Reportage

L’assemblée générale annuelle de TotalEnergies bloquée par des centaines d’activistes 

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La Total loose. Mer­cre­di, à l’appel des Amis de la Terre, Green­peace, Alter­nat­i­ba Paris et ANV-COP21, env­i­ron 250 activistes ont blo­qué et empêché la tenue « en présen­tiel » de l’assemblée générale annuelle de Total­En­er­gies dans le 8ème arrondisse­ment de Paris. Ce blocage s’inscrit dans une dynamique de mobil­i­sa­tion gran­dis­sante con­tre la major pétrolière et ses pro­jets d’expansion des éner­gies fos­siles.

« Total, Total, il faut choisir : les éner­gies fos­siles ou notre avenir », « Pas de retrait, pas d’AG ! », « Totale­ment irre­spon­s­able » : vers 8h30 ce mer­cre­di matin, la rue du Faubourg Saint-Hon­oré (8ème arrondisse­ment de Paris) est par­ti­c­ulière­ment bruyante. Env­i­ron 250 militant·es sont entassé·es devant la salle Pleyel, où doit se tenir l’assemblée générale (AG) de Total­En­er­gies en milieu de mat­inée. Les activistes blo­quent l’accès à l’événement en s’accrochant les un·es avec les autres. « On refuse que Total fasse sa grand-messe, ait une tri­bune pour faire son green­wash­ing devant tous ses action­naires », explique Edi­na Ifticene, chargée de cam­pagne éner­gies fos­siles chez Green­peace. 

Les activistes n’ont cessé de scan­der leurs slo­gans sous le regard des forces de l’or­dre © Jus­tine Pra­dos / Vert

Les ONG mobil­isées affichent deux objec­tifs clairs : d’une part, obtenir le retrait immé­di­at de Total­En­er­gies de la Russie — comme l’ont fait Shell ou BP — pour cess­er de financer l’effort de guerre con­tre l’Ukraine; exiger l’arrêt de l’expansion agres­sive des pro­jets pétroliers et gaziers, d’autre part. Domini­ka Laso­ta, une activiste polon­aise du mou­ve­ment Fri­days for Future, lutte depuis des semaines pour que l’Europe impose un embar­go com­plet sur les éner­gies fos­siles russ­es qui « finan­cent des crimes de guerre ». « Total n’a aucune lim­ite dans sa recherche de prof­its, et ils osent se retrou­ver pour boire du cham­pagne et célébr­er leurs béné­fices records ? S’ils ne s’arrêtent pas, c’est nous qui allons les arrêter », s’exclame la jeune Polon­aise auprès de Vert.

Après une heure et demie de blocage, c’est une vic­toire pour les activistes : sous la pres­sion des bloqueur·ses, il est annon­cé devant un parterre d’ac­tion­naires cha­grins que l’assemblée générale n’aura pas lieu en présen­tiel, mais en huis-clos, et qu’elle sera dif­fusée en ligne. 

Porte-parole d’Alternatiba Paris, Elodie Nace réfute les reproches qui fusent de la part des petits action­naires — dont Vert a enten­du certain·es se préoc­cu­per davan­tage de récupér­er les cadeaux promis à l’issue de l’AG plutôt que de l’impact de cer­tains pro­jets de Total­En­er­gies. « C’est gen­til de nous dire d’aller pos­er des ques­tions dans les AG, mais aujourd’hui jouer le jeu ne suf­fit pas, ne suf­fit plus, pour se faire enten­dre », témoigne-t-elle. Elodie Nace rap­pelle que plusieurs activistes ont été exclu·es, empêché·es de pren­dre la parole, voire menacé·es de mort lors de l’assemblée générale de la BNP Paribas il y a une semaine. 

Devant la salle Pleyel, le blocage a duré plus de cinq heures jusqu’à la fin de l’assemblée générale. L’atmosphère est restée bon enfant, mar­quée par les chants scan­dés en con­tinu par les activistes enchaîné·es les un·es aux autres. Lorsque les forces de l’ordre ont ten­té de déloger les manifestant·es, Gabriel Maz­zoli­ni, activiste chez Alter­nat­i­ba et les Amis de la Terre, a rap­pelé la dimen­sion non-vio­lente du mou­ve­ment cli­mat. « Ne soyez pas vio­lents avec nous, la vio­lence n’est pas là, elle est à l’intérieur : ce sont eux qui détru­isent votre avenir et celui de vos enfants », a‑t-il plaidé à l’intention des policier·es. Ces dernier·es ont d’ailleurs empêché de nom­breux médias — dont Vert — de cou­vrir l’événement pen­dant plusieurs heures en les expul­sant, sans rai­son val­able, au-delà du périmètre de l’action. Après un coup de fil au cab­i­net du min­istre de l’intérieur, Gérald Dar­manin, l’ensemble des jour­nal­istes ont été autorisé·es à pour­suiv­re leur tra­vail. L’am­pleur du déploiement des forces de police, présentes dès le début de la mat­inée, illus­trait bien le niveau de ten­sion aux abor­ds de la salle Pleyel.

