2022, l’année de tous les records
«2022 a été emblématique de l’intensification des effets du changement climatique», commence sobrement Corinne Le Quéré, climatologue et présidente du Haut conseil pour le climat (HCC), lors de la présentation de l’édition 2022 de ce rapport annuel. Mis sur pied en 2018 par Emmanuel Macron, cet organisme indépendant composé de 13 expert·es est chargé d’évaluer l’action publique en matière de climat.
Le document révèle qu’au cours de cette année record, la température a été supérieure de 2,9°C aux moyennes relevées entre 1900 et 1930 dans l’hexagone. En 2022, la France a connu de fortes vagues de chaleur ainsi qu’un déficit de précipitations de 25% en métropole par rapport aux 30 dernières années. Un combo qui a généré une sécheresse «exceptionnelle», qui a fait fortement baisser les rendements agricoles (jusqu’à ‑30% pour certaines filières par rapport à la moyenne) et diminuer la production hydroélectrique (-20%).
Hélas, cette année «record» n’en sera bientôt plus une : la température de 2022 correspond à ce qui deviendrait la moyenne à l’horizon 2050–2060 pour un réchauffement planétaire de 2°C, qui est aujourd’hui plus que probable à cette échéance.
La France n’est pas prête
En prenant en compte les politiques publiques actuelles dans le monde, les scientifiques projettent un réchauffement moyen de +4°C en France à la fin du siècle par rapport à l’ère préindustrielle (notre décryptage). C’est sur cette base que le gouvernement a récemment lancé une vaste consultation sur les manières d’adapter la France au dérèglement climatique (Vert).
Un choix «cohérent», estime le Haut conseil pour le climat, à condition d’anticiper la survenue d’évènements extrêmes, rares, mais à fort impact (dont la probabilité augmente avec chaque dixième de degré supplémentaire).
«La France est particulièrement exposée aux conséquences du réchauffement climatique, mais elle n’est pas prête à y faire face, comme l’année 2022 l’a démontré», déplore Corinne Le Quéré. Les chiffres ne mentent pas : 2 000 communes ont connu de fortes tensions d’approvisionnement en eau potable, dont 7 ont subi une coupure totale des robinets pendant plusieurs jours. 8 000 municipalités ont demandé la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, en raison des dégâts créés par la sécheresse sur les bâtiments, pour un coût évalué à 2,9 milliards d’euros pour les assureurs (10 milliards d’euros pour l’ensemble des catastrophes naturelles en 2022). 7 800 incendies ont ravagé 72 000 hectares de forêt, nécessitant l’intervention de moyens étrangers.
«L’adaptation se fait largement dans un mode réactif, mais ça ne suffit pas à prévenir les impacts futurs du changement climatique. L’adaptation doit donc devenir transformatrice» et intégrer des changements systémiques, appelle la présidente du HCC.
Les émissions baissent, mais beaucoup trop lentement
La baisse des émissions de gaz à effet de serre se poursuit en France, mais elle reste insuffisante. Les émissions de CO2 ont diminué de 2,9% entre 2021 et 2022, notamment grâce à de fortes réductions dans les secteurs du bâtiment et de l’industrie. C’est en partie le fait d’un hiver doux qui a nécessité moins de chauffage, et de mesures de sobriété prises en réponse à la hausse des prix de l’énergie. Hélas, cette diminution a été partiellement compensée par la recrudescence des émissions du secteur des transports et de l’énergie. En cause, notamment, l’indisponibilité d’une partie du parc nucléaire et la baisse de production hydroélectrique (issue des barrages) causée par la sécheresse en 2022.
Si la baisse est réelle, elle est encore bien trop faible. Actuellement, la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) prévoit une réduction de 40% des émissions de GES en 2030 par rapport à 1990. Ce document sert de feuille de route climatique de la France et fixe des seuils d’émissions à ne pas dépasser (des «budgets carbone»).
Pour l’heure, la France est dans les clous de la SNBC si l’on regarde les émissions «brutes» (qui ne prend pas en compte le rôle des puits de carbone, comme les forêts ou les tourbières, qui absorbent une partie des rejets). La baisse annuelle de 9,1 millions de tonnes d’équivalent CO2 (Mt éqCO2) des émissions brutes entre 2019 et 2022 respecte le budget carbone fixé pour ces dates.
Mais le bât blesse lorsque l’on se concentre sur les émissions «nettes» : le budget carbone 2019–2022 est en voie d’être dépassé en raison de la faible absorption par les puits de carbone (due aux incendies, aux sécheresses ou à l’artificialisation des sols).
