Le rapport

Le Haut conseil pour le climat appelle à un «sursaut collectif urgent» de l’action climatique en France

Chaud conseil pour le climat. La France a largement ralenti le rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre et doit se ressaisir pour atteindre ses prochains objectifs, alerte le Haut conseil pour le climat dans son rapport annuel. Décryptage.
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Ironie du sort ou hasard du calendrier, la publication du septième rapport annuel du Haut conseil pour le climat (HCC) intervient alors qu’une canicule précoce et intense a frappé la France ces derniers jours. Créé en 2018, cet organisme indépendant composé de douze expert·es évalue chaque année l’action publique sur le climat lors des douze derniers mois et émet des recommandations à destination du gouvernement, qui est ensuite chargé d’y répondre dans les six mois.

L’année 2024 a été marquée par une aggravation des impacts du changement climatique sur le territoire comme dans le monde entier. Elle a été l’année la plus chaude jamais mesurée sur la planète et a dépassé pour la première fois le seuil de +1,5 degré (°C) de réchauffement par rapport à la période préindustrielle (deuxième moitié du 19ème siècle) – soit l’objectif de l’Accord de Paris pour le climat (scellé en 2015) pour limiter les conséquences du changement climatique.

En France, la hausse des températures observée entre 2015 et 2024 a atteint les +2,2°C – l’Europe faisant partie des régions du monde qui se réchauffent le plus vite. Plus de 3 700 décès ont été liés à une exposition à la chaleur durant l’été 2024. Les lourdes inondations qui ont touché le Nord et le Pas-de-Calais pendant l’hiver 2023-2024 ont coûté entre 520 et 615 millions d’euros, tandis que les outre-mer ont connu des événements extrêmes dévastateurs, dont les cyclones Belal à la Réunion et Chido à Mayotte.

Un «ralentissement notable» des baisses d’émissions

Il y a un an, le HCC avait salué les efforts concédés par la France pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) et enrayer le dérèglement climatique. Cette année, ses conclusions sont un peu plus contrastées.

Le budget carbone fixé pour 2019-2023 a été respecté lorsque l’on parle des émissions «brutes» de gaz à effet de serre (celles qui ne prennent pas en compte le rôle des puits de carbone, dont les forêts ou les sols, qui absorbent et stockent du CO2). Le budget «net» est également atteint, mais seulement grâce au stockage temporaire du CO2 dans le bois mort, lié à une forte mortalité des forêts l’année dernière. Bémol : ce dernier va se décomposer, et donc cesser de stocker le carbone, ce qui sera un handicap pour l’atteinte des prochains objectifs, avertit le HCC.

En 2024, les émissions brutes ont diminué de 1,8% par rapport à l’année précédente. Un «ralentissement notable» par rapport à la baisse de 6,7% entre 2022 et 2023, souligne Jean-François Soussana, ingénieur agronome et président du Haut conseil pour le climat.

Non seulement le rythme a fortement ralenti en 2024, mais les efforts enregistrés ont aussi été largement conjoncturels, c’est-à-dire liés à la situation du moment et non pas à une politique de long terme. Ainsi, pas moins de 70% des baisses d’émissions mesurées étaient liées à des circonstances particulières, contre seulement un tiers en 2023.

Parmi ces circonstances, on retrouve notamment la reprise de la production nucléaire après des arrêts de centrales les années précédentes, un hiver doux qui a fait baisser la consommation énergétique de chauffage, ou encore une réduction du cheptel bovin. Sur ce dernier point, «ce n’est pas un phénomène politique qui a entraîné cette diminution, précise Marion Guillou, agronome et membre du HCC. C’est lié aux conditions socio-économiques des éleveurs qui font que de plus en plus d’entre eux arrêtent leur activité.»

Doubler le rythme de réduction

Il va désormais falloir accélérer la cadence à tout prix, martèle le Haut conseil pour le climat dans son rapport. Pour respecter les objectifs du prochain budget carbone à horizon 2030, le rythme de réduction des émissions devra tout simplement doubler. Dans le détail des secteurs, il devra être multiplié par 3,9 pour les transports, par 2,8 pour l’agriculture, par 9,3 pour les bâtiments et par 29 pour les déchets. Seul le domaine de l’énergie est dans les clous pour le moment – notamment grâce à l’augmentation de la production d’énergie renouvelable et au retour en force du nucléaire.

