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«Ma vie a basculé» : Jérôme, Racha, Marie, Evelyne, Mohamed… ces sinistrés climatiques attaquent l’État en justice

Le siècle va leur tomber sur la tête. Dans un recours lancé ce mardi, plusieurs victimes du changement climatique et les trois associations qui forment le collectif l’Affaire du siècle enjoignent l’État à muscler sa politique d’adaptation aux impacts du dérèglement du climat.
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«J’ai été inondé huit fois en quatre mois, pendant l’hiver 2023-2024. Dans ces cas-là, la seule chose à faire est d’ouvrir les portes et de laisser passer l’eau», déplore Jérôme Sergent auprès de Vert. Installé à Rumilly, dans le Pas-de-Calais, ce paysan subit sans cesse de fortes précipitations qui noient ses terres, détruisent son matériel et tuent ses volailles.

À Mayotte, c’est le manque d’eau qui se fait sentir : «C’est difficile de se réveiller après une nuit cauchemardesque, à attendre que l’eau vienne, et de dire à ses enfants qu’il n’y aura pas de petit déjeuner, qu’ils ne pourront pas se laver ou se brosser les dents», raconte Racha Mousdikoudine, présidente de l’association Mayotte a soif. Cette Mahoraise dénonce les coupures du robinet à répétition qui touchent son territoire à cause des sécheresses et des infrastructures vétustes.

Les sinistré·es du recours. En haut, de gauche à droite : Racha Mousdikoudine, Salma Chaoui, Jean-Raoul Plaussu-Monteil, Evelyne Boulongne, Florent Sebban et Jérôme Sergent. En bas, de gauche à droite : Rania Daki, Salim Poussin, Marie Le Mélédo, Mohamed Benyahia et Jean-Jacques Bartholome. © Affaire du siècle

Ces victimes du changement climatique font partie du groupe de onze demandeur·ses d’un recours contre l’État français, rendu public ce mardi. Jérôme, Racha, Marie, Jean-Jacques, Evelyne, Mohamed et les autres viennent de toute la France et subissent des phénomènes causés ou amplifiés par le dérèglement climatique. Il peut s’agir de canicules qui rendent inhabitables les logements, de pertes agricoles, ou encore du retrait-gonflement des argiles – des fissures dans les habitations causées par l’alternance de sécheresses et de fortes pluies.

Certain·es représentent leurs intérêts individuels. D’autres défendent ceux de collectifs de victimes, comme l’Association nationale des gens du voyage citoyens ou l’ONG Ghett’up, qui sensibilise les jeunes de quartiers populaires aux injustices climatiques. Elles et ils se sont joint·es aux trois associations qui forment le collectif de l’Affaire du siècle : Oxfam, Greenpeace et Notre affaire à tous.

Un recours inédit

En 2018, ces organisations avaient lancé l’Affaire du siècle, une grande pétition et un recours en justice contre l’inaction climatique de la France – cette procédure avait finalement abouti à la condamnation de l’État en 2021. Cette fois-ci, l’Affaire du siècle et ces sinistré·es du climat s’attaquent à la politique d’adaptation de la France, censée préparer les citoyen·nes aux conséquences les plus brutales du dérèglement climatique. Cette stratégie a notamment été détaillée dans le troisième Plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc), rendu public en mars et jugé largement insuffisant par de nombreuses associations (notre article).

© L’affaire du siècle

La procédure s’appuie sur l’obligation d’adaptation au changement climatique, qui est à la charge de l’État – elle est notamment inscrite dans la Charte de l’environnement, qui a une valeur constitutionnelle, et qui est aussi confortée par le droit européen. «C’est la première fois qu’un État de l’Union européenne est attaqué par des habitants sur son obligation de les protéger des impacts du changement climatique», souligne Cléo Moreno, coordinatrice juridique du recours, qui pointe son caractère «inédit».

«On vit avec une épée de Damoclès»

«On voulait mettre en avant des personnes touchées en premier lieu, pour placer l’État devant ses responsabilités. C’était très important pour nous qu’elles soient requérantes à nos côtés», abonde Jérémie Suissa, délégué général de Notre affaire à tous.

«Derrière ces arguments juridiques, il y a des réalités bien tangibles, des maisons fissurées, des foyers inhabitables, et le tout sans véritable soutien de l’État», appuie Cléo Moreno. «On vit avec une épée de Damoclès, une terrible incertitude. À chaque fois qu’il pleut, on se dit qu’on va encore y avoir droit», témoigne Jérôme Sergent, victime d’inondations à répétition dans le Pas-de-Calais.

Mohamed Benyahia vit avec la peur du retrait-gonflement des argiles, qui touche sa maison à proximité du Mans (Sarthe) depuis sept ans – au total, plus de dix millions d’habitations sont concernées par ce risque en France. «En 2018, à cause des canicules intenses, de premières fissures sont apparues sur ma maison. À partir de ce jour-là, ma vie a basculé. Tous les jours, nous entendons des craquements, découvrons des fissures de plus en plus profondes. C’est un sinistre qui ne s’arrête pas», explique Mohamed Benyahia à Vert. Depuis, il n’ose plus inviter ses enfants à dormir chez lui, pour des raisons de sécurité, et critique l’abandon total de l’État face à ces «drames psychologiques et humains».

Une longue bataille judiciaire à venir

«C’est un combat de longue haleine qui nous attend, on va s’engager dans la durée pour faire en sorte de gagner et d’enfin préparer la France à faire face aux conséquences du changement climatique dans la vie de chacune et chacun», martèle Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam.

Dans un premier temps, les requérant·es ont transmis une demande préalable, c’est-à-dire un courrier adressé au gouvernement pour qu’il révise le Pnacc et adopte de nouvelles mesures pour protéger ses habitant·es. L’État a désormais deux mois pour répondre positivement à la sollicitation.

Si ce n’est pas le cas, ce qui est jugé très probable par les avocat·es du recours, le Conseil d’État sera officiellement saisi. La procédure ne vise pas à obtenir des indemnisations individuelles pour les sinistré·es, mais seulement à renforcer la politique de l’État sur les questions d’adaptation. Pour ces victimes du changement climatique, il y a urgence à agir : «Ce n’est pas à nous de faire des économies en eau, c’est à l’État de nous fournir suffisamment d’eau pour nous-mêmes et pour nos enfants, illustre Racha Mousdikoudine, de Mayotte. Nous attendons des réponses qui soient enfin à la hauteur de la gravité de la situation.»

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