Décryptage

Action climatique : la France est sur de meilleurs rails, mais elle doit poursuivre ses efforts, prévient le Haut conseil pour le climat

Peut mieux vert. Pour la première fois, la France suit une trajectoire qui pourrait être compatible avec ses objectifs à horizon 2030, analyse le Haut conseil pour le climat dans son nouveau rapport annuel, publié ce jeudi. Mais elle est en retard sur d’autres plans, notamment l’adaptation à la crise climatique.
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L’année dernière, le Haut con­seil pour le cli­mat (HCC) dres­sait un con­stat sévère sur de l’impréparation de l’État face aux con­séquences de plus en plus dévas­ta­tri­ces du change­ment cli­ma­tique (notre décryptage). Créé en 2019, cet organ­isme indépen­dant com­posé de douze expert·es éval­ue chaque année l’action publique sur le cli­mat au cours des douze derniers mois.

Cette année, le HCC note pour la pre­mière fois une évo­lu­tion pos­i­tive : les émis­sions «brutes» de gaz à effet de serre (c’est-à-dire sans pren­dre en compte le rôle des puits de car­bone, dont les forêts ou les sols, qui absorbent et stock­ent du CO2) ont bais­sé de 5,8% en 2023 par rap­port à 2022. Soit une diminu­tion de 22,8 mil­lions de tonnes d’équivalent CO2 (MtCO2eq) en un an, deux fois plus que la baisse moyenne observée entre 2019 et 2022 (10,9 MtCO2eq). Les émis­sions annuelles sont désor­mais inférieures de 31% à celles de 1990, année de référence.

On note une dynamique de diminu­tion plus ou moins impor­tante des émis­sions dans la plu­part des secteurs, sauf les déchets, qui stag­nent, et les puits de car­bone (UTCATF, soit l’utilisation des ter­res, change­ment d’af­fec­ta­tion des ter­res et foresterie) qui ont ten­dance à s’affaiblir. © Haut con­seil pour le cli­mat

Une diminution en partie contextuelle

Un tiers de cette diminu­tion (7,5 MtCO2eq) est due à des fac­teurs con­jonc­turels, notam­ment la reprise de la pro­duc­tion nucléaire après plusieurs mois d’indisponibilité de nom­breux réac­teurs, ou encore la réduc­tion du chep­tel bovin, liée à la sit­u­a­tion économique dif­fi­cile de l’élevage. «Mal­gré cette con­tri­bu­tion con­jonc­turelle, la baisse des émis­sions en 2023 demeure très forte. On note une réelle accéléra­tion par rap­port aux péri­odes précé­dentes», détaille Corinne Le Quéré, prési­dente du HCC, dont le man­dat s’achève cette année et qui laisse sa place à Jean-François Sous­sana, ingénieur agronome de for­ma­tion et mem­bre du HCC. «Mais ces actions restent frag­iles, et les finance­ments ne sont pas garan­tis dans le temps», nuance la cli­ma­to­logue.

Des émissions pas nettes

La Stratégie nationale bas-car­bone (SNBC — la feuille de route cli­ma­tique de la France) fixe un bud­get d’émissions à ne pas dépass­er. Sur la péri­ode 2019–2023, ce bud­get car­bone est en passe d’être respec­té pour les émis­sions «brutes», avec une marge con­séquente de 100 MtCO2eq.

Mais la France n’est pas tout à fait dans les clous pour autant. Si l’on prend en compte le CO2 absorbé par les puits de car­bone, pour obtenir les émis­sions «nettes», le bud­get est en voie d’être dépassé de quelque 15 mil­lions de tonnes d’équivalent CO2 en 2023. La cause : forêts, sols et autres espaces naturels absorbent de moins en moins de gaz à effet de serre à cause de l’artificialisation, des sécher­ess­es, des incendies ou bien des par­a­sites qui assail­lent les arbres français.