La mobilisation va crescendo depuis des semaines

Ces derniers mois, la colère grandit vis-à-vis de la major pétrolière. Total­En­er­gies a annon­cé son inten­tion d’atteindre la neu­tral­ité car­bone (soit l’équili­bre entre le CO2 rejeté par ses activ­ités et celui qu’elle peut stock­er) à l’horizon 2050. Mais elle con­tin­ue d’investir mas­sive­ment dans l’expansion de pro­jets gaziers et pétroliers. À l’heure actuelle, 70 % des investisse­ments de la multi­na­tionale sont dédiés aux éner­gies fos­siles et 20 % à l’exploration de nou­veaux pro­jets (Reclaim Finance). À ce titre, une mobil­i­sa­tion mon­di­ale se coor­donne peu à peu con­tre le développe­ment par Total­En­er­gies de nou­veaux pro­jets pétroliers ou gaziers, notam­ment au Mozam­bique, ain­si qu’en Ougan­da, où l’entreprise prévoit d’implanter l’« EACOP », le plus long oléo­duc chauf­fé au monde (1 445 kilo­mètres, soit à peu près la dis­tance entre Paris et Séville) et de for­er 400 puits de pét­role au sein d’une réserve naturelle.

Pour rap­pel, le Groupe d’ex­perts inter­gou­verne­men­tal sur l’évo­lu­tion du cli­mat (Giec) ain­si que l’Agence inter­na­tionale de l’énergie (AIE) con­sid­èrent qu’il faut aban­don­ner tout nou­veau pro­jet pétroli­er ou gazier si l’on espère con­tenir le réchauf­fe­ment cli­ma­tique en dessous de +1,5 °C par rap­port aux tem­péra­tures pré-indus­trielles (Vert). Soit l’ob­jec­tif de l’Ac­cord de Paris.

Lun­di, à Paris, les ONG 350.org et Notre affaire à tous ont inten­té un procès simulé à Total­En­er­gies dans une représen­ta­tion volon­taire­ment théâ­trale. Des activistes d’Ukraine, d’Ougan­da, du Mozam­bique ou de Pologne, ain­si que des fig­ures français­es du mou­ve­ment pour le cli­mat sont intervenu·es pour évo­quer les atteintes aux droits humains et aux droits de l’environnement per­petrées, selon elles et eux, par la major pétrolière. La com­pag­nie française a été jugée coupable à l’unanimité et « con­damnée à la mobil­i­sa­tion générale », a iro­nisé Clé­mence Dubois, chargée de cam­pagne chez 350.org. 

Lorsque l’activiste Camille Eti­enne (à gauche) a demandé aux militant·es qui était là pour sa pre­mière action, des dizaines de mains se sont dressées. « C’est juste fou de voir tout ça », s’est-elle ent­hou­si­as­mée. © Jus­tine Pra­dos / Vert

Enfin, ces dernières semaines, l’ONG spé­cial­isée dans l’impact de la finance sur le cli­mat Reclaim Finance a fait cam­pagne pour que les action­naires votent con­tre le « plan cli­mat » pro­posé par Total­En­er­gies, jugeant ce dernier « défail­lant » et incom­pat­i­ble avec les objec­tifs de l’Accord de Paris. Plusieurs gros action­naires — tels que les Assur­ances du Crédit mutuel, le fonds d’investissement Edmond de Roth­schild ou la Finan­cière de l’Échiquier — avaient fait part de leur oppo­si­tion à cette stratégie cli­ma­tique insuff­isante (Les Échos). Le plan cli­mat a finale­ment été voté à 88,89 % lors de l’assemblée générale de mer­cre­di — avec trois points de moins que celui de l’année dernière. 

Un léger revers pour les activistes mobilisé·es devant les lieux de l’assemblée générale, qui n’en attendaient pas moins. Mais elles et ils ne comptent surtout pas baiss­er les bras : « On ne lais­sera pas l’impunité con­tin­uer », a martelé l’activiste Camille Eti­enne.