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Face au racisme, le mouvement écologiste cherche des solutions : «La première chose, pour agir, c’est de sortir du déni»

Cet été, des cas de racisme au sein de sphères écologistes ont été révélés. Après avoir recueilli des témoignages et fait le constat d’un écosystème qui n’est pas épargné par les discriminations, Vert s’est demandé quelles solutions pouvaient être mises en pratique pour éviter ces agressions. Voici quelques pistes.
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«Enfin !» Le cri du cœur de Souba Manoharane-Brunel résume son état d’esprit lorsque Vert l’interroge sur les solutions à apporter aux mouvements écologistes pour lutter contre le racisme. Dans le petit local parisien de l’association qu’elle préside, Les Impactrices, l’activiste écoféministe a tant à dire sur le sujet qu’elle en devient inarrêtable.

Il faut dire qu’elle n’a de cesse de répéter qu’après les bilans, il faut passer à l’action : «Il faut aller au-delà du constat, on représente trop souvent les antiracistes dans une position de victimes en colère. Évidemment, cette colère est légitime, mais il faut voir plus loin. Ce sont ces personnes qui portent des solutions.»

La militante fait notamment référence au festival des Résistantes (notre article), qui s’est déroulé en août à Saint-Hilaire-de-Briouze (Orne). Plusieurs médias ont révélé que des actes racistes y ont été perpétrés, ce qui a entraîné la mobilisation d’une partie des festivalier·es et des intervenant·es antiracistes qui étaient sur place. Après coup, les organisateur·ices de l’événement ont affirmé publiquement leur volonté de s’améliorer.

Souba Manoharane-Brunel, co-fondatrice de l’association Les Impactrices, le 3 septembre à Paris. © Rémi-Kenzo Pagès/Vert

À propos des milieux militants, «il y a une volonté de bien faire, mais beaucoup de maladresses et de biais racistes, parfois inconscients et intériorisés», estime Priscillia Ludosky, ancienne Gilet jaune devenue présidente du Collectif des Luttes Sociales et Environnementales (CLSE). Et de lister quelques conseils pratiques.

Informer et recueillir la parole

«Dans la communication d’un événement, il faut insister sur l’importance d’avoir des comportements respectueux, avec des messages d’avertissement qui imposent un code de conduite fondé sur l’écoute et sur le respect de la parole et des témoignages, sans hiérarchiser», explique-t-elle. Ces messages doivent être inscrits dans le descriptif de l’événement, sur le programme, la billetterie, le site internet et, en règle générale, dans tous les contenus publiés autour de l’événement. Il faut aussi agir pendant que ça se passe et «former les bénévoles, pas seulement à l’antiracisme, aussi à l’accueil et au langage non discriminant», ajoute Priscillia Ludosky. Et de souligner que l’accueil est un aspect crucial : «Il s’agit de la porte d’entrée, de la première étape, où il y a un risque de discriminer.»

Elle préconise aussi d’installer une signalétique dédiée et de prévoir des procédures pour animer les débats, lesquels doivent être précédés d’un rappel des règles et suivis d’une modération pour recadrer les propos racistes. Enfin, elle recommande de mettre en place des espaces pour recueillir anonymement la parole des personnes concernées.

«Sortir du déni»

En dehors des temps forts des organisations écologistes, il y a un travail à effectuer au quotidien. «La première chose, pour agir, c’est de sortir du déni, insiste Souba Manoharane-Brunel, des Impactrices. C’est dans la pratique que l’on juge l’antiracisme et, pour ça, il faut confronter la réalité du racisme dans le mouvement climat et avoir une approche décoloniale dans les enjeux écologiques. Sinon, ce n’est pas de l’écologie, c’est de l’environnementalisme.» L’Écologie décoloniale consiste notamment à lutter contre le néocolonialisme occidental dans les pays du Sud et territoires colonisés.

«Les luttes antiracistes et féministes sont à la racine du mouvement climat. C’est un système capitaliste, patriarcal et colonialiste qui cause l’urgence climatique. Tant que l’on aura pas compris cela, le mouvement climat n’agira que sur les conséquences, jamais sur les causes», résume Souba Manoharane-Brunel.

Souba Manoharane-Brunel rappelle la nécessité de se former aux questions antiracistes. © Rémi-Kenzo Pagès/Vert

L’experte rappelle aussi l’importance de s’informer et de se former en continu auprès des premier·es concerné·es. C’est l’une des missions de l’association Les Impactrices, qui intervient au sein d’organisations écologistes. «Il faut rémunérer les formatrices et formateurs racisés [celles et ceux qui sont touché·es par le racisme, la discrimination, NDLR] qui travaillent sur ces sujets et qui ont plus intérêt que les autres à voir ces enjeux aboutir. On a trop tendance à les inviter à donner des conférences comme bénévoles. En faisant cela, on nourrit leur précarité. Pourtant, les organisations à impact ont les réseaux et les finances pour accélérer la prise de conscience», assure-t-elle.