Hélas, l’absence de poli­tique nationale ambitieuse de stock­age de car­bone dans les sols agri­coles ou de régénéra­tions des écosys­tèmes forestiers ne risque pas d’améliorer la sit­u­a­tion, souligne Jean-François Sous­sana.

Des baisses d’émissions presque généralisées

Les émis­sions ont dimin­ué dans presque tous les secteurs étudiés. L’énergie et le bâti­ment respectent large­ment leur bud­get car­bone. L’agriculture, l’industrie et les trans­ports y parvi­en­nent, mais avec une marge plus réduite. En l’absence de poli­tique crédi­ble, le secteur des déchets est le seul (hors puits de car­bone) qui n’atteint pas ses objec­tifs annuels.

👉 Les trans­ports, qui représen­tent un tiers des émis­sions nationales, ont enfin amor­cé leur tra­jec­toire de décar­bon­a­tion. Mais d’ici à 2030, le rythme annuel de baisse des émis­sions doit tripler par rap­port à celui enreg­istré entre 2019 et 2023. L’électrification des véhicules de par­ti­c­uliers est en bonne voie, mais de nom­breuses entre­pris­es ne respectent pas encore les objec­tifs de verdisse­ment de leurs flottes, ce qui freine notam­ment le marché d’occasion sur les mod­èles élec­triques. Ce qui, en plus d’aides à l’achat lim­itées, empêche les plus pré­caires d’avoir accès à des mobil­ités moins car­bonées. Enfin, les poli­tiques de report modal (pas­sage de la voiture au vélo ou aux trans­ports en com­mun par exem­ple) n’ont pas encore mon­tré leurs effets et la part de la voiture dans les déplace­ments reste sta­ble alors qu’elle devrait baiss­er.

👉 Le secteur agri­cole (20% des émis­sions nationales) souf­fre pour l’instant d’un manque de cohérence. Les émis­sions dimin­u­ent, mais à un rythme moin­dre par rap­port à d’autres secteurs. On note un recul con­séquent de l’action publique cli­ma­tique au cours des douze derniers mois — notam­ment depuis la crise agri­cole, à la suite de laque­lle de nom­breuses mesures envi­ron­nemen­tales ont été assou­plies ou sup­primées. Ces pra­tiques main­ti­en­nent le statu quo et ont ten­dance à «ver­rouiller la pro­duc­tion agri­cole dans des mod­èles inten­sifs en émis­sions plutôt qu’à accom­pa­g­n­er les agricul­teurs vers des mod­èles et pra­tiques bas-car­bone», déplore le rap­port. Une dynamique qui ne pro­tège pas les agriculteur·ices des impacts cli­ma­tiques dont elles et ils sont pour­tant de plus en plus vic­times (sécher­ess­es, inon­da­tions, tem­pêtes, etc).

👉 La forte diminu­tion des émis­sions de l’industrie (17% du total) entre 2022 et 2023 (-6,1 MtCO2eq) s’explique presque pour moitié par des raisons con­jonc­turelles : la baisse de la pro­duc­tion, liée aux prix tou­jours élevés de l’énergie. Le secteur béné­fi­cie d’un sou­tien pub­lic impor­tant et bien­venu, mais la ques­tion de son adap­ta­tion (soit les straté­gies d’ajustement aux con­séquences du dérè­gle­ment cli­ma­tique) reste trop peu envis­agée.

👉 Le secteur du bâti­ment (16% des émis­sions) s’en sort plutôt bien, notam­ment grâce à des sou­tiens ren­for­cés à la fil­ière de la réno­va­tion énergé­tique. Hélas, il souf­fre d’une stratégie cen­trée sur les mono-gestes de réno­va­tion. Ain­si, la baisse des émis­sions à court terme se fait au détri­ment de l’isolation glob­ale des bâti­ments, pour­tant néces­saire au développe­ment d’un parc immo­bili­er bas-car­bone et à la diminu­tion de la pré­car­ité énergé­tique chez les ménages.

