«L’année passée a été extrêmement inhabituelle, surtout quand on la compare aux dernières décennies, voire aux derniers siècles écoulés», analyse sans détour Carlo Buontempo, directeur du service de Copernicus chargé du changement climatique. L’année fut particulièrement contrastée et marquée par les événements extrêmes, résume le rapport sur l’État du climat en Europe en 2023, publié conjointement par Copernicus et l’OMM ce lundi. «L’Europe a connu le plus grand feu de forêt jamais enregistré, l’une des années les plus humides, de graves vagues de chaleur marine et des inondations dévastatrices généralisées», récapitule Carlo Buontempo. Pour autant, l’année passée est restée dans le cadre des projections réalisées par les scientifiques — même si elle correspondait plutôt à la fourchette haute qu’à la moyenne de ces estimations.
Un continent en surchauffe
2023 est la première ou la seconde année (selon les méthodologies et bases de données utilisées) la plus torride jamais mesurée sur le Vieux continent. La température moyenne fut d’environ 2,5°C au-dessus des niveaux préindustriels (moitié du 19ème siècle). Les trois années les plus chaudes enregistrées l’ont toutes été depuis 2020.
Autre élément marquant : on n’avait jamais compté autant de jours de «stress thermique extrême», soit une température ressentie de plus de 46°C, qu’en 2023. Cet indicateur mesure la réaction du corps humain à l’impact des fortes températures, en prenant en compte d’autres facteurs tels que l’humidité ou la vitesse du vent. Plusieurs régions du sud de l’Europe (en Espagne, Italie, France, Grèce et Turquie) ont connu jusqu’à dix jours de «stress thermique extrême», tandis que 80 jours ont représenté une situation de stress thermique «très élevé» (un ressenti entre 38°C et 46°C). «Une exposition prolongée au stress thermique peut exacerber les problèmes de santé existants et augmenter le risque de maladies liées à la chaleur», avertit le rapport.
Des océans bouillonnants
Comme dans le monde entier, les mers et océans européens ont connu des conditions extrêmes tout au long de l’année. Leur température moyenne fut la plus chaude jamais mesurée en 2023. En juin, une vague de chaleur marine qualifiée d’«extrême», voire de «plus qu’extrême» dans certaines régions, a touché l’océan Atlantique autour de l’Irlande et du Royaume-Uni, avec des températures de surface dépassant de 5°C la moyenne.
Des glaciers assoiffés
L’Europe a reçu moins de neige qu’en temps normal. Combiné à plusieurs vagues de chaleur, ce phénomène a entraîné «une nouvelle année de fonte exceptionnelle des glaciers» dans les Alpes. Ceux-ci ont perdu environ 10% de leur volume restant au cours des années 2022 et 2023.
Des événements extrêmes à la pelle
Malgré une forte sécheresse dans la première partie de l’année, l’Europe a aussi été noyée sous des pluies abondantes. 2023 fut l’une de ses années les plus mouillées, avec 7% de précipitations de plus que la moyenne des 30 dernières années.
De nombreux pays européens, dont l’Italie, la Slovénie, la France, la Grèce ou la Suède, ont subi de sévères inondations au cours de l’année. Une série de tempêtes se sont également abattues sur l’ouest du continent à l’automne 2023, contribuant à des inondations d’ampleur. Plus de deux millions d’Européen·es ont été touché·es par ces événements (1,6 million pour les inondations et 550 000 pour les tempêtes) et un peu plus d’une centaine y ont perdu la vie.
À lire aussi
L’été a été marqué par de vastes incendies dans le sud de l’Europe. 96 000 hectares ont notamment brûlé en Grèce, dans le plus gros feu de forêt jamais recensé en Europe — c’est deux fois la superficie de la ville d’Athènes. Au total, 500 000 hectares sont partis en fumée dans le continent, soit l’équivalent des villes de Paris, Londres et Berlin. Les incendies ont fait 44 victimes et affecté quelque 36 000 personnes.
Un essor des renouvelables
En 2023, 43% de l’électricité produite en Europe l’a été à partir de sources d’énergie renouvelables — c’est aussi un record. «Pour la deuxième année d’affilée, la génération d’électricité à partir d’énergies renouvelables a dépassé la production liée à des combustibles fossiles polluants», souligne Rebecca Emerton, chercheuse au sein du service changement climatique de Copernicus. Un essor que l’on doit en partie aux événements climatiques extrêmes : la série de tempêtes a boosté le potentiel de production des éoliennes, tandis que les importantes précipitations ont favorisé l’énergie hydroélectrique. Enfin, l’ensoleillement a fait grimper le potentiel photovoltaïque dans le sud du continent et en Scandinavie.
Des records sans fin
Le rapport s’étire comme une série infinie de records en tous genres. Sommes-nous pour autant entré·es dans une ère de constants jamais-vu ? «Eh bien oui, les données montrent que l’on continue de battre des records tout le temps, répond à Vert Samantha Burgess, directrice adjointe du service de Copernicus chargé du climat. Tant que nous aurons des concentrations de gaz à effet de serre records, nous continuerons à vivre des événements extrêmes, qui deviendront de plus en plus fréquents et intenses». Les gaz à effet de serre sont principalement dus aux activités humaines, alimentées par la combustion d’énergies fossiles (pétrole, charbon et gaz), et sont responsables de l’emballement du climat.
Des conséquences pour la santé de plus en plus graves
«Le changement climatique est la plus grande menace sanitaire pour l’humanité», juge l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Les impacts sont multiples : il peut s’agir de pathologies liées à des événements extrêmes comme des vagues de chaleur (coup de chaleur), ou des inondations (contamination de l’eau par des bactéries), ou à l’apparition de zoonoses (maladies infectieuses transmises par des animaux aux humains, qui se multiplient avec le dérèglement du climat) — sans oublier des troubles mentaux liés à des conditions climatiques de plus en plus difficiles à supporter. On note d’autres effets indirects dus à la dégradation de la qualité de l’air, la sécurité alimentaire et l’accès à l’eau.
Les citoyen·nes et le système de santé sont en général bien sensibilisé·es aux conséquences de la chaleur, mais la perçoivent encore comme un risque faible, alerte le rapport. Pourtant, c’est la plus grande source de mortalité liée au climat : entre 2000 et 2019, près de 500 000 décès dans le monde étaient liés à la chaleur chaque année. En Europe, les décès attribués à la chaleur ont augmenté de 94% au cours des vingt dernières années — une tendance particulièrement inquiétante au vu de la multiplication des jours de stress thermique élevé ou extrême.
Face à cet enjeu majeur de santé publique, il est essentiel d’intégrer davantage le changement climatique aux politiques publiques de santé. Pour Andrew Ferrone, climatologue qui a participé au rapport : «Des mesures d’adaptation sont nécessaires pour aider les pays à passer de la gestion de crise à la gestion des risques».
Photo d’illustration : Inondations dans le Pas-de-Calais en novembre 2023. © Anthony Brzeski / AFP