L’année dernière, le Haut conseil pour le climat (HCC) dressait un constat sévère sur de l’impréparation de l’État face aux conséquences de plus en plus dévastatrices du changement climatique (notre décryptage). Créé en 2019, cet organisme indépendant composé de douze expert·es évalue chaque année l’action publique sur le climat au cours des douze derniers mois.
Cette année, le HCC note pour la première fois une évolution positive : les émissions «brutes» de gaz à effet de serre (c’est-à-dire sans prendre en compte le rôle des puits de carbone, dont les forêts ou les sols, qui absorbent et stockent du CO2) ont baissé de 5,8% en 2023 par rapport à 2022. Soit une diminution de 22,8 millions de tonnes d’équivalent CO2 (MtCO2eq) en un an, deux fois plus que la baisse moyenne observée entre 2019 et 2022 (10,9 MtCO2eq). Les émissions annuelles sont désormais inférieures de 31% à celles de 1990, année de référence.
Une diminution en partie contextuelle
Un tiers de cette diminution (7,5 MtCO2eq) est due à des facteurs conjoncturels, notamment la reprise de la production nucléaire après plusieurs mois d’indisponibilité de nombreux réacteurs, ou encore la réduction du cheptel bovin, liée à la situation économique difficile de l’élevage. «Malgré cette contribution conjoncturelle, la baisse des émissions en 2023 demeure très forte. On note une réelle accélération par rapport aux périodes précédentes», détaille Corinne Le Quéré, présidente du HCC, dont le mandat s’achève cette année et qui laisse sa place à Jean-François Soussana, ingénieur agronome de formation et membre du HCC. «Mais ces actions restent fragiles, et les financements ne sont pas garantis dans le temps», nuance la climatologue.
Des émissions pas nettes
La Stratégie nationale bas-carbone (SNBC — la feuille de route climatique de la France) fixe un budget d’émissions à ne pas dépasser. Sur la période 2019–2023, ce budget carbone est en passe d’être respecté pour les émissions «brutes», avec une marge conséquente de 100 MtCO2eq.
Mais la France n’est pas tout à fait dans les clous pour autant. Si l’on prend en compte le CO2 absorbé par les puits de carbone, pour obtenir les émissions «nettes», le budget est en voie d’être dépassé de quelque 15 millions de tonnes d’équivalent CO2 en 2023. La cause : forêts, sols et autres espaces naturels absorbent de moins en moins de gaz à effet de serre à cause de l’artificialisation, des sécheresses, des incendies ou bien des parasites qui assaillent les arbres français.
Hélas, l’absence de politique nationale ambitieuse de stockage de carbone dans les sols agricoles ou de régénérations des écosystèmes forestiers ne risque pas d’améliorer la situation, souligne Jean-François Soussana.
Des baisses d’émissions presque généralisées
Les émissions ont diminué dans presque tous les secteurs étudiés. L’énergie et le bâtiment respectent largement leur budget carbone. L’agriculture, l’industrie et les transports y parviennent, mais avec une marge plus réduite. En l’absence de politique crédible, le secteur des déchets est le seul (hors puits de carbone) qui n’atteint pas ses objectifs annuels.
👉 Les transports, qui représentent un tiers des émissions nationales, ont enfin amorcé leur trajectoire de décarbonation. Mais d’ici à 2030, le rythme annuel de baisse des émissions doit tripler par rapport à celui enregistré entre 2019 et 2023. L’électrification des véhicules de particuliers est en bonne voie, mais de nombreuses entreprises ne respectent pas encore les objectifs de verdissement de leurs flottes, ce qui freine notamment le marché d’occasion sur les modèles électriques. Ce qui, en plus d’aides à l’achat limitées, empêche les plus précaires d’avoir accès à des mobilités moins carbonées. Enfin, les politiques de report modal (passage de la voiture au vélo ou aux transports en commun par exemple) n’ont pas encore montré leurs effets et la part de la voiture dans les déplacements reste stable alors qu’elle devrait baisser.
