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Palabre qui cache la forêt

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Les annonces pleuvent en marge de la COP26, mais beaucoup d'entre elles relèvent de l'artifice.


Protection des forêts : le "coup de comm" des Etats à la COP 

Langue de bois. Mardi, plus de cent Etats se sont engagés à protéger et restaurer les forêts à horizon 2030, malgré l’échec de leurs précédentes déclarations.

A la tribune de la COP26 mardi, le Premier ministre britannique Boris Johnson a affirmé que préserver les forêts était la « clef pour garder en vue l’objectif des 1,5 °C ». La veille, la présidence britannique avait annoncé une déclaration commune de plus de cent dirigeant•e•s sur ce thème. Canada, Russie, Etats-Unis, France et bien d’autres : à eux tous, les signataires abritent 85% des forêts mondiales. Parmi elles, des forêts humides qui hébergent entre 50 et 90% des espèces terrestres et dont le rythme de destruction est en forte hausse (Vert), comme la forêt tropicale du bassin du Congo et l'Amazonie au Brésil.

Cette initiative, dont le texte tient en une feuille A4, prévoit qu’Etats et institutions privées débloquent 19,2 milliards de dollars (16,5 milliards d’euros) sur cinq ans. « Grâce à cet engagementnous avons une chance de mettre fin à la longue histoire de l'humanité en tant que conquérante de la nature, et d'en devenir la gardienne», s’est ému sur Twitter Boris Johnson. « Rien de plus que ce que chacun avait prévu de mettre individuellement », tempère une source française proche du dossier. 

En libérant du CO2, la déforestation participe au réchauffement climatique. © Evaristo Sa / AFP

Alors qu’il n’existe toujours aucun accord international juridiquement contraignant sur les forêts, certain•e•s déplorent une occasion manquée. «C’est un coup de communication de la présidence britannique, confie à Vert la même source. Tout ce qui aurait pu avoir un peu de corps a été nuancé. » Un manque d’ambition aussi soulevé par Sylvain Angérand, coordinateur de campagne de l’ONG Canopée : « C'est un vide sidéral. J’en veux pour preuve la signature du Brésil, venu les mains vides à la COP. » Cette nouvelle déclaration rappelle celle de New-York en 2014 qui n’avait pas été suivie de beaucoup d’effets. Pour l’heure, ni les conditions de mise en œuvre concrètes du texte, ni celles de reporting (ce qui permet de mesurer l’efficacité des actions) ne sont connues.

De nombreuses incertitudes planent également sur la nature de la « protection » des forêts. S’exprimant à la tribune, le président colombien, Ivan Duque, a semé le doute : « Nous inscrirons dans la loi un engagement en faveur de zéro déforestation nette d'ici 2030 ». Or, la « déforestation nette » suppose que les forêts détruites sont compensées par de nouvelles plantations d’arbres qui n’ont aucune similarité avec des forêts anciennes tant sur le plan de la biodiversité que de la captation de carbone (vert). Un mélange d’essences douteux.  

· Pour affaiblir la transition énergétique, les poids lourds des énergies fossiles ont noyauté les organisations de défense des énergies renouvelables, révèle Disclose dans deux articles parus mardi. En France, le pétrolier Total, le gazier Engie et le mastodonte du nucléaire EDF ont ainsi conquis 26% des voix lors des assemblées générales de l’influent Syndicat des énergies renouvelables. Ces grands groupes ont également acheté leur place dans les conseils d’administration des lobbies européens, tels que Wind Europe ou Solar Power Europe, qui défendent respectivement l'éolien et le photovoltaïque auprès des institutions européennes. - Disclose

 

En neuf jours, Benjamin De Molliens a relié Lille à Glasgow en vélo et en voilier dans le cadre de son initiative « Expédition Zéro » : zéro déchet, zéro matériel neuf et zéro empreinte carbone. © Benjamin De Molliens

