Reportage

«Mettre l’écologie au service des priorités des jeunes» : dans les quartiers populaires, l’association Ghett’up fait de la sensibilisation pour et par les premiers concernés

A mille banlieues. Les initiatives pour sensibiliser les jeunes aux inégalités environnementales sont de plus en plus nombreuses dans les quartiers populaires. Elles prennent en compte leur engagement déjà existant et leurs priorités du quotidien. Vert s’est rendu à un atelier de l’association Ghett’up sur l’injustice climatique à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).
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La pollution», «les soucis de la terre», «jeter des trucs par terre». En ce lundi après-midi des vacances de la Toussaint, deux fratries de 6 à 12 ans essayent de répondre à la question «qu’est-ce que l’injustice climatique ?» Ils et elles participent à un atelier animé par l’association Ghett’up, qui œuvre en faveur de la justice sociale pour les jeunes de quartiers populaires. Les enfants sont plutôt habitué·es à venir dans ce local du centre-ville de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) pour l’aide aux devoirs, mais aujourd’hui leur formatrice Noor Chayet leur parle inégalités sociales et environnementales.

L’occasion de leur montrer qu’ils et elles font partie des premier·es concerné·es par ces injustices. À sa question : «qui est né à Saint-Denis, à l’hôpital Delafontaine ?», tous les enfants répondent à l’affirmatif. Elle leur explique que le centre hospitalier de Saint-Denis est situé entre l’autoroute A1 et une autre voie rapide. Il est donc exposé aux particules fines et au dioxyde d’azote dégagés par les véhicules, des émissions qui accroissent le risque de développer des pathologies respiratoires, de l’asthme ou des maladies cardiovasculaires. Y compris pour les bébés qui naissent à l’hôpital Delafontaine, la plus grande maternité de France. «Moi aussi je suis asthmatique», s’identifie Yannis, 11 ans.

L’artiste The girl in Yellow a élaboré une BD sur les injustices climatiques pour servir de support aux ateliers avec les enfants © Mathilde Picard/Vert

Exposition à la pollution de l’air, précarité alimentaire ou encore logements insalubres : autant d’injustices environnementales concrètes qui sont abordées avec les enfants. Grâce à des planches de BD réalisées par l’artiste The girl in Yellow, les participant·es de l’atelier font le lien entre leur quotidien et ces sujets écologiques.

«Chez ma tante, elle habite à Villejuif, y a des traces noires en haut des murs», raconte Manar, 10 ans, à qui Noor Chayet répond que c’est à cause de l’humidité. La formatrice vulgarise des informations mises en évidence par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’instance a montré que la mauvaise qualité d’un logement pouvait provoquer des pathologies respiratoires, cardiovasculaires ainsi que du stress ou des dépressions.

Si les problèmes évoqués sont structurels, l’atelier est aussi un moment pour parler de solutions accessibles. Au cours de la discussion, Noor Chayet montre aux enfants à quel point certains engagements écologiques font déjà partie de leur quotidien. Elles et ils discutent de la pratique de la récup’, de la seconde main, du partage des habits avec les petits cousins ou encore de la solidarité avec les pays du Sud où nombre de jeunes des quartiers populaires ont leurs racines. «Quand il y a eu un séisme au Maroc j’ai fait des dons», s’exclame Manar.

Lors de l’atelier sur l’injustice climatique, Noor Chayet parle de précarité alimentaire avec les enfants grâce à une BD. Lorsqu’elle intervient auprès de collégien·nes et lycéen·nes, elle utilise une fresque du climat version injustices socioenvironnementales. © Mathilde Picard/Vert

Toutes ces actions du quotidien ont été mises en lumière dans le rapport de Ghett’up sorti le mois dernier. Issu de plus de 100 témoignages et de recherches approfondies, celui-ci montre que l’engagement au sein des quartiers populaires existe sous une forme non institutionnelle. La rédactrice de l’étude, Sarah-Maria Hammou, explique à Vert que «la majorité des jeunes que l’on a interrogée ne se disaient pas engagés mais, en creusant, on s’est rendu compte qu’ils l’étaient auprès de leurs voisins, dans la vie associative de leur quartier, et dans des projets dans les pays du Sud, en faisant des dons à des initiatives pour développer l’autosuffisance alimentaire ou installer des panneaux photovoltaïques par exemple».

Les premier·es concerné·es par les effets du changement climatique agissent mais «leur engagement n’est pas valorisé de la même façon que s’ils étaient dans une association écologiste comme WWF, associations au sein desquelles ils ne se sentent pas légitimes», déplore Sarah-Maria Hammou.

«Nos parents, quand ils étaient au pays, cultivaient et échangeaient entre eux des salades, des tomates, des oignons… cette entraide nous a été transmise et on la répète dans le quartier», souligne Diangou Traoré, militante à l’association Franc-Moisins Citoyenne de Saint-Denis. Un héritage qu’elle revendique et qui concerne aussi son rapport aux ressources : «dès la maternelle, on se lavait au sceau, on a été façonné par l’idée que l’eau, c’est une denrée rare, qu’il ne faut pas gaspiller et faire attention à ce que l’on jette».

Du côté des associations, de plus en plus d’initiatives mêlent les questions environnementales à l’éducation populaire. À l’échelle nationale, l’association Makesense organise des ateliers «Transition juste» auxquels 3 000 jeunes auront participé fin 2024. L’association Camplus, elle, fait de l’éducation populaire au travers de séjours pédagogiques. La semaine organisée en octobre a porté pour la première fois sur l’injustice climatique.

Cette transmission d’une sensibilité aux sujets environnementaux ne fonctionne que si les associations «mettent l’écologie au service des priorités des jeunes», explique Irène Colonna d’Istria, directrice du programme «Transition juste» de Makesense. Ces priorités sont «l’insertion et l’ascension professionnelle», énonce à Vert, Bryan, 31 ans. Il est bénévole au sein du pôle éducation de Ghett’up et consultant auprès de France travail. «Pour avoir un logement décent, il faut un certain type de salaire», rappelle-t-il.

Bryan, bénévole au sein du pôle éducation de Ghett’up, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) © Mathilde Picard/Vert

Selon lui, son engagement est une manière de lutter contre des injustices qui, comme les autres, ont jalonné son parcours : «mes parents sont arrivés dans un quartier populaire parce qu’ils ont dû fuir la République démocratique du Congo à cause des guerres financées par l’exploitation des diamants. On a vécu dans un appartement mal isolé et humide, avec des moisissures au plafond. Mes parents ont développé des maladies cardiovasculaires».

Prendre en compte les inégalité dont souffrent les jeunes et valoriser les formes d’engagements qui leur sont déjà transmises est essentiel pour éviter d’entretenir des injustices, explique Sarah-Maria Hammou. C’est ce qu’a vécu une des personnes interviewées dans le rapport, raconte-t-elle : «Lors d’une formation sur l’environnement, on lui a conseillé de s’engager pour faire du BTP “vert”, il n’a pas compris pourquoi l’écologie le ramenait à une condition que ses parents l’incitaient à dépasser parce qu’ils n’étaient pas respectés en tant qu’ouvriers du BTP.»

Pour cela, la formation aux enjeux climatiques pour, et surtout par, les jeunes des quartiers populaires apparaît comme une solution robuste. C’est le crédo de Ghett’up, où les adhérent·es deviennent souvent des bénévoles ensuite, et de l’association Banlieues Climat qui a récemment inauguré son école de formations sur la crise environnementale.