticides et l’effondrement de la biodiversité. La rapporteure publique a pourtant montré l’exact inverse au cours de sa plaidoirie, citant pêle-mêle les études récentes de l’Inrae, de l’Ifremer, ou du ministère de la transition écologique lui-même.
Les associations sont confiantes car les recommandations des rapporteurs sont le plus souvent suivies par les juges. L’État, même condamné, ne sera cependant pas astreint à une obligation de résultats. «Il sera néanmoins soumis à une injonction à agir avant un an, au risque ensuite de s’exposer à des astreintes ou injonctions plus fortes» souligne Justine Ripoll, de Notre Affaire à Tous. Le jugement sera prononcé le 15 juin prochain.
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