Contre vents et marées. Quelques jours avant la COP26, l’éco-aventurier Benjamin De Molliens s’est mis au défi de rejoindre le sommet pour le climat en vélo et à la voile depuis la France. Traversée des Alpes à pied, descente du canal du Midi en paddle, Benjamin est un habitué des expéditions sportives durables, qu'il nomme ses « expés zéro ». Mais cette fois-ci, il a décidé d’allier son goût pour le dépassement de soi à une occasion particulière : la COP26. « Les expés zéro sont des supers outils d’émotion pour fédérer les gens. C’était vraiment symbolique d’aller à la COP comme ça car ça permet de capter l’attention et de sensibiliser davantage aux enjeux qui y sont défendus », raconte l’éco-aventurier à Vert. Arrivé à Glasgow « pile pour la journée d’ouverture », Benjamin De Molliens s’active désormais en marge de la COP pour animer des ateliers pédagogiques de la Fresque du Climat et raconter ses expéditions passées dans le cadre d’une conférence. Un portrait à retrouver sur le site de Vert.

(re)foule des grands jours ! Environ 30 000 personnes ont prévu de participer à la COP26 mais y accéder se révèle être une aventure en soi. Après que des intempéries-record ont coupé certains accès à Glasgow ce week-end (Vert), c'est l'entrée au Scottish Event Campus (SEC), hôte de l’événement, qui se révèle chaotique (Guardian). Les restrictions sanitaires et de sécurité engendrent chaque matin des files d'attentes interminables, à tel point que les organisateurs s'en sont excusés par mail auprès des participant•e•s mardi soir. Pour améliorer leur temps d'attente, ils les prient « en cas de temps non clément, de venir préparé avec l'équipement approprié » ! Plus inquiétant, la circulation des participant•e•s à l'intérieur même du SEC est régi par un système de tickets anormalement restrictif, selon des organisations de la société civile. Le Climate Action Network, qui représente 1500 organisations dans 130 pays, a reçu seulement quatre tickets d'entrée pour accéder aux salles de négociations. « C'est un mauvais début sur l’inclusion de la société civile », a réagi Aurore Mathieu pour la branche française.

Mauvais calcul. Lundi, le Brésil a annoncé qu'il renforçait ses objectifs climatiques pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 50% d'ici à 2030 (par rapport à 2005) au lieu de 43% initialement. Le mauvais élève du climat aurait-il enfin pris la mesure de l'urgence ? Et bien non ! Le gouvernement a simplement utilisé un jeu de données différent pour que l'effort paraisse plus important. Sa première contribution climatique s’appuyait en effet sur le premier inventaire national des émissions qui estimait celles-ci à 2,1 gigatonnes de CO2 en 2005. Une baisse de 43% devait donc porter les émissions nationales à 1,2 gigatonne en 2030. La nouvelle feuille de route, elle, s'appuie sur le quatrième inventaire national des émissions qui a revu les chiffres à la hausse pour atteindre 2,4 gigatonnes de CO2 en 2005. Une baisse de 50% devrait donc porter les émissions en 2030 à … 1,2 gitatonne. El diabo est dans les détails, comme dirait Bolsonaro. 

Saint COP. Malgré leurs paroles fortes en introduction de la COP26 lundi et mardi (Vert), les grands de ce monde ont du mal à cacher leur désarroi devant l'ampleur de la tâche qui leur incombe. La preuve, ils donnent volontiers dans la superstition pour espérer inverser la courbe des émissions de CO2. Dimanche, les dirigeants du G20 – qui représentent 80% des émissions mondiales de CO2 – ont jeté une pièce dans la fontaine de Trévi à Rome pour invoquer la bonne fortune dans leur lutte contre le changement climatique. Mardi, c’est le Président américain Joe Biden qui a terminé l'une de ses interventions par cette incantation christique : « que dieu vous bénisse tous et puisse-t-il sauver la planète ». Au moins, « le gouvernement américain a cessé de croire en la main invisible du marché pour son action climatique », a raillé une twittos, néanmoins ravie.

