À deux pas de la mairie de Melle (Deux-Sèvres), un tag sinistre du jaune poussin du syndicat agricole Coordination rurale barre la route : «On reviendra ne tkt [t’inquiète] pas bisouss.» Il a été bombé mercredi 17 décembre lors d’une manifestation censée être «contre la dermatose nodulaire contagieuse et le Mercosur», d’après la déclaration aux autorités qu’a pu consulter Vert. Cette mobilisation a, semble-t-il, dévié de son mot d’ordre pour s’attaquer à un autre dossier : le conflit autour de l’eau et des «mégabassines». Sur sa page Facebook, le syndicat conviait plus largement à une «soirée explosive».

Cinquante bennes agricoles de pneus, palettes, gravats, fumiers, bâches et tuyaux ont été déversées dans les rues du village poitevin. Et trois lieux symboliques de la lutte antibassines ont été visés : la permanence de la députée écologiste Delphine Batho, le Café du Boulevard – lieu de rencontre des opposant·es aux retenues d’eau – et la ferme de la Genellerie, où s’était installé un «village de l’eau» en juillet 2024.
«La police n’a rien trouvé à redire»
«Nous manifestions bien contre les abattages liés à la dermatose nodulaire contagieuse et contre le mal-être agricole. Mais quelques adhérents ont demandé à exprimer leur mécontentement vis-à-vis de la mairie de Melle, on était obligé de laisser faire, raconte à Vert Philippe Germond, animateur de la Coordination rurale des Deux-Sèvres. Plusieurs irrigants autour de la ville n’ont pas apprécié d’être mis sous pression en pleine moisson parce que le maire avait accepté d’accueillir le village de l’eau», installé par les antibassines.
«Mais il n’y a eu ni blessé, ni dégradation de biens personnels hier soir, pondère le syndicaliste. La police et les services de renseignement étaient là, ils n’ont rien trouvé à redire !»

«Ils peuvent raconter ce qu’ils veulent : quand on dit lutter contre le libre-échange et qu’on s’en prend à des élus qui se sont opposés de longue date aux traités Ceta et au Mercosur, ça prouve qu’on méprise sa propre lutte», rétorque dans une colère froide Sylvain Griffaud, maire écologiste de Melle. Grâce à des habitant·es, salarié·es des entreprises et administrations ou élèves du lycée agricole, le centre-ville a été dégagé dès ce jeudi midi.
En revanche, la présence de déchets de produits souillés, chimiques ou polluants laisse augurer des opérations de tri et nettoyage encore longues et coûteuses. «Sur mon bureau, j’ai un papier qui parle d’une manifestation sur la dermatose nodulaire et sur le Mercosur, rappelle le maire. Si ce n’est qu’un assemblage de colère et d’esprit de vengeance, alors ce n’est pas un syndicat.»
Du côté des militant·es antibassines, aucun doute sur la cible des dégradations : le mémorial dédié aux blessé·es de la sanglante manifestation contre la mégabassine de Sainte-Soline (Deux-Sèvres) de 2023 a été détruit. Et une banderole déroulant l’énigmatique «Remember 18 décembre» a été découverte. À cette date, en 2024, des opposant·es avaient rallié la retenue d’eau géante de Sainte-Soline, jugée illégale la veille. Elles et ils avaient croisé des irrigant·es sur leur chemin, qui avaient agressé plusieurs militant·es.

Dans un communiqué de presse à paraître, que Vert a pu consulter, plusieurs collectifs, dont Bassines Non Merci, dénoncent une «instrumentalisation de la détresse du monde paysan» : «C’est une opération de saccage ciblée», conclut le texte.
«Ils passent leur temps à nous faire chier sur l’eau !»
Durant la même soirée du mercredi 17 décembre, d’autres tracteurs portant le drapeau de la Coordination rurale sont entrés en action, dans le département voisin de la Vienne. «Derrière la haie, c’est Vienne Nature, les copains des Bassines Non Merci, et qui cassent les couilles à tous les agriculteurs», s’écrie un homme qui filme en direct sur la page Facebook de la Coordination rurale de la Vienne. Sur les images, on voit un déversement de déchets agricoles devant le siège de l’association environnementale à Fontaine-le-Comte.
«Ils passent leur temps à nous faire chier, sur l’eau, sur nos installations agricoles… Il y en a marre de ces cons : voilà pourquoi on est là ce soir !», entend-on encore. L’entrée de la cour de l’association finit d’être bloquée, au rythme des «olé !». Le commentateur de conclure : «Je pense qu’ils vont avoir du mal à embaucher demain matin !»

Une fois arrivé·es au bureau, les 17 salarié·es et bénévoles de Vienne Nature se sont heurté·e à un mur de quatre mètres de déchets agricoles et à une centaine de pneus de tracteurs. «La dernière manif, nous avions juste eu un petit panneau avec le drapeau Coordination rurale, se remémore, incrédule, un membre de l’association. Nous ne nous attendions pas du tout à ça, nous sommes extrêmement choqués».
Choqué·es, mais pas surpris·es pour autant. La semaine dernière, une action similaire avait été menée par la Coordination rurale en Charente-Maritime, devant les locaux de Nature Environnement 17 et de la Ligue de protection des oiseaux. Ces deux organisations, comme Vienne Nature, entreprennent des actions juridiques contre les atteintes à l’environnement, notamment sur la question de la gestion de la ressource en eau.
Dépôt de plainte pour «menaces suivies d’effets»
«Les mots dans la vidéo sont très clairs sur les motivations de l’attaque», tranche le membre de Vienne Nature. Pour lui, ces dégradations s’inscrivent dans la continuité des déclarations du nouveau président de la Coordination rurale, Bertrand Venteau, qui avait appelé à «faire la peau aux écolos» lors du congrès du syndicat en novembre.
Signalés par des élu·es écologistes, ces propos ont justifié l’ouverture d’une enquête par le parquet d’Auch (Gers) pour «provocation publique non suivie d’effet à commettre un crime ou un délit». Les événements de ces dernières semaines changent la donne.
«Nous allons déposer plainte cet après-midi pour menaces suivies d’effet, dégradations de biens privés et entrave à la liberté d’expression», annonce le membre de l’association, la vue de sa fenêtre encore bloquée par les monceaux de paille et de tuyaux.

Faute d’un tracteur de taille suffisante, la mairie de Fontaine-le-Comte n’a pas pu évacuer les détritus de la veille. La Coordination rurale, pour sa part, a déjà annoncé de nouvelles actions dès ce jeudi soir dans le département.
Contacté·es par Vert, la Coordination rurale de la Vienne et les préfectures de la Vienne et des Deux-Sèvres n’ont pas donné suite à nos sollicitations.