Tandis que deux tiers des Français·es boivent l’eau du robinet, le magazine Sur le Front a rappelé sa contamination par plusieurs polluants (nitrates, PFAS…). L’enquête montre que les eaux en bouteille ne sont pas davantage préservées. Alors vers laquelle se tourner pour protéger au mieux notre santé ?
«Toutes nos masses d’eau sont polluées, y compris celles qui seront mises en bouteilles.» C’est le constat que dresse à Vert Julie Mendret, chercheuse en traitement de l’eau à l’université de Montpellier. «Les eaux en bouteille le sont dans de moindres proportions, parce que ce sont des ressources plus profondes», précise-t-elle. En février dernier, l’eau de source Fiée des Lois a été retirée du marché à cause d’un taux trop élevé en résidus de pesticides. L’association Générations futures a également montré grâce à des analyses que 63% des eaux minérales contenaient du TFA, un polluant persistant de la grande famille des PFAS.
Mardi 3 décembre, le réseau d’action contre les pesticides (PAN Europe) a publié les résultats détaillés de ces analyses. Selon celles-ci, certaines eaux minérales ont une teneur en TFA 32 fois plus élevée que le seuil limite appliqué aux résidus déjà analysés dans l’eau potable. Les conséquences sur la santé de l’acide trifluoroacétique sont encore peu étudiées, mais de récentes études montrent qu’il serait toxique pour la reproduction.
En juillet dernier, l’ONG avait déjà montré que l’eau du robinet contenait cette molécule, et à des taux très importants dans certains départements. À Paris, la teneur en TFA s’élevait ainsi à 2,1 microgrammes par litre (µg/l), soit 20 fois plus que le seuil de qualité.
Mieux connaître la qualité de l’eau de son robinet
En France, le TFA, comme d’autres molécules à risques, n’est pas surveillé avant d’arriver dans notre robinet. Malgré tout, Julie Mendret se veut rassurante sur la qualité de l’eau : «Certains pesticides et leurs résidus, ainsi que certains PFAS, ne sont pas contrôlés dans l’eau du robinet, mais on en analyse quand même beaucoup et de nombreuses stations sont équipées pour traiter ces molécules».
Les PFAS entrent dans la composition de plusieurs pesticides et de nombreux objets du quotidien (poêles, tissus imperméables…), d’où leur présence dans l’eau, qu’elle provienne des nappes phréatiques, de sources ou de nappes souterraines. À partir de 2026, les Agences régionales de santé (ARS) devront prendre en compte une vingtaine de PFAS dans leurs contrôles.
L’association Générations futures enjoint à suivre davantage de ces polluants, dont le TFA, qui ne fait pas encore partie des contrôles prévus. En attendant de meilleures analyses, elle recommande de continuer à boire l’eau du robinet plutôt que celle en bouteille.
Et pour cause, l’eau courante reste l’un des aliments les mieux surveillés en France et l’on peut connaître les résultats de son analyse région par région. Chaque ARS dispose d’une liste de critères pour évaluer la qualité de son eau.
Si Le Monde et le magazine Complément d’enquête ont révélé en 2022 que 20% des Français·es buvaient une eau jugée non conforme à cause des résidus de pesticides, celle-ci n’est pas considérée directement comme à risque et impropre à la consommation.
Julie Mendret nuance les risques que représente l’eau en termes d’absorption de PFAS et de résidus de pesticides au quotidien. «On ingère seulement 5% de pesticides par le biais de l’eau, on consomme beaucoup plus ces molécules par l’alimentation», rappelle-t-elle.
L’eau en bouteille demeure une solution d’appoint et temporaire dans certains cas de pollutions localisées, lorsque les autorités sanitaires le recommandent en raison de contaminations bactériologiques ou de trop grande quantité de résidus toxiques.
L’eau en bouteille est-elle traitée ?
Antoinette Guhl, sénatrice écologiste et rapporteure de la mission sénatoriale sur le contrôle des traitements des eaux minérales et de source dénonce le manque de transparence des industriels sur le contrôle de leurs eaux embouteillées. «Il faut mieux informer le consommateur des traitements qui sont appliqués aux eaux minérales naturelles», plaide l’élue.
Ces ressources, censées être pures, doivent subir des traitements limités. Or, deux enquêtes ont mis au jour les pratiques illégales des groupes Nestlé waters et Alma pour avoir traité leurs eaux minérales (Vittel, Contrex et Perrier) pendant des décennies. Nestlé waters a été contraint de payer une amende de deux millions d’euros à l’issue d’un accord avec le parquet d’Épinal (Vosges).
«C’est parce que les eaux sont polluées que les minéraliers ont eu recours à des moyens illégaux pour les purifier», rappelle à Vert Camille Wolff, chargé de campagne réduction de plastique pour l’ONG No plastic in my sea. Ces eaux, pas si cristallines, coûtent pourtant cher aux consommateur·ices : en boire est «en moyenne 150 à 200 fois plus cher que l’eau du robinet», note Camille Wolff.
Les micro-plastiques, un danger encore méconnu qui pèse sur nos bouteilles
L’eau minérale ne peut être considérée comme sans risque sur la santé à partir du moment où elle est conservée dans des contenants en plastique : «L’eau en bouteille contient des nanoparticules de plastique dont des prémices d’études montrent les effets délétères sur l’organisme», rapporte Julie Mendret. Selon une étude publiée dans la revue scientifique PNAS, un litre d’eau en bouteille contient en moyenne jusqu’à 240 000 particules de plastiques. Celles-ci peuvent détériorer le système immunitaire et endocrinien et sont associées à des risques cardiovasculaires accrus, selon une étude du New england journal of medicine.
«Plus le contenant est utilisé, plus le liquide se charge en micro plastiques», abonde Camille Wolff. Il soulève un autre sujet d’inquiétude : la dangerosité des additifs qui composent le plastique est peu étayée. Dans un rapport publié en 2023, le parlementaire Philippe Bolo (MoDem) rappelait que 3 200 produits chimiques utilisés dans la fabrication du plastique sont jugés préoccupants pour la santé par les scientifiques. Seuls 130 de ces molécules sont réglementées par des conventions internationales.
Contre la pollution de l’eau, des solutions systémiques
Plutôt que de se rabattre sur l’eau en bouteille, des solutions plus systémiques existent pour contrer la pollution de l’eau :
· Interdire les polluants aux alentours des aires de captage d’eau. Cette réduction peut passer par l’interdiction de production ou d’utilisation de certains PFAS, ainsi que par l’interdiction de l’utilisation de produits phytosanitaires dans les exploitations à proximité des points de captage de l’eau. La régie Eau de Paris a par exemple mis en place un dispositif d’aide aux agriculteur·ices pour leur permettre de réduire l’utilisation de pesticides grâce à des aides financières. Leurs résultats publiés le mois dernier montrent qu’entre 2019 et 2023, les surfaces en bio ont été multipliées par quatre sur toutes les aires d’alimentation de captage d’Eau de Paris.
· «Traiter l’eau en station à grande échelle pour distribuer la même ressource à tous» est préférable en termes de coûts et d’efficacité, pour Julie Mendret – plutôt que d’appeler à se doter de systèmes de filtration individuels. Selon la chercheuse, il ne faut pas opposer les actions préventives (passer à l’agriculture biologique, interdire les PFAS) et celles curatives (améliorer les systèmes de filtration). La chercheuse note que «si l’on arrêtait tout de suite les pesticides et les PFAS, on serait tout de même obligé de se tourner vers ces technologies pendant une dizaine d’années, le temps de dépolluer.»
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