Les marteaux des fossiles. Pour tourner rapidement le dos au gaz et au pétrole russes, les pays du globe pourraient être tentés par des solutions de court terme encore plus sales et compromettre leur nécessaire transition vers des sources faibles en carbone, alerte le secrétaire général de l’Organisation des nations unies (ONU), Antonio Guterres.
« Les retombées de la guerre de la Russie en Ukraine risquent de bouleverser les marchés mondiaux de l’alimentation et de l’énergie, avec des implications majeures pour l’agenda climatique mondial », a-t-il averti ce lundi lors d’une conférence organisée par le journal The Economist.

Inquiet de voir les pays réagir à l’agression de la Russie par une augmentation de leur recours aux combustibles fossiles, le secrétaire général de l’ONU a souligné le risque de mettre hors de portée les objectifs mondiaux sur le climat. « En cherchant à répondre immédiatement au déficit d’approvisionnement en hydrocarbures, les pays risquent de négliger les objectifs de baisse de leurs usages. C’est de la folie […] Si nous continuons comme ça, nous pouvons dire adieu à l’objectif de 1,5ºC [de réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle, sur lequel se sont mis d’accord la quasi-totalité des pays du globe dans le cadre de l’Accord de Paris, NDLR]. Celui de 2ºC pourrait aussi être hors d’atteinte ».
L’Europe, qui importe 40 % de son gaz depuis la Russie, a récemment annoncé son plan « REPowerEU » destiné à mettre fin à la dépendance au gaz russe avant 2030 (voir notre article). Si elle prévoit de développer les énergies renouvelables, à court terme, rien n’empêche les États membres d’avoir recours au gaz du Qatar, au pétrole d’Arabie Saoudite, voire d’envisager une augmentation de la production d’électricité à partir de charbon. Les États-Unis diversifient également leurs approvisionnements en pétrole (via le Venezuela et l’Iran) et pourraient augmenter leur production de gaz de schiste (lire notre entretien).
Pour António Guterres, cela ne ferait qu’entraîner de nouveaux problèmes. « Notre dépendance continue aux combustibles fossiles met l’économie mondiale et la sécurité énergétique à la merci des chocs et des crises géopolitiques », a-t-il déclaré. « Au lieu de freiner la décarbonation de l’économie mondiale, il est temps de mettre un coup d’accélérateur vers un avenir d’énergie renouvelable. »

Alors que les scientifiques du Giec finalisent la rédaction de leur rapport sur les solutions pour lutter contre le dérèglement climatique (prévu pour le 4 avril), le secrétaire général de l’ONU s’est fait l’écho des craintes des expert·es. Beaucoup redoutent de voir les progrès affichés lors du dernier sommet international sur le climat (COP26) se dissiper sous la pression de la flambée des prix de l’énergie. Afin d’espérer limiter la hausse des températures à 1,5 °C, les émissions mondiales doivent baisser de 45 % d’ici à 2030. Mais « le problème s’aggrave », a-t-il déclaré, rappelant que les catastrophes climatiques ont déjà « chassé de leurs maisons 30 millions de personnes – soit trois fois plus que le nombre de personnes déplacées par les conflits ».
D’après l’Agence internationale de l’énergie, les émissions annuelles de dioxyde de carbone provenant de l’énergie ont bondi de 6 % entre 2020 et 2021 pour atteindre leurs niveaux les plus élevés de l’Histoire (notre article). La « reprise verte » tant espérée après la crise ne s’est pas concrétisée.
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