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Affaire Grande-Synthe : pour la justice, l’État respecte désormais sa trajectoire climatique, le dossier est clos

Affaire cassée. Après avoir condamné la France en 2021 et 2023, le Conseil d'État a estimé ce vendredi que les nouvelles mesures gouvernementales de réduction des émissions de gaz à effet de serre sont désormais «précises et crédibles». Les associations requérantes dénoncent un jugement basé sur des objectifs climatiques «caducs».
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C’est la fin d’un long feuilleton judiciaire démarré il y a plus de six ans sur les rives de la Manche. Exposée à la montée des eaux liée au changement climatique, la commune côtière de Grande-Synthe (Nord) est engagée depuis 2019 dans une procédure judiciaire contre le gouvernement français pour lui demander de prendre des mesures plus ambitieuses afin de respecter ses objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre (notre article).

Après deux condamnations en 2021 et 2023, l’État français est désormais tiré de l’affaire dite «Grande-Synthe». © Manon Cruz/AFP

L’affaire dite «Grande-Synthe» a été rejointe par plusieurs ONG (Notre Affaire à Tous, Greenpeace France, Oxfam France) et par les villes de Paris, Bordeaux (Gironde) et Toulouse (Haute-Garonne). Elle avait abouti à la condamnation de l’État français en 2021, puis en 2023. À chaque fois, le Conseil d’État avait enjoint le gouvernement à prendre des mesures supplémentaires pour respecter son objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40% d’ici à 2030 (par rapport aux niveaux de 1990).

Fin de l’affaire

La nouvelle décision rendue ce vendredi 24 octobre par la plus haute juridiction administrative du pays estime cette fois que des mesures suffisantes ont depuis été mises en œuvre par le gouvernement. Celles-ci, «suffisamment précises et crédibles, permettent de considérer que l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de -40% entre 1990 et 2030 sera atteint», estime le Conseil d’État dans son communiqué.

Le Conseil d’État argue que les objectifs climatiques de la France ont été respectés sur la période 2019-2025. Une évolution positive dans la plupart des secteurs (transports, agriculture, bâtiment…) soulignée par le Haut conseil pour le climat (HCC) dans son rapport de juin 2024 (notre article). Ce dernier alertait cependant sur l’affaiblissement des puits de carbone – ces espaces naturels qui captent le CO2 et permettent de réduire les émissions nettes – et sur des actions qui «restent fragiles».

Par ailleurs, «les mesures prises jusqu’au 31 décembre 2023 doivent permettre d’atteindre -39,5% d’ici à 2030 et devraient être confortées par des mesures complémentaires adoptées depuis 2024», estime le Conseil d’État. Pour ces raisons, il clôt définitivement l’affaire Grande-Synthe.

La décision n’est pas du goût des associations requérantes, qui notent d’abord que le jugement n’analyse que les émissions brutes – sans prendre en compte le captage du CO2. «Nous critiquons ce choix, car nous observons que l’état des puits de carbone français est de plus en plus catastrophique», alerte auprès de Vert Elsa Ingrand, chargée de campagne pour Notre Affaire à Tous.

Une «analyse froide de la situation»

Surtout, elles soulèvent un deuxième point majeur : les objectifs climatiques sur lesquels se fonde le Conseil d’État – les -40% d’émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 – sont aujourd’hui «caducs». Depuis 2021, ces derniers ont été réhaussés dans le cadre de la nouvelle politique climatique européenne, à hauteur de -55% d’ici à 2030 (soit environ -50% au niveau français).

«Ce nouvel objectif ne peut être intégré à l’affaire Grande-Synthe, cette dernière ayant été lancée avant l’adoption dudit objectif», déplorent les associations dans leur communiqué. Dans sa décision, le Conseil d’État précise lui-même qu’il «ne se prononce pas sur le respect, par la France, des nouveaux objectifs, plus exigeants (-55% d’ici à 2030), de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés par les textes adoptés au niveau européen en 2023».

Elsa Ingrand regrette «l’analyse froide de la situation» livrée par le Conseil d’État : «Sur le budget carbone 2019-2023, il y a certes des baisses assez fortes, mais celles-ci sont surtout liées à des facteurs conjoncturels» comme la pandémie de Covid-19 ou la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine.

«Une telle décision est inquiétante, alors que nous assistons à un véritable décrochage de la trajectoire de réduction des émissions et à un manque de planification», regrettent les associations. Dans son rapport de juillet 2025, le Haut conseil pour le climat appelait à un «sursaut collectif urgent» face au ralentissement du rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Plus récemment, l’organisme chargé de suivre l’évolution de la trajectoire climatique de la France (le Citepa) estimait que celle-ci devrait atteindre -0,8% en 2025, loin de l’objectif fixé (autour de -5%).

«Cette décision ne met pas fin au combat», promettent Notre Affaire à Tous, Greenpeace France et Oxfam France. Ces ONG réfléchissent à une prochaine action en justice pour faire respecter le nouvel objectif climatique de la France.

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