👉 La décar­bon­a­tion du secteur de l’én­ergie (près de 10% du total) est bien amor­cée, mais cer­tains doutes demeurent sur la tra­jec­toire à long terme. «La stratégie de la France axée sur le renou­velle­ment du parc nucléaire fait peser des risques sur la ques­tion de disponi­bil­ité en élec­tric­ité décar­bonée, vu les temps longs impliqués et les incer­ti­tudes indus­trielles du secteur nucléaire», prévient Corinne Le Quéré. Des risques qui ne sont, pour l’instant, pas com­pen­sés par une crois­sance suff­isante des renou­ve­lables.

Des objectifs atteignables à terme

L’Union européenne a décidé de rehauss­er ses ambi­tions cli­ma­tiques, imposant aux États mem­bres de réduire leurs émis­sions de gaz à effet de serre de 55% en 2030 par rap­port à 1990. En France, ce nou­v­el objec­tif doit être traduit dans la future Stratégie nationale bas car­bone, qui doit être adop­tée dans les mois qui vien­nent. Pour la pre­mière fois, ces objec­tifs cli­ma­tiques à hori­zon 2030 parais­sent atteignables, «à con­di­tion de pour­suiv­re les efforts actuels dans la durée», prévient le rap­port.

Ce con­stat n’est pas un chèque en blanc, puisque la neu­tral­ité car­bone (soit l’équilibre entre le car­bone émis et le car­bone absorbé) prévue à hori­zon 2050 est encore loin d’être acquise. De véri­ta­bles change­ments struc­turels sont indis­pens­ables.

Adaptation : le compte n’y est pas

Si les poli­tiques d’atténuation (la réduc­tion des émis­sions) con­nais­sent des avancées sig­ni­fica­tives, celles qui touchent à l’adaptation du pays aux effets de la crise cli­ma­tique sont insuff­isantes, juge le rap­port. Surtout, elles appa­rais­sent en décalage par rap­port aux vul­néra­bil­ités qui gran­dis­sent avec le change­ment cli­ma­tique (hausse des décès liés aux vagues de chaleur, pertes finan­cières pour les assureurs, etc). «Les aléas cli­ma­tiques s’intensifient plus rapi­de­ment que les moyens mis en œuvre», aver­tit le HCC. Par­mi les 65 recom­man­da­tions énon­cées par les expert·es, le ren­force­ment des poli­tiques d’adaptation appa­raît en bonne place.

Un retard inquiétant de certains textes

Le Haut con­seil pour le cli­mat fustige égale­ment le retard de plusieurs textes lég­is­lat­ifs essen­tiels à la tran­si­tion écologique (la loi énergie cli­mat, la nou­velle Stratégie nationale bas-car­bone, la pro­gram­ma­tion pluri­an­nuelle de l’énergie ou encore le troisième plan nation­al d’adaptation au change­ment cli­ma­tique) qui frag­ilisent la crédi­bil­ité de la France. «Ces textes qui ne sont pas adop­tés en dépit des oblig­a­tions lég­isla­tives sont absol­u­ment indis­pens­ables pour struc­tur­er l’action cli­ma­tique», alerte Sophie Dubuis­son-Quel­li­er, soci­o­logue et mem­bre du HCC. La sit­u­a­tion pour­rait ne pas se régler rapi­de­ment avec la recom­po­si­tion poli­tique à venir cet été à l’issue des élec­tions lég­isla­tives, qui risque bien de retarder encore l’adoption de ces textes fon­da­men­taux.

Le Haut con­seil pour le cli­mat devra remet­tre son rap­port au gou­verne­ment au cours des prochaines semaines — même si ce cal­en­dri­er est quelque peu cham­boulé par le con­texte poli­tique. Le gou­verne­ment aura ensuite six mois pour répon­dre aux recom­man­da­tions réal­isées et les inté­gr­er, ou non, dans sa poli­tique.

Pho­to d’il­lus­tra­tion : Emmanuel Macron en 2021. © Ludovic Marin / AFP