Dans la plupart des secteurs, le HCC note une insuffisance des politiques publiques actuelles et fustige l’instabilité de certains dispositifs. On pense notamment à MaPrimeRénov’, que le gouvernement avait annoncé supprimer en juin, avant de faire machine arrière et de finalement suspendre le dispositif le temps de l’été.

Les enjeux écologiques sont «instrumentalisés dans le débat politique», décrypte Sophie Dubuisson-Quellier, sociologue et membre du HCC. © Nicolas Economou/NurPhoto via AFP

L’organisme dénonce «l’affaiblissement du pilotage» de l’action climatique et le retard de certains textes essentiels à la transition. C’est le cas du renouvellement de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) – deux textes respectivement chargés d’établir la feuille de route énergétique et la trajectoire de réduction des émissions pour les années à venir.

Cette situation empêche les acteurs économiques et les territoires de s’engager pleinement dans la transition, estime le HCC. Autant de signaux négatifs, alors qu’il est urgent de redoubler d’efforts pour limiter l’impact du changement climatique, ont récemment signalé des scientifiques du monde entier. Le HCC avait déjà alerté sur le retard de ces textes l’année dernière, mais l’instabilité politique depuis l’été dernier n’a pas permis leur aboutissement.

Une instabilité politique en défaveur de l’action climatique

«L’incertitude gouvernementale pèse sur la pérennité des politiques publiques», confirme Diane Strauss, directrice de l’ONG Transport & environment et membre du HCC. Elle souligne le cas de l’interdiction de la vente de véhicules thermiques dès 2035 au niveau européen, une mesure soutenue par la France depuis plusieurs années. Ces derniers mois, les nouveaux équilibres politiques dans le pays ont remis cette question sur la table et relancé les débats, retardant ainsi l’action publique.

«La société est extrêmement polarisée et les enjeux climatiques ont été happés dans ce processus, ils sont actuellement instrumentalisés dans le débat politique. C’est une mauvaise grille de lecture, car les impacts du changement climatique vont concerner tout le monde», décrypte Sophie Dubuisson-Quellier, sociologue et membre du HCC.

Depuis le dernier rapport, un important document a tout de même été finalisé : le Plan national d’adaptation au changement climatique. Cette publication est «un progrès», reconnaît le HCC, qui souligne toutefois un manque de soutien financier et d’opérationnalisation de ces mesures. «Le financement de l’adaptation reste aujourd’hui un angle mort dont les modalités ne sont pas claires», prévient Jean-François Soussana.

Le Haut conseil pour le climat a formulé 74 recommandations visant à solidifier l’action climatique française. Celle-ci devrait davantage intégrer les besoins spécifiques de certaines populations vulnérables (ménages précaires, territoires exposés aux effets du changement climatique, etc.) et limiter les inégalités, améliorer la participation de la population aux processus de décision et soutenir une diplomatie climatique ambitieuse. Parmi les mesures proposées, on retrouve notamment un financement pluriannuel pour soutenir la maintenance et l’investissement dans le ferroviaire et les transports en commun, un moratoire (un délai ou une suspension d’activité) pour les projets routiers existants, un renforcement de l’enseignement et de la recherche en matière de transition agroécologique, ou encore la mise en place d’un plan national de lutte contre la désinformation climatique.

«Un sursaut collectif est urgent pour relancer l’action climatique, et il faut espérer que les défauts de gouvernance observés aujourd’hui soient corrigés pour le reste de l’année 2025», détaille Jean-François Soussana. Dans l’état actuel des choses, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) indique que l’on se dirigerait vers une réduction des émissions de 1,3% en 2025, soit une baisse insuffisante. «Nous sommes assez inquiets de cette trajectoire», confirme le président du HCC. Le gouvernement dispose désormais de six mois pour répondre aux alertes du Haut conseil pour le climat.

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