Dans tous les cas, les efforts de réduction des émissions vont devoir s’intensifier, puisque l’Union européenne vient de renforcer ses ambitions à horizon 2030 (-55% d’émissions par rapport à 1990), ce qui devra forcer la France à aligner sa stratégie. Pour tenir cet objectif, la France va devoir doubler ses efforts de réduction par rapport à la baisse observée en 2022.
La marche sera haute pour bon nombre de secteurs. Pour respecter les objectifs européens à horizon 2030, le rythme de baisse des émissions devra être multiplié par 3,5 à 5 pour les transports et l’énergie, 1,25 à 3,5 pour l’agriculture, 1,4 à 1,6 pour l’industrie, et près de 2 pour les déchets. Seul le secteur du bâtiment diminue à un rythme suffisant, estime le rapport.
Les puits de carbone se rebouchent
L’état des puits de carbone est une grande source d’inquiétude pour le HCC. La quantité de carbone stockée par les puits français a diminué de 21% entre 2021 et 2022. Une situation qui se sera probablement aggravée en 2022, au vu des violents incendies et de la sécheresse. «La mortalité dans les forêts a pratiquement doublé dans la dernière décennie», alerte Jean-François Soussana, membre du Haut conseil pour le climat. «Nous avons besoin d’un plan à grande échelle pour que les puits puissent compenser les émissions résiduelles à horizon 2050.» De quoi permettre de respecter l’objectif de neutralité carbone, défini par un équilibre entre les émissions et les absorptions de gaz à effet de serre.
Un manque de moyens pour appliquer les politiques climatiques
Par le biais du Green deal européen, la France dispose désormais d’un certain nombre d’obligations pour réduire les émissions de CO2. Le rapport du HCC souligne aussi l’existence de nombreux plans, «généralement bien cadrés», qui définissent les priorités et mobilisent les parties prenantes. Malheureusement, ces documents affichent aussi des dispositifs de suivi et d’évaluation «incomplets».
Globalement, «la stratégie n’est pas accompagnée d’une politique économique d’ampleur permettant de déclencher l’accélération nécessaire», juge Corinne Le Quéré. Il est essentiel d’identifier «comment seront mobilisés les dépenses publiques annuelles nécessaires à la transition, qui doivent rapidement augmenter pour atteindre autour de 30 milliards d’euros supplémentaires en 2030». D’autant que les dépenses défavorables au climat ont fortement progressé en 2022, avec au moins 43 milliards d’euros dédiés au bouclier tarifaire (qui subventionne en partie la consommation d’énergies fossiles), 10 milliards pour les niches fiscales et 6,3 pour les autres dispositifs fiscaux «néfastes aux politiques climatiques».
Le Haut conseil pour le climat insiste également sur le besoin d’une transition «juste». Le rapport souligne que des politiques climatiques pèsent davantage sur les ménages modestes, notamment lorsque l’on évoque la transition des moyens de transport. Ces difficultés s’expliquent notamment par une offre inadéquate et limitée de véhicules petits, légers et abordables pour électrifier les mobilités des ménages, illustre Corinne Le Quéré.
Un rôle de leadership de la France à affirmer
Les émissions mondiales continuent à augmenter, mais à un rythme moins élevé qu’auparavant, grâce aux politiques publiques mondiales. Plus de 3 145 lois climatiques «ont permis d’éviter d’émettre plusieurs milliards de tonnes d’équivalent CO2 par an», salue le HCC. Ces avancées demeurent insuffisantes, puisque les politiques actuelles pourraient conduire à un réchauffement mondial de +3,2°C d’ici la fin du siècle, d’après les dernières projections du Giec (Vert). Dans cette optique, le rapport annuel appelle à un «leadership réhaussé» de la France, notamment en amont de la 28ème Conférence des Nations unies (COP28) pour le climat en décembre prochain, pour relancer la dynamique internationale.
Un manque d’ambition à enrayer
En juin 2022, dans son précédent rapport annuel, le Haut conseil pour le climat appelait à un «sursaut» de l’action climatique en France. Ce sursaut a‑t-il été amorcé ? «Il s’est passé beaucoup de choses en 2022», reconnaît Corinne Le Quéré. «On a dépassé la politique des petits pas, mais on est pas encore au pas de course», résume la climatologue. La réponse de la France au changement climatique doit encore «monter en puissance», revendique le HCC, pour qui il est grand temps d’«acter l’urgence et d’engager les moyens nécessaires».