Sur la Zad du Verger, à Verfeil (Haute-Garonne), une dizaine d’opposant·es à l’autoroute A69 entre Toulouse et Castres occupent des arbres ainsi que le toit de la dernière maison debout sur le tracé, afin de retarder le chantier. Elles et ils nous racontent.
«Ils tapent avec leurs machines sur la maison, ça vibre de tous les côtés», préviennent d’emblée les activistes, joint·es par Vert lundi après-midi. Elles et ils sont installé·es depuis neuf jours dans le grenier et sur le toit de la maison d’Alexandra, la dernière locataire expropriée sur le tracé de l’autoroute. Lundi 16 septembre, elle rendait les clés de son logement posé au cœur d’un écrin de verdure surnommé «le Verger», après plusieurs mois de conflit avec le concessionnaire, Atosca, et après avoir subi de nombreuses tentatives d’intimidation. Au même moment, des opposant·es ont grimpé sur le toit tandis que des «écureuils» — le nom que se donnent les militant·es qui se perchent dans les arbres pour empêcher leur abattage — montaient à nouveau dans les branches pour retarder l’avancée des pelleteuses.
Les écureuils et les chauves-souris
Huit jours plus tard, il en reste une dizaine, réparti·es dans trois arbres et dans le grenier de la maison. «Les écureuils sont dans les arbres et nous on s’est appelés les chauves-souris puisqu’on est installés dans le grenier», explique Lou*, l’une des occupant·es de la maison. Depuis vendredi, elles et ils sont «en siège» puisque les forces de l’ordre restent présentes en nombre toute la nuit — les zadistes ont compté jusqu’à treize camions de CRS sur place le soir. Leurs vivres, elles, fondent à vue d’œil.
Plusieurs tentatives de ravitaillement ont eu lieu au cours du week-end, mais elles ont échoué — quatre personnes ont été interpellées alors qu’elles tentaient d’apporter de la nourriture dans la nuit de samedi à dimanche. Lundi, plusieurs activistes ont volontairement quitté la maison, donnant lieu à des négociations avec les forces de l’ordre. «Ce matin, on a échangé quatre personnes qui voulaient descendre contre quatre sacs de nourriture», raconte Tim*, «à savoir qu’un sac contenait une ration d’un jour pour une personne et deux litres d’eau. C’est pas grand chose».
Des privations de sommeil répétées
Les opposant·es se plaignent aussi d’un sommeil volontairement perturbé par les forces de l’ordre. «Vers trois heures environ cette nuit, on a entendu de gros bruits en bas de la maison, puisqu’ils ont accès au rez-de-chaussé. Ils ont crié, tapé dans les murs et fait du bruit pendant peut-être une heure», témoigne Alex*. «Il y a aussi des abus au niveau du bruit et des lumières dehors, avec des spots qui nous éclairent h24 [nuit et jour, NDLR].» Des vidéos temporaires partagées sur les réseaux sociaux à plusieurs reprises (dont ici) font bien état de sifflements répétés et de lumières vives en pleine nuit.
En février, sur la Zad de la Crém’arbre à Saïx (Tarn), des «écureuils» se plaignaient déjà de méthodes nocturnes similaires (notre article). Une situation qui avait notamment entraîné la visite de Michel Forst, rapporteur des Nations unies sur les défenseur·ses de l’environnement, auprès des activistes. Le représentant onusien avait alors sévèrement rappelé que la privation délibérée de sommeil par les forces de l’ordre entre «dans le cadre de l’interdiction des traitements cruels, inhumains ou dégradants» de la Convention européenne des droits de l’Homme. Interrogée par Vert à ce sujet, la préfecture de l’Occitanie n’a pas souhaité réagir : «S’agissant d’une opération en cours s’effectuant selon les règles en vigueur, la préfecture n’a pas de commentaires à faire».
«Un cimetière d’arbres»
Après neuf jours de siège, les occupant·es de la maison ont du mal à réaliser à quel point le terrain qui les entoure a été défiguré. «Les premiers jours, ça faisait comme un bruit de tonnerre pour chaque arbre qui tombait. C’est devenu un cimetière d’arbres sous nos cris et ceux des écureuils. Avant, c’était un verger où on a vécu, et maintenant c’est un chantier», déplore Tim. Depuis plusieurs jours, les ouvriers déversent des tonnes de terre autour de la maison, à tel point que le rez-de-chaussé est désormais complètement immergé. De quoi laisser craindre aux militant·es qu’elle finisse par s’effondrer sous la pression de la terre sur les murs.
Malgré des échanges tendus avec les forces de l’ordre, les chauves-souris reconnaissent une situation plus favorable que dans le Tarn, où les opposant·es à l’A69 dénonçaient un harcèlement juridique plus virulent (Vert en parlait ici, ici ou encore là). «On a l’impression qu’ils sont beaucoup plus cléments avec les charges juridiques, notamment pour les gardes à vue qui sont moins longues et éprouvantes qu’elles ont pu l’être à la Crém’arbre ou à la Cal’arbre», admet Lou. «On se dit qu’ils n’ont peut-être pas envie de répéter les mêmes abus qu’il y a eu dans le Tarn», abonde Tim.
Alors que les travaux se poursuivent et que les machines se rapprochent inexorablement de la maison occupée, les occupant·es n’ont aucune intention de bouger. «On est prêts à tenir aussi longtemps que possible», martèlent les chauves-souris, «et on n’a pas prévu de descendre tant qu’ils ne viennent pas nous chercher par eux-mêmes»*. La maison et l’ancien jardin du Verger sont la dernière zone du tracé de l’autoroute à encore devoir être rasée pour que le chantier puisse se poursuivre.
* À la demande des personnes interviewées, il s’agit de pseudonymes.
[Mise à jour de l’article le 24 septembre à 17h45, avec l’ajout de la réaction de la préfecture]