👉 Le secteur agricole (20% des émissions nationales) souffre pour l’instant d’un manque de cohérence. Les émissions diminuent, mais à un rythme moindre par rapport à d’autres secteurs. On note un recul conséquent de l’action publique climatique au cours des douze derniers mois — notamment depuis la crise agricole, à la suite de laquelle de nombreuses mesures environnementales ont été assouplies ou supprimées. Ces pratiques maintiennent le statu quo et ont tendance à «verrouiller la production agricole dans des modèles intensifs en émissions plutôt qu’à accompagner les agriculteurs vers des modèles et pratiques bas-carbone», déplore le rapport. Une dynamique qui ne protège pas les agriculteur·ices des impacts climatiques dont elles et ils sont pourtant de plus en plus victimes (sécheresses, inondations, tempêtes, etc).
👉 La forte diminution des émissions de l’industrie (17% du total) entre 2022 et 2023 (-6,1 MtCO2eq) s’explique presque pour moitié par des raisons conjoncturelles : la baisse de la production, liée aux prix toujours élevés de l’énergie. Le secteur bénéficie d’un soutien public important et bienvenu, mais la question de son adaptation (soit les stratégies d’ajustement aux conséquences du dérèglement climatique) reste trop peu envisagée.
👉 Le secteur du bâtiment (16% des émissions) s’en sort plutôt bien, notamment grâce à des soutiens renforcés à la filière de la rénovation énergétique. Hélas, il souffre d’une stratégie centrée sur les mono-gestes de rénovation. Ainsi, la baisse des émissions à court terme se fait au détriment de l’isolation globale des bâtiments, pourtant nécessaire au développement d’un parc immobilier bas-carbone et à la diminution de la précarité énergétique chez les ménages.
👉 La décarbonation du secteur de l’énergie (près de 10% du total) est bien amorcée, mais certains doutes demeurent sur la trajectoire à long terme. «La stratégie de la France axée sur le renouvellement du parc nucléaire fait peser des risques sur la question de disponibilité en électricité décarbonée, vu les temps longs impliqués et les incertitudes industrielles du secteur nucléaire», prévient Corinne Le Quéré. Des risques qui ne sont, pour l’instant, pas compensés par une croissance suffisante des renouvelables.
Des objectifs atteignables à terme
L’Union européenne a décidé de rehausser ses ambitions climatiques, imposant aux États membres de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 55% en 2030 par rapport à 1990. En France, ce nouvel objectif doit être traduit dans la future Stratégie nationale bas carbone, qui doit être adoptée dans les mois qui viennent. Pour la première fois, ces objectifs climatiques à horizon 2030 paraissent atteignables, «à condition de poursuivre les efforts actuels dans la durée», prévient le rapport.
Ce constat n’est pas un chèque en blanc, puisque la neutralité carbone (soit l’équilibre entre le carbone émis et le carbone absorbé) prévue à horizon 2050 est encore loin d’être acquise. De véritables changements structurels sont indispensables.
Adaptation : le compte n’y est pas
Si les politiques d’atténuation (la réduction des émissions) connaissent des avancées significatives, celles qui touchent à l’adaptation du pays aux effets de la crise climatique sont insuffisantes, juge le rapport. Surtout, elles apparaissent en décalage par rapport aux vulnérabilités qui grandissent avec le changement climatique (hausse des décès liés aux vagues de chaleur, pertes financières pour les assureurs, etc). «Les aléas climatiques s’intensifient plus rapidement que les moyens mis en œuvre», avertit le HCC. Parmi les 65 recommandations énoncées par les expert·es, le renforcement des politiques d’adaptation apparaît en bonne place.
Un retard inquiétant de certains textes
Le Haut conseil pour le climat fustige également le retard de plusieurs textes législatifs essentiels à la transition écologique (la loi énergie climat, la nouvelle Stratégie nationale bas-carbone, la programmation pluriannuelle de l’énergie ou encore le troisième plan national d’adaptation au changement climatique) qui fragilisent la crédibilité de la France. «Ces textes qui ne sont pas adoptés en dépit des obligations législatives sont absolument indispensables pour structurer l’action climatique», alerte Sophie Dubuisson-Quellier, sociologue et membre du HCC. La situation pourrait ne pas se régler rapidement avec la recomposition politique à venir cet été à l’issue des élections législatives, qui risque bien de retarder encore l’adoption de ces textes fondamentaux.
Le Haut conseil pour le climat devra remettre son rapport au gouvernement au cours des prochaines semaines — même si ce calendrier est quelque peu chamboulé par le contexte politique. Le gouvernement aura ensuite six mois pour répondre aux recommandations réalisées et les intégrer, ou non, dans sa politique.
Photo d’illustration : Emmanuel Macron en 2021. © Ludovic Marin / AFP