«Promouvoir des nouvelles voix»

Julie Hamaïde, ancienne directrice des Nouvelles Voix, qui tend à faire émerger des figures écologistes qui ne ressemblent pas à celles déjà existantes, en est convaincue : il faut diversifier les effectifs des organisations écologistes. Et elle est sceptique quant à une possible remise en question des acteurs en place sans qu’il n’y ait de politique de diversité. «Certains me disent que c’est une obsession chez moi, alors que c’est un vrai sujet, souffle la dirigeante associative, qui constate un manque d’intérêt pour ces thématiques. C’est David contre Goliath, il faut tout changer avec une réelle volonté, en mettant en place des process pour promouvoir des nouvelles voix. Sinon, c’est le serpent qui se mord la queue et on ne sortira jamais des schémas actuels.»

Un discours qui fait écho à celui des Impactrices. «Quand j’interviens dans une organisation, je demande tout de suite un organigramme. Ensuite, je pose la question : est-ce que c’est normal ?», raconte Souba Manoharane-Brunel. Pour cause, elle observe «une hégémonie blanche dans les sphères décisionnelles. Ce sont souvent des hommes blancs privilégiés avec un bagage socio-économique et culturel très élevé. C’est très monochrome». Or, selon la cofondatrice des Impactrices, le constat est clair : «Si nous ne sommes pas aux tables de décision, nous serons toujours tokénisés». Le tokenisme réfère au fait que certaines organisations utilisent les personnes racisées uniquement pour se prétendre inclusives. Le mot est issu de l’anglais token, qui signifie «pour la forme».

«On a besoin de se retrouver»

Autre piste : l’auto-organisation. «Dans l’écologie, on a besoin d’espaces en non-mixité raciale [entre personnes appartenant à une minorité discriminée, sans les personnes qui appartiennent aux groupes pouvant être discriminants, NDLR]. On a besoin de se retrouver, ça nous permet de conscientiser notre propre expérience du racisme», explique Micheline Pham, du collectif Vietnam Dioxine. Cette organisation milite pour obtenir réparation après les dégâts sanitaires causés par l’agent orange, un défoliant utilisé par l’armée américaine durant la guerre du Vietnam et responsable du premier écocide reconnu.

Comme Micheline Pham, plusieurs militant·es interrogé·es par Vert estiment être à un tournant, où des écologistes victimes de racisme font le choix de s’organiser sans les écologistes blanc·hes. Leur but est notamment de se protéger et de continuer à s’impliquer, surtout lorsqu’elles et ils ne partagent pas les codes de la culture dominante des organisations écologistes, souvent qualifiées de «bourgeoises».

Ces personnes parlent aussi de l’importance de constituer des réseaux entre groupes écologistes décoloniaux. Toutefois, la création de ces nouveaux espaces ne signifie pas une rupture avec les organisations traditionnelles. Elles insistent plutôt sur l’importance de dialoguer d’égal à égal et de «faire ensemble».

«Préparer et penser ensemble»

«Il faut réinventer ensemble et embrasser les propositions des écologies décoloniales au pluriel», plaide Malcom Ferdinand, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et spécialiste renommé de l’écologie décoloniale. Il veut aller au-delà des bilans : «Ce qui m’intéresse, c’est la manière de faire. Le constat, cela fait 60 ans qu’il est posé. Cette situation ne peut pas s’expliquer uniquement par des volontés d’exclusion. Elle tient surtout à des mécanismes qui ne nous permettent pas de modifier ces espaces et d’y favoriser la pleine participation. Pourtant, il y a plein de ressources pour y répondre.»

Priscillia Ludosky fait aussi le pari de l’intelligence collective et espère voir un rapprochement entre écologistes et mouvements antiracistes. «Il faut faire des ateliers communs, des rapports communs, des analyses communes et, avant tout, associer les organisations antiracistes. Préparer et penser ensemble», résume-t-elle.

«Pour basculer le mouvement climat vers l’antiracisme, il faut une stratégie collective commune», abonde Souba Manoharane-Brunel, qui souhaite que les principales organisations écologistes «partagent le pouvoir, les financements, les réseaux et viennent aux événements sans prendre la place des personnes racisées. Tant que cela n’arrivera pas, nous serons obligés d’attendre une prise de conscience. Mais nous ne pouvons pas déléguer aux Blancs, car elles et ils auront toujours des angles morts. Ce serait comme déléguer le féminisme aux hommes.»

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