Budget Carbone. N. m. : pour espérer contenir l’élévation des températures, l’humanité ne peut plus émettre qu’une certaine quantité de gaz à effet de serre : c’est ce que l’on appelle les « budgets carbone ». Comme l’a rappelé le Giec dans la partie scientifique de son dernier rapport parue en août (Vert), pour s’assurer (à 83%) de rester sous la barre de 1,5°C de réchauffement d’ici 2100, les États ne peuvent plus relâcher que 300 gigatonnes (Gt – milliards de tonnes) de CO2, soit environ huit années au rythme actuel. Et 900Gt pour ne pas dépasser 2°C. Retrouvez ici l’épuisement de ces budgets, actualisés en temps réel.


« On veut que les acteurs financiers engagés dans un objectif de neutralité carbone joignent enfin le geste à la parole »

- Lucie Pinson, directrice générale de l’ONG Reclaim Finance

Dans un entretien accordé à Vert, Lucie Pinson se dit peu optimiste sur les avancées de la COP26 en termes de finance durable. Pour la directrice de Reclaim Finance, les États pourraient jouer le rôle de régulateurs et forcer la main des acteurs financiers privés pour accélérer le désinvestissement dans les énergies fossiles. Mais malheureusement, tout est question d’ambition politique et les signaux sont loin d’être au vert. 

 

105 Etats s'unissent pour réduire les émissions de méthane, puissant moteur du réchauffement

Ça gaz. Mardi, lors du sommet des leaders de la COP26, les Etats-Unis et l'Union européenne, rejoints par plus de 80 nations, se sont promis de réduire les émissions mondiales de méthane de 30% d'ici 2030 (par rapport à 2020).

D'une durée de vie plus courte, le méthane a un pouvoir de réchauffement 86 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone (CO2) au cours des vingt premières années passées dans l'atmosphère. Aussi, comme l'a rappelé la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, pour lutter contre le dérèglement climatique, la réduction des émissions de méthane (CH4) est « le fruit le plus facile à cueillir » et qui donnera les résultats les plus rapides.

Hier, en compagnie du président des Etats-Unis Joe Biden, elle a annoncé le lancement officiel du Global methane pledge ; un « serment » entre Etats réunissant 60% du PIB mondial et 40% des émissions mondiales de méthane. Parmi les signataires, figurent de gros émetteurs comme l'Indonésie, le Canada, ou le Brésil. Mais la Russie, l'Inde et la Chine manquent à l'appel.

Joe Biden et Ursula Von der Leyen © Chris Jackson / AFP

Joe Biden et Ursula von der Leyen se sont gardés de présenter en détail leurs plans d'action respectifs. Mais tous deux ont indiqué qu'ils miseraient sur la détection et la réparation des fuites de CH4 causées par l'industrie fossile lors de l'extraction de charbon, de pétrole ou de gaz « naturel » (ce dernier est constitué pour l'essentiel de méthane).  « En matière de réduction des gaz à effet de serre, ce qu'attend l'ONU c'est -55% d'ici 2030 [pour contenir le réchauffement à moins de 1,5°C], pas -30% », indique à Vert Clément Sénéchal, porte-parole de Greenpeace France sur le climat. Il regrette également qu'aucune annonce n'ait été faite sur l'agriculture, qui constitue pourtant la première source d'émissions de méthane.

Outre un effet rapide sur l'évolution du climat, la réduction des échappements de méthane aurait d’innombrables effets positifs. Une baisse de 45% permettrait d'éviter, chaque année, 260 000 morts prématurées, 775 000 hospitalisations pour des crises d’asthme, ou la perte de 25 millions de tonnes de cultures en raison des sécheresses liées au réchauffement, comme l'avait indiqué en mai un rapport de l'ONU.

+ Justine Prados, Loup Espargilière et Juliette Quef ont contribué à ce numéro